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LISETTE.

SCÈNE XI.

GÉRONTE, LISETTE.

Que le diable t'emporte! Non, je ne vis jamais animal de la sorte: A le bien mesurer, il n'est pas, que je crois,

Plus haut que sa seringue, et glapit comme trois.

Ces petits avortons ont tous l'humeur mutine.

GÉRONTE. Il ne revienda plus; son départ me chagrine.

LISETTE. Pour un, vous en aurez mille tout à la fois.

Un de mes bons amis, dont il faut faire choix,

Qui s'est fait depuis peu passer apothicaire,

M'a promis qu'à bon prix il ferait votre affaire,

Et qu'il aurait pour vous quelque sirop

à part,

Casse, séné, rhubarbe, et le tout de hasard,

Qui fera plus d'effet et de meilleur

ouvrage

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GERONTE. Je suis content de moi dans cette

occasion,

Et monsieur Clistorel a fort bonne raison. C'était la pierre au cou, la tête la premi

ère,

M'aller précipiter au fond de la rivière. LISETTE. Bon! c'était cent fois pis encor que tout cela. Mais enfin tout va bien.

SCÈNE II.

CRISPIN, en gentilhomme campagnard; GÉRONTE, LISETTE.

CRISPIN, dehors, heurtant. Holà ! quelqu'un, holà!

Tout est-il mort ici, laquais, valet, servante?

J'ai beau heurter, crier; aucun ne se pré

sente.

Le diable puisse-t-il emporter la maison! LISETTE. Eh! qui diantre chez nous heurte de la façon?

(Elle ouvre.)

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GÉRONTE. Cet homme assurément prétend me démembrer.

CRISPIN. Vous paraissez surpris autant qu'on le peut être.

Je vois que vous avez peine à me reconnaître;

Mes traits vous sont nouveaux; savezvous bien pourquoi ?

C'est que vous ne m'avez jamais vu. GÉRONTE. Je le croi. CRISPIN. Mais feu monsieur mon père, Alexandre Choupille,

Gentilhomme normand, prit pour femme une fille

Qui fut, à ce qu'on dit, votre sœur autrefois,

Et qui me mit au jour au bout de quatre mois.

Mon père se fâcha de cette diligence; Mais un ami sensé lui dit en confidence Qu'il est vrai que ma mère, en faisant ses enfants,

N'observait pas encore assez l'ordre des temps;

Mais qu'aux femmes l'erreur n'était pas inouïe,

Et qu'elles ne manquaient qu'à la chronologie.

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Qu'à tout considérer quelquefois j'en ai honte,

En me mettant au jour, soit disgrâce ou faveur,

M'a fait votre neveu, puisqu'elle est votre

sœur.

GÉRONTE. Apprenez, mon neveu, si par hasard vous l'êtes,

Que vous êtes un sot, aux discours que vous faites;

Ma sœur fut sage; et nul ne peut lui reprocher

Que jamais sur l'honneur on l'ait pu voir broncher.

CRISPIN. Je le crois; cependant, tant qu'elle fut vivante,

On tient que sa vertu fut un peu chancelante.

Quoi qu'il en soit enfin, légitime ou bâtard,

Soit qu'on m'ait mis au monde ou trop tôt ou trop tard,

Je suis votre neveu, quoi qu'en dise l'envie,

De plus votre héritier, venant de Nor

mandie

Exprès pour recueillir votre succession. GERONTE. C'est bien fait, et je loue assez l'intention.

Quand vous en allez-vous? CRISPIN.

Voudriez-vous me suivre? Cela dépend du temps que vous avez à

vivre.

Mon oncle, soyez sûr que je ne partirai Qu'après vous avoir vu bien cloué, bien

muré,

Dans quatre ais de sapin reposer à votre aise.

LISETTE, bas, à Géronte. Vous avez

un

neveu, monsieur, ne vous déplaise, Qui dit ses sentiments en pleine liberté. GÉRONTE, bas, à Lisette. A te dire le vrai, j'en suis épouvanté.

CRISPIN. Je suis persuadé, de l'humeur dont Vous êtes,

Que le succession sera des plus complètes,

Que je vais manier de l'or à pleine main:

Car vous êtes, dit-on, un avare, un vilain. Je sais que, pour un sou, d'une ardeur héroïque,

Vous vous feriez fesser dans la place publique.

Vous avez, dit-on même, acquis en plus d'un lieu

Le titre d'usurier et de fesse-mathieu. GÉRONTE. Savez-vous, mon neveu, qui tenez

ce langage,

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LISETTE. Ah! ciel! quel garnement!
GÉRONTE, bas.
CRISPIN.

Où suis-je ? Allons, ma mie, Au bel appartement mène-moi, je te prie. Est-il voisin du tien? Je te trouve à mon gré:

Et nous pourrons, la nuit, converser de plain-pied.

Bonne chère, grand feu; que la cave enfoncée

Nous fournisse à pleins broes une liqueur aisée;

Fais main basse sur tout: le bonhomme a bon dos;

Et l'on peut hardiment le ronger jusqu'aux os.

Mon oncle, pour ce soir, il me faut, je vous prie,

Cent louis neufs comptant, en avance d'hoirie; 1

Sinon demain matin, si vous le trouvez bon,

Je mettrai de ma main le feu dans la maison.

GÉRONTE, à part. Grands dieux! vit-on jamais insolence semblable?

LISETTE, bas, à Géronte. Ce n'est pas un neveu, monsieur, mais c'est un diable.

Pour le faire sortir employez la douceur. GÉRONTE. Mon neveu, c'est à tort qu'avec tant de hauteur

Vous venez tourmenter un oncle à l'agonie:

En repos laissez-moi finir ma triste vie, Et vous hériterez au jour de mon trépas. CRISPIN. D'accord. Mais quand viendra ce jour?

GÉRONTE. A chaque pas

L'impitoyable mort s'obstine à me poursuivre;

Et je n'ai, tout au plus, que quatre jours à vivre.

1 inheritance (law-term).

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LISETTE.
Ah! quel homme voilà!
Quel neveu vos parents vous ont-ils donné
là?

GÉRONTE. Ce n'est point mon neveu; ma sœur était trop sage

Pour élever son fils dans un air si sau

vage;

C'est un fieffé brutal, un homme des plus fous.

LISETTE. Cependant, à le voir, il a quelque air de vous:

Dans ses yeux, dans ses traits, un je ne sais quoi brille:

Enfin on s'aperçoit qu'il tient de sa famille.

GÉRONTE. Par ma foi, s'il en tient, il lui
fait peu d'honneur.
Ah! le vilain parent!
LISETTE.

Et vous auriez le cœur De laisser votre bien, une si belle somme, Vingt mille écus comptant, à ce beau gentilhomme.

GÉRONTE. Moi, lui laisser mon bien! j'aimerais mieux cent fois L'enterrer pour jamais.

LISETTE.

Ma fois, ne m'aperçois Que monsieur le neveu, si j'en crois mon

présage,

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j'aime,

Et que j'honore aussi cent fois plus que moi-même.

LISETTE, bas, à Éraste. Monsieur, c'est là Crispin.

ÉRASTE, bas, à Lisette. C'est lui, je le sais bien;

Nous avons eu là-bas un moment d'entretien.

GÉRONTE, à Éraste. Elle a de la douceur et de la politesse.

Qu'on donne promptement un fauteuil à ma nièce.

CRISPIN, au laquais de Géronte. Ne bougez, s'il vous plaît; le respect m'interdit. . .

(A Géronte, avec le ton du respect.) Un fauteuil près mon oncle! un tabouret

suffit.

(Le laquais donne un tabouret à Crispin.) GÉRONTE. Je suis assez content déjà de la

parente.

1 convoler, to remarry

ÉRASTE. Elle sait vraiment vivre, et sa taille est charmante.

(Le laquais donne un fauteuil à Géronte, une chaise à Éraste, un tabouret à Lisette, et sort.) CRISPIN. Fi done! vous vous moquez: je suis à faire peur.

Je n'avais autrefois que cela de grosseur: Mais vous savez l'effet d'un fécond mari

age,

Et ce que c'est d'avoir des enfants en bas âge:

Cela gâte la taille, et furieusement. LISETTE. Vous passeriez encor pour fille assurément.

CRISPIN. J'ai fait du mariage une assez triste épreuve :

A vingt ans mon mari m'a laissé mère et

veuve.

Vous vous doutez assez qu'après ce prompt trépas,

Et faite comme on est, ayant quelques

appas,

On aurait pu trouver à convoler 1 de reste;

Mais du pauvre défunt la mémoire funeste

M'oblige à dévorer en secret mes ennuis. J'ai bien de fâcheux jours, et de plus dures nuits:

Mais d'un veuvage affreux les tristes insomnies

Ne m'arracheront point de noires perfidies;

Et je veux chez les morts emporter, si je peux,

Un cœur qui ne brûla que de ses premiers

feux.

ÉRASTE. On ne poussa jamais plus loin la foi promise:

Voilà des sentiments dignes d'une Artémise.2

GÉRONTE, à Crispin. Votre époux, vous laissant mère et veuve à vingt ans,

Ne vous a pas laissé, je crois, beaucoup d'enfants.

CRISPIN. Rien que neuf; mais, le cœur tout gonflé d'amertume,

Deux ans encore après j'accouchai d'un posthume.

LISETTE. Deux ans après! voyez quelle fidélité!

On ne le croira pas dans la postérité. GÉRONTE, à Crispin. Peut-on vous demander, sans vous faire de peine,

2 Artemisia II, queen of Halicarnassus, renowned in history for her extraordinary grief at the death of her husband Mausolus (4th century B. C.)

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