Page images
PDF
EPUB

ble; c'est faire, pour me combattre, ce qu'on m'accuse faussement d'avoir fait.

Je n'ai pas tout dit, monsieur, sur ce chapitre ; mais ce qui me reste à dire ne peut se couper, et ne fera qu'une trop longue lettre : il est temps d'achever celle-ci.

LETTRE III.

Continu tion du même sujet (les miracles). Court examen de quelques autres accusations.

Je reprends, monsieur, cette question des miracles que j'ai entrepris de discuter avec vous; et, après avoir prouvé qu'établir leur nécessité c'étoit détruire le protestantisme, je vais chercher à présent quel est leur usage pour prouver la révélation.

Les hommes ayant des têtes si diversement organisées, ne sauroient être affectés tous également des mêmes argumens, surtout en matière de foi. Ce qui paroît évident à l'un, ne paroît pas même probable à l'autre l'un par son tour d'esprit n'est frappé que d'un genre de preuves; l'autre ne l'est que d'un genre tout différent. Tous peuvent bien quelquefois convenir des mêmes choses; mais il est trèsrare qu'ils en conviennent par les mêmes raisons ce qui, pour le dire en passant, montre combien la dispute en elle-même est peu sensée autant vaudroit vouloir forcer autrui de voir par nos yeux.

Lors donc que Dieu donne aux hommes une révélation que tous sont obligés de croire, il faut qu'il l'établisse sur des preuves bonnes pour tous, et qui par conséquent soient aussi diverses que les manières de voir de ceux qui doivent les adopter.

Sur ce raisonnement, qui me paroît juste et simple, on a trouvé que Dieu avoit donné à la mission de ses envoyés divers caractères qui rendoient cette mission reconnoissable à tous les hommes, petits et grands, sages et sots, savans et ignorans. Celui d'entre eux qui a le cerveau assez flexible pour s'affecter à la fois de tous ces caractères est heureux sans doute; mais celui qui n'est frappé que de quelques-uns n'est pas à plaindre, pourvu qu'il en soit frappé suffisamment pour être persuadé.

Le premier, le plus important, le plus certain

de ces caractères, se tire de la nature de la doctrine, c'est-à-dire de son utilité, de sa beauté ('), de sa sainteté, de sa vérité, de sa profondeur, et de toutes les autres qualités qui peuvent annoncer aux hommes les instructions de la suprême sagesse et les préceptes de la suprême bonté. Ce caractère est, comme j'ai dit, le plus sûr, le plus infaillible; il porte en lui-même une preuve qui dispense de toute autre il est le moins facile à constater; il exige, pour être senti, de l'étude, de la réflexion, des connoissances, des discussions qui ne conviennent qu'aux hommes sages qui sont instruits et qui

savent raisonner.

mais

Le second caractère est dans celui des hommes choisis de Dieu pour annoncer sa parole; leur sainteté, leur véracité, leur justice, leurs mœurs pures et sans tache, leurs vertus inaccessibles aux passions humaines, sont, avec les qualités de l'entendement, la raison, l'esprit, le savoir, la prudence, autant d'indices respectables, dont la réunion, quand rien ne s'y dément, forme une preuve complète en leur faveur, et dit qu'ils sont plus que des hommes. Ceci est le signe qui frappe par préférence les gens bons et droits, qui voient la vérité partout où ils voient la justice, et n'entendent la voix de Dieu que dans la bouche de la vertu. Ce caractère a sa certitude encore, mais il n'est pas impossible qu'il trompe; et ce n'est pas un prodige qu'un imposteur abuse les gens de bien, ni qu'un homme de bien s'abuse lui-même, entraîné par l'ardeur d'un saint zèle qu'il prendra pour de l'inspiration.

Le troisième caractère des envoyés de Dieu est une émanation de la puissance divine, qui peut interrompre et changer le cours de la nature à la volonté de ceux qui reçoivent cette émanation. Ce caractère est sans contredit le plus brillant des trois, le plus frappant, le

(1) Je ne sais pourquoi l'on veut attribuer au progrès de la philosophie la belle morale de nos livres. Cette morale, tirée de l'Évangile, étoit chrétienne avant d'être philosophique. Les chrétiens l'enseiguent sans la pratiquer, je l'avoue; mais que font de plus les philosophes, si ce n'est de se donner à eux-mêmes beaucoup de louanges, qui, n'étant répétées par personne autre, ne prouvent pas grand chose, à mon avis?

Les préceptes de Platon sont souvent très-sublimes; mais combien n'erre-t-il pas quelquefois, et jusqu'où ne vont pas ses erreurs ! Quant à Cicéron, peut-on croire que sans Platon, ce

rhéteur eût trouvé ses Offices. L'Évangile seul est, quant à la morale, toujours sûr, toujours vrai, toujours unique, et toujours semblable à lui-même.

plus prompt à sauter aux yeux; celui qui, se marquant par un effet subit et sensible, semble exiger le moins d'examen et de discussion: par là ce caractère est aussi celui qui saisit spécialement le peuple, incapable de raisonnemens suivis, d'observations lentes et sûres, et en toute chose esclave de ses sens : mais c'est ce qui rend ce même caractère équivoque, comme il sera prouvé ci-après; et en effet, pourvu qu'il frappe ceux auxquels il est destiné, qu'importe qu'il soit apparent ou réel? C'est une distinction qu'ils sont hors d'état de faire; ce qui montre qu'il n'y a de signe vraiment certain que celui qui se tire de la doctrine, et qu'il n'y a par conséquent que les bons raisonneurs qui puissent avoir une foi solide et sûre: mais la bonté divine se prête aux foiblesses du vulgaire, et veut bien lui donner des preuves qui fassent pour lui.

Je m'arrête ici sans rechercher si ce dénombrement peut aller plus loin: c'est une discussion inutile à la nôtre; car il est clair que quand tous ces signes se trouvent réunis, c'en est assez pour persuader tous les hommes, les sages, les bons, et le peuple; tous, excepté les fous, incapables de raison, et les méchans, qui ne veulent être convaincus de rien.

Ces caractères sont des preuves de l'autorité de ceux en qui ils résident; ce sont les raisons sur lesquelles on est obligé de les croire. Quand tout cela est fait, la vérité de leur mission est établie; ils peuvent alors agir avec droit et puissance en qualité d'envoyés de Dieu. Les preuves sont les moyens; la foi due à la doctrine est la fin. Pourvu qu'on admette la doctrine, c'est la chose la plus vaine de disputer sur le nombre et le choix des preuves; et si une seule me persuade, vouloir m'en faire adopter d'autres est un soin perdu. Il seroit du moins bien ridicule de soutenir qu'un homme ne croit pas ce qu'il dit croire, parce qu'il ne le croit pas précisément par les mêmes raisons que nous disons avoir de le croire aussi. Voilà, ce me semble, des principes clairs et incontestables venons à l'application. Je me déclare chrétien; mes persécuteurs disent que je ne le suis pas. Ils prouvent que je ne suis pas chrétien, parce que je rejette la révélation; et ils prouvent que je rejette la révéla

tion parce que je ne crois pas aux miracles.

Mais pour que cette conséquence fût juste, il faudroit de deux choses l'une; ou que les miracles fussent l'unique preuve de la révélation, ou que je rejetasse également les autres preuves qui l'attestent. Or, il n'est pas vrai que les miracles soient l'unique preuve de la révélation; et il n'est pas vrai que je rejette les autres preuves, puisqu'au contraire on les trouve établies dans l'ouvrage même où l'on m'accuse de détruire la révélation (').

Voilà précisément à quoi nous en sommes. Ces messieurs, déterminés à me faire, malgré moi, rejeter la révélation, comptent pour rien que je l'admette sur les preuves qui me convainquent, si je ne l'admets encore sur celles qui ne me convainquent pas; et, parce que je ne le puis, ils disent que je la rejette. Peut-on rien concevoir de plus injuste et de plus extravagant?

Et voyez de grâce si j'en dis trop, lorsqu'ils me font un crime de ne pas admettre une preuve que non-seulement Jésus n'a pas donnée, mais qu'il a refusée expressément.

Il ne s'annonça pas d'abord par des miracles, mais par la prédication. A douze ans il disputoit déjà dans le temple avec les docteurs, tantôt les interrogeant et tantôt les surprenant par la sagesse de ses réponses. Ce fut là le commencement de ses fonctions, comme il le déclara lui-même à sa mère et à Joseph (2). Dans le pays, avant qu'il fit aucun miracle, il se mit à prêcher aux peuples le royaume des cieux (3); et il avoit déjà rassemblé plusieurs disciples sans s'être autorisé près d'eux d'aucun signe, puisqu'il est dit que ce fut à Cana qu'il fit le premier (4).

Quand il fit ensuite des miracles, c'étoit le plus souvent dans des occasions particulières, dont le choix n'annonçoit pas un témoignage

[blocks in formation]

public, et dont le but étoit si peu de manifester sa puissance, qu'on ne lui en a jamais demandé pour cette fin qu'il ne les ait refusés. Voyez làdessus toute l'histoire de sa vie; écoutez surtout sa propre déclaration : elle est si décisive, que vous n'y trouverez rien à répliquer.

[ocr errors]

Sa carrière étoit déjà fort avancée, quand les docteurs, le voyant faire tout de bon le prophète au milieu d'eux, s'avisèrent de lui demander un signe. A cela qu'auroit dû répondre Jésus, selon vos messieurs? Vous de» mandez un signe, vous en avez eu cent. Croyez-vous que je sois venu m'annoncer à › vous pour le Messie sans commencer par ren› dre témoignage de moi, comme si j'avois > voulu vous forcer à me méconnoître et vous faire errer malgré vous? Non Cana, le centenier, le lépreux, les aveugles, les para› lytiques, la multiplication des pains, toute › la Galilée, toute la Judée, déposent pour › moi. Voilà mes signes pourquoi feignez

[ocr errors]

ment le même signe qu'employoit Jésus avec les Juifs, comme il l'explique lui-même ('). On ne peut donner au second passage qu'un sens qui se rapporte au premier, autrement Jésus se seroit contredit. Or, dans le premier passage où l'on demande un miracle en signe, Jésus dit positivement qu'il n'en sera donné aucun. Donc le sens du second passage n'indique aucun signe miraculeux.

Un troisième passage, insisteront-ils, explique ce signe par la résurrection de Jésus (2). Je le nie; il l'explique tout au plus par sa mort. Or la mort d'un homme n'est pas un miracle; ce n'en est pas même un qu'après avoir resté trois jours dans la terre, un corps en soit retiré. Dans ce passage il n'est pas dit un mot de la résurrection. D'ailleurs quel genre de preuve seroit-ce de s'autoriser durant sa vie sur un signe qui n'aura lieu qu'après sa mort? Ce seroit vouloir ne trouver que des incrédules, ce seroit cacher la chandelle sous le boisseau. Comme cette conduite seroit injuste, cette in

› vous de ne les pas voir? ›
Au lieu de cette réponse, que Jésus ne fit terprétation seroit impie.
point, voici, monsieur, celle qu'il fit:

La nation méchante et adultère demande un signe, et il ne lui en sera point donné. Ailleurs il ajoute : Il ne lui sera point donné d'autre signe que celui de Jonas le prophète. Et leur tournant le dos, il s'en alla (').

Voyez d'abord comment, blâmant cette manie des signes miraculeux, il traite ceux qui les demandent. Et cela ne lui arrive pas une fois seulement, mais plusieurs (2). Dans le système de vos messieurs cette demande étoit très-légitime: pourquoi donc insulter ceux qui la faisoient?

Voyez ensuite à qui nous devons ajouter foi par préférence; d'eux, qui soutiennent que c'est rejeter la révélation chrétienne, que de ne pas admettre les miracles de Jésus pour les signes qui l'établissent; ou de Jésus lui-même, qui déclare qu'il n'a point de signe à donner.

Ils demanderont ce que c'est donc que le signe de Jonas le prophète? Je leur répondrai que c'est sa prédication aux Ninivites, précisé

De plus, l'argument invincible revient encore. Le sens du troisième passage ne doit pas attaquer le premier, et le premier affirme qu'il ne sera point donné de signe, point du tout, aucun. Enfin, quoi qu'il en puisse être, il reste toujours prouvé, par le témoignage de Jésus même, que, s'il a fait des miracles durant sa vie, il n'en a point fait en signe de sa mission.

Toutes les fois que les Juifs ont insisté sur ce genre de preuve, il les a toujours renvoyés avec mépris, sans daigner jamais les satisfaire. Il n'approuvoit pas même qu'on prìt en ce sens ses œuvres de charité. Si vous ne voyez des prodiges et des miracles, vous ne croyez point, disoit-il à celui qui le prioit de guérir son fils (3). Parle-t-on sur ce ton-là quand on veut donner des prodiges en preuves?

Combien n'étoit-il pas étonnant que, s'il en eût tant donné de telles, on continuât sans cesse à lui en demander? Quel miracle fais-tu, lui disoient les Juifs, afin que, l'ayant vu, nous croyions à toi? Moïse donna la manne dans le désert à nos pères; mais toi, quelle œuvre fais(1) Marc, VIII, 12, Matth., XVI, 4. Pour abréger, j'ai fondu tu (*)? C'est à peu près, dans le sens de vos ensemble ces deux passages; mais j'ai conservé la distinction messieurs, et, laissant à part la majesté royale,

essentielle à la question.

(2) Conférez les passages suivans: Matth., XII, 39, 44; Marc, VIII, 12; Luc, X1, 29; Jean, II. 18, 19; IV, 48; V, 34, 36, 39.

(1) Matth., XII, 44; Luc, XI, 30, 32. (2) Matth., XII, 40. (3) Jean, IV, 48. (4) Jean, VI, 50, 31 et suiv.

comme si quelqu'un venoit dire à Frédéric : On te dit un grand capitaine; et pourquoi donc? Qu'as-tu fait qui te montre tel? Gustave vainquit à Leipsick, à Lutzen; Charles à Frawstat, à Narva: mais où sont les monumens? quelle victoire as-tu remportée? quelle place as-tu prise? quelle marche as-tu faite? quelle campagne t'a couvert de gloire? de quel droit portes-tu le nom de grand? L'impudence d'un pareil discours est-elle concevable? et trouveroit-on sur la terre entière un homme capable de le tenir? Cependant, sans faire honte à ceux qui lui en tenoient un semblable, sans leur accorder aucun miracle, sans les édifier au moins sur ceux qu'il avoit faits, Jésus, en réponse à leur question, se contente d'allégoriser sur le pain du ciel : aussi, loin que sa réponse lui donnât de nouveaux disciples, elle lui en ôta plusieurs de ceux qu'il avoit, et qui sans doute pensoient comme vos théologiens. La désertion fut telle, qu'il dit aux douze : Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller? Il ne paroît pas qu'il eût fort à cœur de conserver ceux qu'il ne pouvoit retenir que par des miracles.

Les Juifs demandoient un signe du ciel. Dans leur système, ils avoient raison. Le signe qui devoit constater la venue du Messie ne pouvoit pour eux être trop évident, trop décisif, trop au-dessus de tout soupçon, ni avoir trop de té moins oculaires: comme le témoignage immédiat de Dieu vaut toujours mieux que celui des hommes, il étoit plus sûr d'en croire au signe même, qu'aux gens qui disoient l'avoir vu ; et pour cet effet le ciel étoit préférable à la terre. Les Juifs avoient donc raison dans leur vue, parce qu'ils vouloient un Messie apparent et tout miraculeux. Mais Jésus dit, après le prophète, que le royaume des cieux ne vient point avec apparence; que celui qui l'annonce ne débat point, ne crie point, qu'on n'entend point sa voix dans les rues. Tout cela ne respire pas l'ostentation des miracles; aussi n'étoit-elle pas le but qu'il se proposoit dans les siens. I n'y mettoit ni l'appareil ni l'authenticité nécessaires pour constater de vrais signes, parce qu'il ne les donnoit point pour tels. Au contraire, il recommandoit le secret aux malades qu'il guérissoit, aux boiteux qu'il faisoit marcher, aux possédés qu'il délivroit du démon. L'on eût dit qu'il craignoit que sa vertu miraculeuse ne fût

connue on m'avouera que c'étoit une étrange manière d'en faire la preuve de sa mission.

Mais tout cela s'explique de soi-même, sitôt que l'on conçoit que les Juifs alloient cherchant cette preuve où Jésus ne vouloit point qu'elle fùt. Celui qui me rejette a, disoit-il, qui le juge. Ajoutoit-il, Les miracles que j'ai faits le condamneront? Non; mais, La parole que j'ai portée le condamnera. La preuve est donc dans la parole, et non pas dans les miracles.

On voit dans l'Evangile que ceux de Jésus étoient tous utiles; mais ils étoient sans éclat, sans apprêt, sans pompe; ils étoient simples comme ses discours, comme sa vie, comme toute sa conduite. Le plus apparent, le plus palpable qu'il ait fait, est sans contredit celui de la multiplication des cinq pains et des deux poissons, qui nourrirent cinq mille hommes. Non-seulement ses disciples avoient vu le miracle, mais il avoit, pour ainsi dire, passé par leurs mains; et cependant ils n'y pensoient pas, ils ne s'en doutoient presque pas. Concevezvous qu'on puisse donner pour signes notoires au genre humain, dans tous les siècles, des faits auxque's les témoins les plus immédiats font à peine attention (1)?

Et tant s'en faut que l'objet réel des miracles de Jésus fût d'établir la foi, qu'au contraire il commençoit par exiger la foi avant que de faire le miracle. Rien n'est si fréquent dans l'Évangile. C'est précisément pour cela, c'est parce qu'un prophète n'est sans honneur que dans son pays, qu'il fit dans le sien très-peu de miracles (2); il est dit même qu'il n'en put faire à cause de leur incrédulité (5). Comment! c'étoit à cause de leur incrédulité qu'il en falloit faire pour les convaincre, si ces miracles avoient eu cet objet; mais ils ne l'avoient pas : c'étoient simplement des actes de bonté, de charité, de bienfaisance, qu'il faisoit en faveur de ses amis, et de ceux qui croyoient en lui; et c'étoit dans de pareils actes que consistoient les œuvres de miséricorde, vraiment dignes d'être siennes, qu'il disoit rendre témoignage de lui (4). Ces œuvres marquoient le pouvoir de bien faire plu

[blocks in formation]

tôt que la volonté d'étonner; c'étoient des vertus (1) plus que des miracles. Et comment la suprême Sagesse eût-elle employé des moyens si contraires à la fin qu'elle se proposoit? comment n'eût-elle pas prévu que les miracles dont elle appuyoit l'autorité de ses envoyés produiroient un effet tout opposé; qu'ils feroient suspecter la vérité de l'histoire, tant sur les miracles que sur la mission; et que, parmi tant de solides preuves, celle-là ne feroit que rendre plus difficiles sur toutes les autres les gens éclairés et vrais? Oui, je le soutiendrai toujours, l'appui qu'on veut donner à la croyance en est le plus grand obstacle: ôtez les miracles de l'Évangile, et toute la terre est aux pieds de Jésus-Christ (2).

Vous voyez, monsieur, qu'il est attesté par l'Écriture même que dans la mission de JésusChrist les miracles ne sont point un signe tellement nécessaire à la foi qu'on n'en puisse avoir sans les admettre. Accordons que d'autres passages présentent un sens contraire à ceux-ci, ceux-ci réciproquement présentent un sens contraire aux autres, et alors je choisis, usant de mon droit, celui de ces sens qui me paroît le plus raisonnable et le plus clair. Si j'avois l'orgueil de vouloir tout expliquer, je pourrois, en vrai théologien, tordre et tirer chaque passage à mon sens; mais la bonne foi ne me permet point ces interprétations sophistiques : suffisamment autorisé dans mon sentiment (3) par ce que je comprends, je reste en paix sur ce

(1) C'est le mot employé dans l'Écriture; nos traducteurs le rendent par celui de miracles.

(2) Paul, prêchant aux Athéniens, fut écouté fort paisiblement jusqu'à ce qu'il leur parlat d'un homme ressuscité. Alors les uns se mirent à rire; les autres lui dirent: Cela suffit, nous entendrons le reste une autre fois. Je ne sais pas bien ce que

pensent au fond de leurs cœurs ces bons chrétiens à la mode;

mais s'ils croient à Jésus par ses miracles, moi j'y crois malgré ses miracles, et j'ai dans l'esprit que ma foi vaut mieux que la leur.

(3) Ce sentiment ne m'est point tellement particulier, qu'il ne soit aussi celui de plusieurs théologiens, dont l'orthodoxie est mieux établie que celle du clergé de Genève. Voici ce que m'écrivoit là-dessus un de ces messieurs, le 28 février 1764 : « Quoi qu'en dise la cohue des modernes apologistes du » christianisme, je suis persuadé qu'il n'y a pas un mot dans » les livres sacrés d'où l'on puisse légitimement conclure que » les miracles aient été destinés à servir de preuves pour les hommes de tous les temps et de tous les lieux. Bien loin de a là, ce n'étoit pas, à mon avis, le principal objet pour ceux » qui en furent les témoins oculaires. Lorsque les juifs deman* doient des miracles à saint Paul, pour toute réponse il leur » prêchoit Jésus crucifié. A coup sûr, si Grotius, les auteurs » de la société de Boyle, Vernes, Vernet, etc., eussent été à la

que je ne comprends pas, et que ceux qui me l'expliquent me font encore moins comprendre. L'autorité que je donne à l'Évangile, je ne la donne point aux interprétations des hommes, et je n'entends pas plus les soumettre à la mienne que me soumettre à la leur. La règle est commune et claire en ce qui importe; la raison qui l'explique est particulière, et chacun a la sienne, qui ne fait autorité que pour lui. Se laisser mener par autrui sur cette matière, c'est substituer l'explication au texte, c'est se soumettre aux hommes et non pas Dieu.

à

Je reprends mon raisonnement; et, après avoir établi que les miracles ne sont pas un signe nécessaire à la foi, je vais montrer, en confirmation de cela, que les miracles ne sont pas un signe infaillible, et dont les hommes puissent juger.

Un miracle est, dans un fait particulier, un acte immédiat de la puissance divine, un changement sensible dans l'ordre de la nature, une exception réelle et visible à ses lois. Voilà l'idée dont il ne faut pas s'écarter, si l'on veut s'entendre en raisonnant sur cette matière. Cette idée offre deux questions à résoudre.

La première : Dieu peut-il faire des miracles? c'est-à-dire peut-il déroger aux lois qu'il a établies? Cette question, sérieusement traitée, seroit impie si elle n'étoit absurde ce seroit faire trop d'honneur à celui qui la résoudroit négativement que de le punir; il suffiroit de l'enfermer. Mais aussi quel homme a jamais nié que Dieu pût faire des miracles? Il falloit être Hébreu pour demander si Dieu pouvoit dresser des tables dans le désert.

Seconde question: Dieu veut-il faire des miracles? C'est autre chose. Cette question en

place de cet apôtre, ils n'auroient rien eu de plus pressé que d'envoyer chercher des tréteaux pour satisfaire à une de> mande qui cadre si bien avec leurs principes. Ces gens-là » croient faire merveille avec leurs ramas d'argumens; mais » un jour ou doutera, j'espère, s'ils n'ont pas été compilés par » une société d'incrédules, sans qu'il faille ètre Hardouin pour » cela. »

Qu'on ne pense pas, au reste, que l'auteur de cette lettre soit mon partisan ; tant s'en faut, il est un de mes adversaires. Il trouve seulement que les autres ne savent ce qu'ils disent. Il soupçonne peut-être pis car la foi de ceux qui croient sur les miracles, sera toujours très-suspecte aux gens éclairés. C'étoit le sentiment d'un des plus illustres réformateurs. Non satis tula fides eorum qui miraculis nituntur. Bez., in Joan., cap. 11, v. 23.

« PreviousContinue »