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Ils disent qu'en attaquant la superstition je | sous ce point de vue seroit de ma part une inveux détruire la religion même : comment le dignité. Non, monsieur, il n'y a ni malheur ni savent-ils? Pourquoi confondent-ils ces deux flétrissure qui puissent me réduire à cette abcauses que je distingue avec tant de soin? Com- jection. Je croirois outrager l'auteur, l'éditeur, ment ne voient-ils point que cette imputation le lecteur même, par une justification d'autant réfléchit contre eux dans toute sa force, et que plus honteuse qu'elle est plus facile. C'est dela religion n'a point d'ennemis plus terribles grader la vertu que montrer qu'elle n'est pas que les défenseurs de la superstition? Il seroit un crime, c'est obscurcir l'évidence que proubien cruel qu'il fût si aisé d'inculper l'intention ver qu'elle est la vérité. Non, lisez et jugez d'un homme, quand il est si difficile de la jus- vous-même. Malheur à vous, si, durant cette tifier. Par cela même qu'il n'est pas prouvé lecture, votre cœur ne bénit pas cent fois qu'elle est mauvaise, on la doit juger bonne : l'homme vertueux et ferme qui ose instruire autrement qui pourroit être à l'abri des juge- ainsi les humains! mens arbitraires de ses ennemis? Quoi! leur simple affirmation fait preuve de ce qu'ils ne peuvent savoir; et la mienne, jointe à toute ma conduite, n'établit point mes propres sentimens? Quel moyen me reste donc de les faire connoître? Le bien que je sens dans mon cœur, je ne puis le montrer, je l'avoue; mais quel est l'homme abominable qui s'ose vanter d'y voir le mal qui n'y fut jamais?

Plus on seroit coupable de prêcher l'irréligion, dit très-bien M. d'Alembert, plus il est criminel d'en accuser ceux qui ne la prêchent pas en effet. Ceux qui jugent publiquement de mon christianisme montrent seulement l'espèce du leur; et la seule chose qu'ils ont prouvée est qu'eux et moi n'avons pas la même religion. Voilà précisément ce qui les fàche: on sent que le mal prétendu les aigrit moins que le bien même. Ce bien qu'ils sont forcés de trouver dans mes écrits les dépite et les gêne; réduits à le tourner en mal encore, ils sentent qu'ils se découvrent trop. Combien ils seroient plus à leur aise si ce bien n'y étoit pas !

Quand on ne me juge point sur ce que j'ai dit, mais sur ce qu'on assure que j'ai voulu dire, quand on cherche dans mes intentions le mal qui n'est pas dans mes écrits, que puis-je faire? Ils démentent mes discours par mes pensées; quand j'ai dit blanc, ils affirment que j'ai voulu dire noir; ils se mettent à la place de Dieu pour faire l'œuvre du diable: comment dérober ma tête à des coups portés de si haut?

Pour prouver que l'auteur n'a point eu l'horrible intention qu'ils lui prêtent, je ne vois qu'un moyen, c'est d'en juger sur l'ouvrage. Ah! qu'on en juge ainsi, j'y consens; mais cette tache n'est pas la mienne, et un examen suivi

Eh! comment me résoudrois-je à justifier cet ouvrage, moi qui crois effacer par lui les fautes de ma vie entière, moi qui mets les maux qu'il m'attire en compensation de ceux que j'ai faits, moi qui, plein de confiance, espère un jour dire au Juge suprême: Daigne juger dans ta clémence un homme foible; j'ai fait le mal sur la terre, mais j'ai publié cet écrit.

Mon cher monsieur, permettez à mon cœur gonflé d'exhaler de temps en temps ses soupirs; mais soyez sûr que dans mes discussions je ne mêlerai ni déclamations ni plaintes: je n'y mettrai pas même la vivacité de mes adversaires; je raisonnerai toujours de sang-froid. Je reviens donc.

Tachons de prendre un milieu qui vous satisfasse et qui ne m'avilisse pas. Supposons un moment la Profession de foi du vicaire adoptée en un coin du monde chrétien, et voyons ce qu'il en résulteroit en bien et en mal. Ce ne sera ni l'attaquer ni la défendre; ce sera la juger par ses effets.

Je vois d'abord les choses les plus nouvelles sans aucune apparence de nouveauté; nul changement dans le culte, et de grands changemens dans les cœurs, des conversions sans éclat, de la foi sans dispute, du zèle sans fanatisme, de la raison sans impiété, peu de dogmes et beaucoup de vertus, la tolérance du philosophe et la charité du chrétien.

Nos prosélytes auront deux règles de foi qui n'en font qu'une la raison et l'Evangile; la seconde sera d'autant plus immuable qu'elle ne se fondera que sur la première, et nullement sur certains faits, lesquels, ayant besoin d'être attestés, remettent la religion sous l'autorité des hommes.

Toute la difference qu'il y aura d'eux aux autres chrétiens est que ceux-ci sont des gens qui disputent beaucoup sur l'Évangile sans se soucier de le pratiquer, au lieu que nos gens s'attacheront beaucoup à la pratique, et ne disputeront point.

Quand les chrétiens disputeurs viendront leur dire: Vous vous dites chrétiens sans l'être, car, pour être chrétiens, il faut croire en JésusChrist, et vous n'y croyez point; les chrétiens paisibles leur répondront: Nous ne savons pas bien si nous croyons en Jésus-Christ › dans votre idée, parce que nous ne l'enten» dons pas; mais nous tâchons d'observer ce qu'il nous prescrit. Nous sommes chrétiens, › chacun à notre manière, nous, en gardant sa parole, et vous, en croyant en lui. Sa charité » veut que nous soyons tous frères : nous la > suivons en vous admettant pour tels; pour > l'amour de lui ne nous ôtez pas un titre que > nous honorons de toutes nos forces et qui nous > est aussi cher qu'à vous. ›

Les chrétiens disputeurs insisteront sans doute. En vous renommant de Jésus, il faudroit nous dire à quel titre. Vous gardez, dites-vous, sa parole; mais quelle autorité lui donnez-vous? Reconnoissez-vous la révélation? ne la reconnoissez-vous pas? Admettez-vous l'Évangile en entier? ne l'admettez-vous qu'en partie? Sur quoi fondez-vous ces distinctions? Plaisans chrétiens, qui marchandent avec le maître, qui choisissent dans sa doctrine ce qu'il leur plaît d'admettre et de rejeter!

A cela les autres diront paisiblement : « Mes frères, nous ne marchandons point; car notre > foi n'est pas un commerce: vous supposez » qu'il dépend de nous d'admettre ou de rejeter » comme il nous plaît; mais cela n'est pas, et › notre raison n'obéit point à notre volonté. › Nous aurions beau vouloir que ce qui nous > paroît faux nous parùt vrai, il nous paroitroit faux malgré nous. Tout ce qui dépend › de nous est de parler selon notre pensée › ou contre notre pensée, et notre seul crime › est de ne vouloir pas vous tromper.

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Nous reconnoissons l'autorité de Jésus› Christ parce que notre intelligence acquiesce › à ses préceptes et nous en découvre la subli>mité. Elle nous dit qu'il convient aux hom> mes de suivre ces préceptes, mais qu'il étoit

, au-dessus d'eux de les trouver. Nous admet» tons la révélation comme émanée de l'esprit › de Dieu, sans en savoir la manière, et sans › nous tourmenter pour la découvrir; pourvu › que nous sachions que Dieu a parlé, peu nous > importe d'expliquer comment il s'y est pris pour se faire entendre. Ainsi, reconnoissant › dans l'Évangile l'autorité divine, nous croyons > Jésus-Christ revêtu de cette autorité; nous > reconnoissons une vertu plus qu'humaine › dans sa conduite, et une sagesse plus qu'hu› maine dans ses leçons. Voilà ce qui est bien › décidé pour nous. Comment cela s'est-il fait? › Voilà ce qui ne l'est pas; cela nous passe. › Cela ne vous passe pas, vous; à la bonne > heure; nous vous en félicitons de tout notre › cœur. Votre raison peut être supérieure à la nôtre; mais ce n'est pas à dire qu'elle doive › nous servir de loi. Nous consentons que vous sachiez tout; souffrez que nous ignorions quelque chose.

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» Vous nous demandez si nous admettons > tous les enseignemens qu'a donnés Jésus› Christ. L'utilité, la nécessité de la plupart de ces enseignemens nous frappe, et nous tâchons › de nous y conformer. Quelques-uns ne sont › pas à notre portée; ils ont été donnés sans › doute pour des esprits plus intelligens que › nous. Nous ne croyons point avoir atteint les › limites de la raison humaine, et les hommes plus pénétrans ont besoin de préceptes plus › élevés.

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› Beaucoup de choses dans l'Évangile pas> sent notre raison, et même la choquent; nous › ne les rejetons pourtant pas. Convaincus de › la foiblesse de notre entendement, nous sa›vons respecter ce que nous ne pouvons concevoir, quand l'association de ce que nous con› cevons nous le fait juger supérieur à nos lu› mières. Tout ce qui nous est nécessaire à > savoir pour être saints, nous paroît clair dans l'Evangile; qu'avons-nous besoin d'entendre > le reste? Sur ce point nous demeurerons ignorans, mais exempts d'erreur, et nous n'en › serons pas moins gens de bien; cette humble › réserve elle-même est l'esprit de l'Évangile.

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› nous apprend que cette histoire n'a pas été ⚫ essentiellement altérée (1), mais il n'est pas › démontré pour nous qu'elle ne l'ait point été » du tout. Qui sait si les choses que nous › n'y comprenons pas, ne sont point des › fautes glissées dans le texte? Qui sait si des disciples si fort inférieurs à leur maitre l'ont ⚫ bien compris et bien rendu partout? Nous ne ‣ décidons point là-dessus; nous ne présumons › pas même, et nous ne vous proposons des conjectures que parce que vous l'exigez. Nous pouvons nous tromper dans nos idées, › mais vous pouvez aussi vous tromper dans les » vôtres. Pourquoi ne le pourriez-vous pas étant > hommes ? Vous pouvez avoir autant de bonne › foi que nous, mais vous n'en sauriez avoir davantage : vous pouvez être plus éclairés, mais vous n'êtes pas infaillibles. Qui jugera › donc entre les deux partis? sera-ce vous? › Cela n'est pas juste. Bien moins sera-ce nous, » qui nous défions si fort de nous-mêmes. Laissons donc cette décision au Juge commun › qui nous entend; et puisque nous sommes › d'accord sur les règles de nos devoirs réci› proques, supportez-nous sur le reste comme nous vous supportons. Soyons hommes de paix, soyons frères; unissons-nous dans l'amour de notre commun maitre, dans la pratique des vertus qu'il nous prescrit. Voilà ce qui fait le vrai chrétien.

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Croyez-vous, monsieur, qu'une controverse ainsi traitée sera fort animée et fort longue, et qu'une des parties ne sera pas bientôt réduite au silence quand l'autre ne voudra point disputer? Si nos prosélytes sont maîtres du pays où ils

(1) Où en seroient les simples fidèles, si l'on ne pouvoit savoir cela que par des discussions de critique, ou par l'autorité des pasteurs? de quel front ose-t-on faire dépendre la foi de

tant de science ou de tant de soumission?

(*) Ce nom leur fut donné quelques années après à Antioche pour la première fois.

| vivent, ils établiront une forme de culte aussi simple que leur croyance, et la religion qui résultera de tout cela sera la plus utile aux hommes par sa simplicité même. Dégagée de tout ce qu'ils mettent à la place des vertus, et, n'ayant ni rites superstitieux ni subtilites dans la doctrine, elle ira tout entière à son vrai but, qui est la pratique de nos devoirs. Les mots de dévot et d'orthodoxe y seront sans usage ; la monotonie de certains sons articulés n'y sera pas la piété; il n'y aura d'impie que les méchans, ni de fidèles que les gens de bien.

Cette institution une fois faite, tous seront obligés par les lois de s'y soumettre, parce qu'elle n'est point fondée sur l'autorité des hommes, qu'elle n'a rien qui ne soit dans l'ordre des lumières naturelles, qu'elle ne contient aucun article qui ne se rapporte au bien de la société, et qu'elle n'est mèlée d'aucun dogme inutile à la morale, d'aucun point de pure spéculation.

Nos proselytes seront-ils intolérans pour cela? Au contraire, ils seront tolérans par principe; ils le seront plus qu'on ne peut l'être dans aucune autre doctrine, puisqu'ils admettront toutes les bonnes religions qui ne s'admettent pas entre elles, c'est-à-dire toutes celles qui, ayant l'essentiel qu'elles négligent, font l'essentiel de ce qui ne l'est point. En s'attachant, eux, à ce seul essentiel, ils laisseront les autres en faire à leur gré l'accessoire, pourvu qu'ils ne le rejettent pas, ils les laisseront expliquer ce qu'ils n'expliquent point, décider ce qu'ils ne décident point. Ils laisseront à chacun ses rites, ses formules de foi, sa croyance; ils diront : Admettez avec nous les principes des devoirs de l'homme et du citoyen; du reste, croyez tout ce qu'il vous plaira. Quant aux religions qui sont essentiellement mauvaises, qui portent l'homme à faire le mal, ils ne les toléreront point, parce que cela même est contraire à la véritable tolérance, qui n'a pour but que la paix du genre humain. Le vrai tolérant ne tolère point le crime, il ne tolère aucun dogme qui rende les hommes méchans.

Maintenant supposons, au contraire, que nos prosélytes soient sous la domination d'autrui : comme gens de paix, ils seront soumis aux lois de leurs maîtres, même en matière de religion, à moins que cette religion ne fût es

sentiellement mauvaise; car alors, sans outrager ceux qui la professent, ils refuseroient de la professer. Ils leur diroient: Puisque Dieu nous appelle à la servitude, nous voulons être de bons serviteurs, et vos sentimens nous empêcheroient de l'être nous connoissons nos devoirs, nous les aimons, nous rejetons ce qui nous en détache : c'est afin de vous être fidèles que nous n'adoptons pas la loi de l'iniquité.

Mais si la religion du pays est bonne en ellemême, et que ce qu'elle a de mauvais soit seulement dans des interprétations particulières, ou dans des dogmes purement spéculatifs, ils s'attacheront à l'essentiel, et toléreront le reste, tant par respect pour les lois que par amour pour la paix. Quand ils seront appelés à déclarer expressément leur croyance, ils le feront, parce qu'il ne faut point mentir; ils diront au besoin leur sentiment avec fermeté, même avec force; ils se défendront par la raison, si on les attaque. Du reste, ils ne disputeront point contre leurs frères ; et, sans s'obstiner à vouloir les convaincre, ils leur resteront unis par la charité, ils assisteront à leurs assemblées, ils adopteront leurs formules, et, ne se croyant pas plus infaillibles qu'eux, ils se soumettront à l'avis du plus grand nombre en ce qui n'intéresse pas leur conscience et ne leur paroît pas importer au salut.

Voilà le bien, me direz-vous; voyons le mal. Il sera dit en peu de paroles. Dieu ne sera plus l'organe de la méchanceté des hommes. La religion ne servira plus d'instrument à la tyrannie des gens d'église et à la vengeance des usurpateurs; elle ne servira plus qu'à rendre les croyans bons et justes : ce n'est pas là le compte de ceux qui les mènent; c'est pis pour eux que

si elle ne servoit à rien.

Ainsi donc la doctrine en question est bonne au genre humain, et mauvaise à ses oppresseurs. Dans quelle classe absolue la faut-il mettre? J'ai dit fidèlement le pour et le contre; comparez, et choisissez.

Tout bien examiné, je crois que vous conviendrez de deux choses: l'une, que ces hommes que je suppose se conduiroient en ceci très-conséquemment à la Profession de foi du vicaire; l'autre, que cette conduite seroit nonseulement irréprochable, mais vraiment chrétienne, et qu'on auroit tort de refuser à ces

hommes bons et pieux le nom de chrétiens, puisqu'ils le mériteroient parfaitement par leur conduite, et qu'ils seroient moins opposés par leurs sentimens à beaucoup de sectes qui le prennent, et à qui on ne le dispute pas, que plusieurs de ces mêmes sectes ne sont opposées entre elles. Ce ne seroient pas, si l'on veut, des chrétiens à la mode de saint Paul, qui étoit naturellement persécuteur, et qui n'avoit pas entendu Jésus-Christ lui-même; mais ce seroient des chrétiens à la mode de saint Jacques, choisi par le maître en personne, et qui avoit reçu de sa propre bouche les instructions qu'il nous transmet. Tout ce raisonnement est bien simple, mais il me paroît concluant.

Vous me demanderez peut-être comment on peut accorder cette doctrine avec celle d'un homme qui dit que l'Évangile est absurde et pernicieux à la société? En avouant franchement que cet accord me paroit difficile, je vous demanderai à mon tour où est cet homme qui dit que l'Évangile est absurde et pernicieux. Vos messieurs m'accusent de l'avoir dit : et où ? Dans le Contrat social, au chapitre de la religion civile. Voici qui est singulier! Dans ce même livre et dans ce même chapitre je pense avoir dit précisément le contraire; je pense avoir dit que l'Évangile est sublime, et le plus fort lien de la société (1). Je ne veux pas taxer ces messieurs de mensonge; mais avouez que deux propositions si contraires dans le même livre et dans le même chapitre doivent faire un tout bien extravagant.

N'y auroit-il point ici quelque nouvelle équivoque, à la faveur de laquelle on me rendit plus coupable ou plus fou que je ne suis? Ce mot de société présente un sens un peu vague: il y a dans le monde des sociétés de bien des sortes, et il n'est pas impossible que ce qui sert à l'une nuise à l'autre. Voyons: la méthode favorite de mes agresseurs est toujours d'offrir avec art des idées indéterminées; continuons pour toute réponse à tâcher de les fixer.

Le chapitre dont je parle est destiné, comme on le voit par le titre, à examiner comment les institutions religieuses peuvent entrer dans la constitution de l'état. Ainsi ce dont il s'agit ici n'est point de considérer les religions comme

(1) Contrat social. ( Voyez tome 1, page 696)

vraies ou fausses, ni même comme bonnes ou mauvaises en elles-mêmes, mais de les considérer uniquement par leurs rapports aux corps politiques, et comme parties de la législation. Dans cette vue, l'auteur fait voir que toutes les anciennes religions, sans en excepter la juive, furent nationales dans leur origine, appropriées, incorporées à l'état, et formant la base, ou du moins faisant partie du système législatif. Le christianisme, au contraire, est dans son principe une religion universelle, qui n'a rien d'exclusif, rien de local, rien de propre à tel pays plutôt qu'à tel autre. Son divin auteur, embrassant également tous les hommes dans sa charité sans bornes, est venu lever la barrière qui séparoit les nations, et réunir tout le genre humain dans un peuple de frères: Car, en toute nation, celui qui le craint et qui s'adonne à la justice lui est agréable ('). Tel est le véritable esprit de l'Évangile.

Ceux donc qui ont voulu faire du christianisme une religion nationale et l'introduire comme partie constitutive dans le système de la législation, ont fait par là deux fautes nuisibles, l'une à la religion, et l'autre à l'état. Ils se sont écartés de l'esprit de Jésus-Christ, dont le règne n'est pas de ce monde; et, mêlant aux intérêts terrestres ceux de la religion, ils ont souillé sa pureté céleste, ils en ont fait l'arme des tyrans et l'instrument des persécuteurs. Ils n'ont pas moins blessé les saines maximes de la politique, puisqu'au lieu de simplifier la machine du gouvernement, ils l'ont composée, ils lui ont donné des ressorts étrangers, superflus; et, l'assujettissant à deux mobiles différens, souvent contraires, ils ont causé les tiraillemens qu'on sent dans tous les états chrétiens où l'on a fait entrer la religion dans le système politique.

Le parfait christianisme est l'institution sociale universelle; mais, pour montrer qu'il n'est point un établissement politique, et qu'il ne concourt point aux bonnes institutions particulières, il falloit ôter les sophismes de ceux qui mêlent la religion à tout, comme une prise avec laquelle ils s'emparent de tout. Tous les établissemens humains sont fondés sur les passions humaines, et se conservent par elles: ce qui

(') Act. X, 33.

| combat et détruit les passions n'est donc pas propre à fortifier ces établissemens. Comment ce qui détache les cœurs de la terre nous donneroit-il plus d'intérêt pour ce qui s'y fait? comment ce qui nous occupe uniquement d'une autre patrie nous attacheroit-il davantage à celle-ci?

Les religions nationales sont utiles à l'état comme parties de sa constitution, cela est incontestable; mais elles sont nuisibles au genre humain, et même à l'état dans un autre sens : j'ai montré comment et pourquoi.

Le christianisme, au contraire, rendant les hommes justes, modérés, amis de la paix, est très-avantageux à la société générale; mais il énerve la force du ressort politique, il complique les mouvemens de la machine, il rompt l'unité du corps moral; et ne lui étant pas assez approprié, il faut qu'il dégénère, ou qu'il demeure une pièce étrangère et embarrassante.

Voilà donc un préjudice et des inconvéniens des deux côtés relativement au corps politique. Cependant il importe que l'état ne soit pas sans religion, et cela importe par des raisons graves, sur lesquelles j'ai partout fortement insisté; mais il vaudroit mieux encore n'en point avoir, que d'en avoir une barbare et persécutante, qui, tyrannisant les lois mêmes, contrarieroit les devoirs du citoyen. On diroit que tout ce qui s'est passé dans Genève à mon égard n'est fait que pour établir ce chapitre en exemple, pour prouver par ma propre histoire que j'ai très-bien raisonné.

Que doit faire un sage législateur dans cette alternative? De deux choses l'une la première, d'établir une religion purement civile, dans laquelle, renfermant les dogmes fondamentaux de toute bonne religion, tous les dogmes vraiment utiles à la société, soit universelle, soit particulière, il omette tous les autres qui peuvent importer à la foi, mais nullement au bien terrestre, unique objet de la législation: car comment le mystère de la Trinité, par exemple, peut-il concourir à la bonne constitution de l'état? en quoi ses membres serontils meilleurs citoyens quand ils auront rejeté le mérite des bonnes œuvres? et que fait au lien de la société civile le dogme du péché originel? Bien que le vrai christianisme soit une institution de paix, qui ne voit que le christianisme

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