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petit développement et des rameaux assez grêles. Le chêne de ces forêts ne projette aussi qu'un petit nombre de rameaux, et ses feuilles, comme celles de toutes les essences de ce gouvernement, n'ont pas cette épaisseur qu'on admire dans les forêts de l'Orient, phénomène qui est en partie dû à la sécheresse constante de l'air'.

Ces forêts d'essences particulières, telles que pins, bouleaux, tilleuls, chênes, etc., ont reçu chacune dans la langue russe des noms spéciaux qui expriment la nature de leurs essences. La richesse de cette langue pour exprimer l'idée de forêt, démontre l'antique prédominance des forêts dans ce pays. Ainsi on appelle pichtovnikk, une forêt de sapins; bereznikk, une forêt de bouleaux; luiva, une forêt épaisse placée sur un marais; debre, une forêt placée dans un bas-fond; borr, une forêt de pins et de bouleaux située dans une contrée sablonneuse; doubrava, une forêt de haute futaie, etc. Jadis, lorsque la France présentait un état forestier analogue à celui de la Russie actuelle, notre langue désignait aussi par des noms spéciaux chaque genre de forêt; on disait une chesnaie, une aulnaie, une vernaie, une boulaie, une popelinière, une fresnaie, expressions qui sont tombées

1 Comte Wargas de Bedemar, Untersuchungen über den Bestand und Nachwuchs der Waelder der Tulaer Gouvernements, ap. Erman, Archiv fur wissenschaftliche Kunde von Russland, th. VI, part. 1, p. 18, 24, 27 (Berlin, 1847).

en désuétude, dès que les forêts n'ont plus guère offert que des mélanges de toutes ces essences.

La Lithuanie forme une vaste marche frontière qui sépare la Russie de la Pologne; c'est là que se trouve cette célèbre forêt de Bialowiéza qui s'étend dans tout le district de Bialistock et qui sert encore de refuge aux derniers urus de l'Europe orientale. Cette forêt est la seule en ce pays qui soit encore digne du nom de foret vierge, car elle restait, il y a quel ques années, abandonnée à l'action de la nature, et la science forestière ne pourvoyait point à son aménagement. C'est entre ces futaies séculaires qui ombragent la source de la Narew que l'urus erre de compagnie avec le buffle et l'élan. C'est à côté de cette nature toute primitive que subsiste une population à part, les Ruskes, presque aussi sauvages que les animaux qui les entourent'. Dans plusieurs forêts de la Lithuanie le hêtre a complétement disparu; les pins, les bouleaux et les chênes remplacent cette essence'. En Esthonie, en Courlande les tilleuls reparaissent et constituent de vastes forêts3.

Dans le voisinage de l'Oural, les bouleaux, les

1 Voy. sur cette curieuse forêt le Mémoire de M. Brinken, publié en 1825 à Varsovie, et analysé dans les Nouvelles annales des Voyages, 2a série, t. III (XXXIII), p. 277.

* Notamment dans les forêts de Sluzk. Voy. Thurmann, Essai de Phytostatique appliquée à la chaine du Jura, t. I, p. 391. Fr. Kruse, Urgeschichte des Esthnischese Volkstammes, p. 9 (Moskau, 1846).

mélèzes, les cèdres ont cessé de former des forêts distinctes, ils se mêlent à d'autres essences, aux sapins, qui aiment les terrains marécageux, aux pins qui croissent sur les terrains pierreux1.

En allant vers la Russie d'Asie, la ligne forestière n'est arrêtée que par l'extrême froid; ailleurs elle se propage avec une incroyable activité. Dans le gouvernement de Kasan, règnent des forêts exclusives de chênes; dans ceux d'Irkoutsk et de Tobolsk des forêts d'essences mêlées. Au nord prédominent les conifères, au sud le tilleul, le frêne et l'érable'. Les bords de l'Irtysche, du Barnaoul, de l'Aleï sont couverts de vastes forêts de sapins.

Avançons-nous vers l'Altaï, pénétrons dans la chaîne des monts Saïlougueme, et nous verrons reparaître des forêts plus vigoureuses que celles de la Sibérie. Les versants de l'Atbachi sont garnis de magnifiques amas de pinus cembra et de larix sibirica, tandis que le rhododendron davuricum, les bouleaux nains et les groseillers sauvages tapissent le fond de ses vallées. Dans le voisinage du lac Kara-Kol, sur les bords du Samadjir*, cette dernière essence se marie à l'abies pihta. Entre Ouspenka

1 Gr. von Helmersen, Reise nach dem Ural und der Kirgisen Steppe, p. 41 (Saint-Pétersb., 1841).

'Haxthausen, o. c., t. II, p. 466 et suiv.

P. de Tchihatcheff, Voyage scientifique dans l'Altaï oriental, p. 96.

Ibid., p. 147.

et le Tome, une forêt de peupliers noirs court sur les collines qui s'abaissent à mesure qu'elles s'approchent de cette rivière1. De l'Aleï aux bords de l'Irtysch, s'étendent de vastes forêts qui n'ont point encore été explorées. Si nous remontons maintenant dans les montagnes qui s'étendent dans le gouvernement de Jenisseï, entre les chaînes de Tazkil et de Sayansk, des essences nouvelles apparaissent dans les massifs forestiers et leur donnent un aspect plus ou moins monotone, ce sont les bouleaux verts qui mêlent leur feuillage à celui des bouleaux blancs, les sorbiers qui viennent prendre rang près de l'abies pihta1.

Lorsqu'on quitte les bords du Jenisseï et qu'on suit la route qui conduit de Minousinsk à la Touba, on retrouve une succession non interrompue de bois et des forêts. Les premiers sont composés d'agréables bouquets de bouleaux, de peupliers, de trembles et de saules. Les forêts moins riantes étaient jadis parcourues par les peuplades indigènes et leurs troupeaux de rennes3. Aujourd'hui c'est avec d'incroyables difficultés que le voyageur peut franchir ces marches forestières qui séparent les pays de steppes*. Les unes dé

1 Ibid., p. 235.

* Ibid., p. 161.

3

Voy. le Voyage ethnologique de M. Castren en Sibérie, Nouvelles Annales des Voyages, 5a série, 5° année (1849), p. 262. * Voy. l'intéressant récit de M. Castren.

ploient des lignes non interrompues de conifères, de pins et de sapins; ce sont celles qui reçoivent dans le pays le nom de forêts noires, les autres appelées forêts blanches dressent comme autant de mâts de longues files de bouleaux 1.

Malgré cette vaste étendue forestière, l'époque n'est pas encore bien reculée où ces forêts auront disparu et fait place à de maigres taillis, à des bouquets répandus çà et là sur la plaine labourée. Le paysan moscovite ne le cède à aucun autre peuple dans sa fureur imprévoyante de déboisement. Les pojégas' succèdent journellement aux forêts. Les sectaires qui vont chercher au fond des forêts un refuge contre la persécution religieuse, travaillent aussi de leur côté à la destruction des bois, et incendient les retraites qui les dérobent aujourd'hui

à la rigueur des lois.

la flamme allumée

Parfois ce n'est pas par le laboureur russe, mais l'incendie amené par l'insouciance du chasseur syrian ou sibérien, qui produit ces destructions funestes. La foudre a également déterminé ces combustions qui anéantissent en quelques jours des milliers d'arbres et de zibelines'. En

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* Les Russes appellent ainsi les terrains jadis boisés, rendus

labourables après qu'on a brûlé les souches.

3

Voy. sur ces sectaires appelés Roskolniki, Haxthausen, o. c., t. II, p. 251.

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Voy. sur ces incendies, produits par les feux que les chas

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