Page images
PDF
EPUB

Bretagne que Gugemer, étant en chasse, trouva la fée qui joue un si grand rôle dans sa mystérieuse aventure1. C'est dans une autre forêt que Graelent vit celle qui l'enleva dans son séjour d'Avallon'. On connaît les merveilles de la forêt de Brécheliande, dont nous parlerons plus loin, et où résidait l'enchanteur Merlin. En Lorraine, un petit bois, sur la route de Tarquimpol à Marsal, porte encore le nom de Haye des Fées. Une dame blanche ou fée se montrait, au dire des paysans, près des forêts qui environnaient la Roche au Diable, où un menhir appelé Kunkel, la Quenouille, atteste l'existence ancienne du culte druidique'. La célèbre Roche aux Fées, se trouvait jadis dans la forêt du Teil en Bretagne; mais aujourd'hui son emplacement a été déboisé. C'était au pied des arbres que les fées aimaient à se montrer. Témoin cet arbre aux fées où, au temps de Jeanne d'Arc, les superstitieux habitants de Domremy faisaient chanter la messe pour éloigner ces esprits malfaisants".

1

1 Voy. le Lai de Gugemer, dans les Poésies de Marie de France, publiées par de Roquefort, t. I, p. 54.

2 Voy. le Lai de Graelent, dans les Poésies de Marie de France, t. I, p. 538, 539.

3 Voy. H. Lepage, Le département de la Meurthe, t. II, p. 247.

t. II

Ce lieu est près d'Abreschwiller. Voy. H. Lepage, o. c., , P. 6.

Mémoires de l'Académic celtique, t. V, p. 379, 381.

Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du roi,

Ce sont là autant de souvenirs de l'antique vénération des Gaulois pour les forêts.

Le Jura devait déployer, il y a deux mille ans, une majestueuse horreur. Sa configuration particulière, son sol calcaire, éminemment propre à la croissance des arbres, en faisaient un digne pendant de l'Ardenne et de l'Hercynie. Les six à huit chaînes parallèles dont il se compose comprennent une longueur de quatre-vingts à quatre-vingt dix lieues, sur une largeur de dix à quinze, et se terminent à l'ouest au mont Vouache, dans le territoire des Allobroges, et à l'est au Randenberg, près de la ville actuelle de Schaffouse, vers le territoire des Rauraci; elles offraient autant de défilés impénétrables, bordés d'épaisses forêts. Des sommets de la Dôle, du Chasseral, du Chaumont et du Weissenstein, ces forêts descendaient jusqu'au fond des larges vallées longitudinales qui, semblables à de larges ravins, séparent les crêtes parallèles; elles garnissaient les cluses et masquaient les torrents'. Des vents glacés, le Joran ou le Juran et la Montaine' qui soufflent encore dans ces contrées du nord, du

t. III, p. 300. Procès de Jeanne d'Arc, publié par Laverdy. J. Quicherat, Procès de Jeanne d'Arc, t. I, p. 67 et suiv.; t. II, p. 390 et suiv.

1

Voy. J. Thurmann, Essai sur les soulèvements jurassiques de Porentruy (Paris, 1832, p. 47).

2 Voy. sur ces vents, J. Thurmann, Essai de phytostatique appliquée à la chaîne du Jura, t. I, p. 69 (Berne, 1849).

nord-ouest, et de l'est, s'enfilaient dans ces défilés et y glaçaient les voyageurs assez osés pour s'y hasarder. Aujourd'hui des villages ont remplacé, au fond de ces vallons, les arbres qui les tapissaient. Les petits cours d'eau qui traversent ces ouvertures, la fertilité du sol ont appelé les habitants. En parcourant les grandes vallées du Jura français, celles du Doubs, de Dessoubre ou Val de Consolation, celle de la Loue, on reconnaît des traces d'antiques forêts qui bordaient les rives de ces rivières torrentielles. Les belles forêts de la Chaux et de la Serre, situées aux environs de Dôle, doivent être regardées comme les derniers vestiges du Saltus sequanus2.

Ces forêts étaient coupées par des lacs dont le fond, aujourd'hui incomplétement desséché, s'est transformé en tourbières, dans lesquelles les eaux ont entraîné les troncs qui s'élevaient jadis pleins de séve sur la pente des montagnes. Plusieurs de ces lacs étaient consacrés aux divinités gauloises,

1

' Voy. Girod-Chantrans, Essai sur la géographie physique du département du Doubs, t. I, p. 21.

2 Pyot, Statistique générale du Jura, p. 441 (Lons-le-Saulnier, 1838).

3 Voy. Guyétant, Tableau de l'état actuel de l'économie rurale dans le Jura, p. 25, in-8° (Lons-le-Saulnier, 1834). J. Thurmann, Essai cité, t. I, p. 167. Presque tous ces lacs ou tourbières sont situés vers 800 mètres au-dessus du niveau de la mer, au milieu de forêts d'épicéas.

ainsi que l'indiquent les antiquités qui y ont été découvertes'. Aux environs de Luxeuil, célèbre par le culte de Luxovius, dieu qui présidait à ses eaux thermales, s'étendaient des forêts qui furent longtemps le théâtre du druidisme. «< Ibi imaginum "( lapidearum densitas, » écrit Jonas3, « vicina sal<< tus densabat quas cultu miserabili rituque profano « vetusta paganorum tempora honorabant. »

Les forêts qui entouraient l'antique Bibracte formaient un des principaux sanctuaires du druidisme, dont le mont Dru, situé au voisinage d'Autun, rappelle encore le nom. Une charte de Louis d'Outremer, publiée par la société Éduenne3, désignent ces forêts sous le nom de forêts de la Montagne.

Les forêts du Jura ou du pays des Helvétiens n'étaient séparées que par le Rhin de la forêt Marciane (silva Marciana), appelée aujourd'hui Schwarzwald, la forêt Noire. Celle-ci s'étendait du pays des Rauraci, près duquel se trouve son point culminant, que l'on désigne encore sous le nom de Horn von Schwarzwald', jusqu'à cette partie de la

1 Cf. Ed. Clerc, La Franche-Comté à l'époque romaine, p. 156 (Besançon, 1847).

* Vita S. Columbani, ap. Acta S. S. ordinis S. Bened., II, p. 13.

* Ann. 1839, p. 34.

* Cf. Martin Gerberti, Historia nigræ silvæ ordinis S. Benedicti coloniæ, t. I, p. 12, in-4°, 1783.

Souabe où le Danube prend sa source. Julien la traversa en entier pour aller reconnaître la source de l'Ister1. Au delà de la silva Marciana, après avoir traversé le pays des Chatuori et des Curiones, on trouvait la forêt Gabrete (silva Gabreta ou Gabrita', placée au sud des montes Sudeti dont elle recouvrait le versant méridional. Plus loin, en allant vers le pays des Quades, on rencontrait la silva Luna', qui se terminait aux montes Sarmatorum. Au nord de cette forêt était la célèbre forêt Hercynienne (silva Hercynia ou Orcynia), l'Ardenne de l'Allemagne, qui faisait l'étonnement de l'empereur Julien. Le nom de cette majestueuse forêt était souvent appliqué à l'ensemble de toutes les forêts qui couvraient la partie centrale de la Germanie. César donne évidemment à cette forêt cette vaste étendue, puisqu'il la fait commencer au pays des Helvétiens, des Némètes et sur les fron

1 Ammian. Marcel., XXI, 8, 9.

2 Cette forêt paraît être le Thuringer-Wald. Strabon, VII, 1, S 5; Ptolemæus, Geog., II, xI.

3 Zoúdnτα opn, les monts Sudètes, aujourd'hui le Boehmerwald. Ces montagnes se joignaient à l'Asciburgium Mons, le Riesengebirge actuel, jadis couvert de forêts.

'H Aoúva λn, Ptolem., Geog., II, XI.

5 Voy. sur cette forêt la Geographie der Griechen und Roemer, de M. F.-A. Ukert, t. III, part. 1, p. 111, et l'ouvrage de M. Karl Barth, intitulé: Teutschlands Urgeschichte, 2o édit., t. III, p. 90.

Julian. imp. Epistol. LXII, ap. Suidas, s. v. xpua.

« PreviousContinue »