Page images
PDF
EPUB

HISTOIRE

DES FORÊTS.

Les forêts, les plaines ou les déserts, les montagnes et les plages forment les traits les plus frappants dans la physionomie d'un pays. Ce sont comme les grandes lignes auxquelles se rattachent une foule de lignes secondaires. Aussi les anciens, observateurs peu attentifs de la nature et voyageurs peu soucieux de nous faire connaître le caractère pittoresque des pays qu'ils ont décrits, ont-ils cependant manqué rarement de nous signaler ces caractères principaux du sol.

Les forêts frappent surtout les regards par la majesté de leur aspect, le caractère imposant de leur masse, les teintes diverses dont elles colorent le paysage. Elles forment dans le vaste tableau de la nature les parties les plus remarquables. La végétation, cette admirable parure de notre globe, n'a pas de produits plus magnifiques. En effet, l'arbre est le représentant le plus élevé du règne

végétal, comme l'homme l'est du règne animal. Ces troncs uniques qui se ramifient à une certaine hauteur en étendant au loin leurs branches et leur feuillage, ou ces stipes qui semblent des fûts gigantesques dont le stylobate se cache dans le sol, sont les plus beaux enfants que la terre tire de son sein. Ces aînés de la famille végétale semblent exercer sur les plantes plus humbles, les arbrisseaux, les arbustes ou les chaumes débiles, un empire que nul ne leur dispute. Ils abritent de leur ombre mille plantes chétives; ils portent sur leur tige des lianes qui ne sont point assez fortes pour se soutenir par elles-mêmes. Répandus sur toute la surface du globe, mais plus élancés sous les tropiques, plus vigoureux sous les zones tempérées, moins élevés près des pôles, ils reflètent constamment par leur port, leur physionomie, le caractère du sol, de la température, du climat dans la dépendance desquels ils sont étroitement placés. C'est en examinant les arbres d'une contrée, en considérant l'aspect de ses forêts, que l'on peut apprécier à quelle région botanique cette contrée appartient. Les arbres, soit en masse, soit isolés, constituent en quelque sorte les jalons qui servent à limiter les circonscriptions végétales de notre globe. Ils sont comme les pavillons qu'on hisse aux portes des villes, et qui sont destinés à annoncer par leurs couleurs à quel État ces villes appar

tiennent.

Les lignes qui, sur la mappemonde, indiquent les zones entre lesquelles croissent les principaux arbres, sont donc, jusqu'à un certain point, pour la végétation, ce que l'équateur, les tropiques, les divers parallèles sont pour les climats; elles tracent les frontières que la main du Créateur a assignées à chaque contrée botanique. De même les lignes verticales qui marquent les diverses altitudes auxquelles s'élèvent, sur les montagnes, les arbres des forêts, sont autant d'autres frontières que chaque espèce de végétation a reçues dans le sens de la hauteur. Qu'on jette les yeux sur la carte que M. Gand a donnée de la végétation forestière1 en Europe, et l'on reconnaîtra l'exactitude de ces remarques. La ligne du chêne liége, combinée avec celle du chêne à glands doux, trace la limite supérieure de la végétation méditerranéenne. La ligne du châtaignier celle de la végétation de la zone tempérée moyenne, la ligne du hêtre celle de la zone froide inférieure, la ligne du pin sylvestre celle de la zone froide supérieure, enfin celle du bouleau l'extrême frontière de toute végétation.

Les altitudes auxquelles atteignent les principales essences, offrent des résultats du même genre. Si nous prenons pour exemple les Apennins, nous voyons d'abord le quercus ilex et le quercus suber

1 Annales forestières, t. IV, p. 89 et suiv., et la carte annexée à ce volume.

[ocr errors]

servir de bornes à la région maritime, qui n'excède pas 600 mètres au-dessus du niveau de la Méditerranée, et que caractérisent les cistes, les myrtes, les pistachiers et une foule de labiées et de caryophyllées. Au-dessus, les chênes et les châtaigniers marquent cette région où les arbres verts ont disparu et dans laquelle apparaissent les plantes du nord de l'Europe. C'est le premier étage forestier. Au second étage, les quercus robur et cerris font place aux hêtres et annoncent la région de l'atropa belladona. Le pinus sylvestris montre alors son sombre feuillage et sa tige pyramidale, dont la hauteur sert comme d'échelle à la végétation; il se réduit aux proportions d'un arbre rabougri, quand le sol de l'Apennin ne donne plus naissance qu'à des arbrisseaux tels que le vaccinium myrtillus, l'arbutus uva ursi, le juniperus nana, présage de la région des neiges et de la stérilité1.

Ces frontières verticales varient de hauteur et de nature suivant les latitudes et les climats. Par exemple, dans les Andes, la végétation s'élève plus haut qu'en Europe; et les sentinelles qui gardent en quelque sorte la frontière de chaque région, ne sont pas les mêmes dans les Alpes, les Pyrénées, les Car

1

Voy. à ce sujet H. Berghaus, Allgemeine Lander-undVoelkerkunde, t. III, p. 107, 108 (Stuttgart, 1838), et Schouw, Des Conifères de l'Italie, dans les Annales des Sciences naturelles, t. III, p. 245 (Paris, 1845).

pathes, l'Himalaya, l'Altaï ou le Caucase, les Apalaches, les Alleghanies et les Montagnes rocheuses.

Les forêts offrent dans chaque contrée du globe un cachet particulier. Chaque région reçoit de ses forêts une physionomie propre ; celles-ci à leur tour prennent un caractère d'autant plus tranché que les régions le sont davantage, eu égard à la distribution de la chaleur, de la lumière, et aux diverses conditions climatologiques. Pour en convaincre le lecteur, nous allons jeter un coup d'œil rapide sur les principaux districts forestiers de la terre. Commençons par cette vaste région qui s'étend du versant méridional de l'Himalaya jusqu'à la mer des Laquedives et des Indes, terre antique où la vie s'est développée depuis l'époque la plus reculée et dans laquelle la nature a semé à profusion la vie végétale. L'Hindoustan a des forêts qui ont résisté aux progrès de la civilisation et qui forment un des traits les plus distincts de ce pays. La végétation y reflète l'ardeur dévorante du ciel sous lequel elle se développe. Parmi ces forêts, les unes présentent des rangées pressées des grandes essences de ces climats. Le bois de tek (tectonia grandis), qui forme à lui seul de vastes forêts, le tamarin, le mango. (mango mangifera), l'ébénier, les bambousiers, auxquels se joignent parfois le palmier-éventail (borassus flabelliformis), et d'autres espèces de la même famille (elate sylvestris), couvrent de leurs tiges élancées les premiers étages des Nilgher

« PreviousContinue »