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le résultat des idées religieuses, et que le désir de jouir plus librement de la vue du ciel et d'en apercevoir plus facilement les auspices, en ait été la cause'. Il est bien plus naturel de croire que ce furent les premiers progrès de l'agriculture qui amenèrent le commencement de cette guerre que l'homme a déclarée aux arbres, puisque, comme nous le disions plus haut, la destruction de la végétation forestière est d'autant plus complète en un pays que ce pays est plus anciennement cultivé. Mais si les forêts étaient l'image de la nature, de la vie sauvages, elles étaient aussi l'emblème de cette vie primitive, de cet état primordial dont le souvenir a été entouré chez tous les peuples d'idées religieuses. Les forêts, par leur caractère lugubre et sombre, les arbres, par la majesté de leur port, la durée de leur existence, entretenaient dans l'esprit superstitieux des premiers hommes un profond sentiment de crainte et de vénération. Aussi les. voit-on jouer un rôle dans le culte de presque tous les anciens peuples. A l'époque du fétichisme où du naturalisme, état par lequel ont débuté presque toutes les religions, les végétaux arborescents sont adorés comme des divinités, ou regardés du moins comme leur demeure.

Cette terreur qui peuple les forêts d'êtres divins, mystérieux, de puissances cachées et terribles, est

1 La Science nouvelle, trad. nouv. (Paris, 1844), p. 188.

née du sentiment d'effroi que ces forêts font éprouver à l'homme; en lui donnant par leur majesté, conscience de sa faiblesse, elles élèvent sa pensée vers la divinité : « Si tibi occurit vetustis arboribus, » écrit Sénèque1, «< et solitam altitudinem egressis fre<< quens lucus, illa proceritas silvæ et secretum loci << et admiratio umbræ fidem numini facit. >>

Ce silence solennel qui règne au sein des forêts engageait l'homme au recueillement et le portait davantage au sentiment religieux que des simulacres brillants d'or ou d'ivoire. « Hæc fuere numinum «<templa, priscoque ritu simplicia rura, etiam << nunc Deo præcellentem arborem dicant. Nec ma«< gis auro fulgentia atque ebore simulacra quam «< lucos et in iis silentia ipsa adoramus'. »

A ces motifs vint se joindre le sentiment de l'utilité des arbres, la pensée des services que les forêts pouvaient rendre encore. On couvrit alors de la protection de la religion celles qui avaient échappé aux premières destructions. En beaucoup de contrées, ce furent les arbres fruitiers dont la conservation importait si fort au bien-être de la société, qui furent regardés comme sacrés. Dans la Polynésie, le Tabou protégeait l'arbre à pain et garantissait ainsi aux peuplades sauvages leur subsistance qu'elles tirent en grande partie de cet arbre.

1 Lib. V, ep. IV.

Plin. Hist. nat., lib. XII, c. 1.

Le culte des forêts, des bocages, des arbres s'offre, avons-nous dit, au berceau de toutes les sociétés. C'est ce que nous démontrent les témoignages historiques. La Bible en maints passages1 nous parle du culte idolâtre que l'on célébrait dans les bocages et sous les arbres verts. L'arbre de vie et l'arbre de la science du bien et du mal, que la Genèse place dans le paradis terrestre, semblent appartenir à des temps où les Israélites avaient les mêmes croyances superstitieuses et prétaient aux arbres une intelligence, une vertu prophétique. C'est ce que confirment certaines traditions rabbiniques. L'une d'elles dit par exemple que, lorsque le serpent s'approcha de l'arbre, celui-ci cria: «< Impie, ne t'approche pas de moi. »

C'est au bocage de Mamré qu'Abraham éleva un autel à Jéhovah. C'est là que ce dieu se révéla à lui3. Au Ive siècle de notre ère, on rendait encore dans ce bocage, sous les chênes qui l'ombrageaient, un culte aux génies, aux anges qui s'y étaient rendus visibles*.

1 Exod. xxxiv, 13; Deuteron. XVI, 21, 11; II Reg. xvii, 10, 16; xvi, 4; Isaïe, 1, 29.

Bartoloccii, Biblioth. magn. Rabbin. 1, p. 322.

8 Genes., XIII, 18, XV, 7 et suiv.

*Ce lieu portait le nom de Térébinthe. Voy. Sozomen., Histor. eccles., lib. II, c. iv. Nous comptons donner des détails nouveaux à ce sujet, dans l'Histoire de la destruction du paganisme en Orient, que nous ne tarderons pas à faire paraître.

Avant l'établissement de l'islamisme, les habitants de Nadjran, dans l'Yemen, rendaient un culte à un énorme dattier, autour duquel ils célébraient, tous les ans, une fête solennelle et qu'ils chargeaient de vêtements et d'étoffes précieuses1.

Le culte des arbres en Perse, sur lequel Chardin et sir William Ouseley nous ont donné de si curieux détails, semble se conserver dans ce pays depuis l'antiquité la plus reculée. Ces arbres vénérés portent le nom de Dirakht i fazel, les excellents arbres; on les couvre de clous, d'ex-voto, d'amulettes, de guenilles, et les derviches et les fakirs viennent se placer sous leur ombre. Ce sont généralement des platanes ou des cyprès. Quelques-uns de ces arbres sont d'une extrême vieillesse. Près de Nakchouan, à Ardubad, en Arménie, est un orme qui a plus de mille ans d'existence et qui est l'objet du culte des habitants. Les crédules persans attribuent à leur vertu divine l'étonnante longévité de ces végétaux, sur lesquels la présence des hommes saints, qui viennent s'abriter sous leur feuillage, attire, disent-ils, les bénédictions du ciel. On brûle à leur pied de l'encens ou des cierges, pour obtenir la guérison des malades ou l'accomplissement de ses vœux. Ceux qui s'endorment à l'ombre de ces ar

1 W. Ouseley, Travels in various countries of the East, t. I, p. 369, 370 (Lond. 1819, in-4°).

2 W. Ouseley, o. c., t. I, p. 373.
3 W. Ouseley, o. c., t. III, p. 434.

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bres, s'imaginent dans leurs songes goûter les félicités réservées auxaoulia ou bienheureux. On connaît le célèbre cyprès de Passa, l'ancienne Pasagarde, qui était encore, il y a quelques années, l'objet d'un pèlerinage célèbre de la part des musulmans. Ces arbres reçoivent le nom de Pir, c'est-à-dire les anciens1 et on les regarde comme le séjour favori des âmes des élus. Une croyance analogue fait admettre que les forêts de Mazanderan, derniers vestiges de la végétation forestière de ces contrées, sont la résidence, le lieu de retraite des div2. Ce dernier trait achève de démontrer que cette croyance est un de ces restes du mazdéisme qui se sont conservés à travers l'islamisme, comme tant d'autres idées zoroastriennes. Le Zend-Avesta nous montre que les anciens Perses adoraient les saints ferouers ou esprits de l'eau et des arbres. Ces ferouers se plaçaient au-dessus des arbres et bénissaient leurs fruits. Ils étaient puissants et immortels.

Les Persans appellent encore certains arbres mubarek, c'est-à-dire sacrés; tels sont l'olivier, le dattier, le nakhl, le kharma. Un conifère porte chez

1 Pietro della Valle, Viaggi, lettera 16, di Luglio 1622.

2

Ouseley, o. c., t. I, p. 313; les div sont les dews ou δαίμονες perses.

3 Voy. Zend-avesta, trad. Anquetil Duperron, t. II, p. 257, 284, 286 et suiv.; E. Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, p. 380.

Ouseley, o. c. t. II, p. 330.

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