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M. VANDERK PÈRE. Oui, monsieur.

M. DESPARVILLE PÈRE. Avant que j'aie pu rassembler quelques louis, je peux perdre un temps infini.

M. VANDERK PÈRE, au domestique. Retirez les deux sacs de 1,200 livres. Voici, monsieur, quatre rouleaux de vingt-cinq louis chacun; ils sont cachetés et comptés exactement.

M. DESPARVILLE PÈRE. Ah! monsieur, que vous m'obligez.

M. VANDERK PÈRE. Partez, monsieur; permettez-moi de ne pas vous reconduire.

M. DESPARVILLE PÈRE. Restez, restez, monsieur, je vous en prie. Vous avez affaire! Ah, le brave homme! Ah, l'honnête homme! Monsieur, mon sang est à vous. Restez, restez, restez, je vous en supplie. Ah, l'honnête homme!

SCÈNE V.

M. VANDERK PÈRE, seul.

Mon fils est mort. . . je l'ai vu là. . . et je ne l'ai pas embrassé. . . O, ciel! Antoine tarde bien. Que de peine sa naissance me préparait! Que de chagrin sa mère! ...

SCÈNE VI.

M. VANDERK PÈRE; DES MUSICIENS, DES CROCHETEURS chargés de basses, de contrebasses.

L'UN DES MUSICIENS. Monsieur, est-ce ici?

M. VANDERK PÈRE. Que voulez-vous? Ah ciel!

(Il les regarde en frémissant, et se renverse dans son fauteuil.) LE MUSICIEN. C'est qu'on nous dit de mettre ici nos instruments, et nous allons. . .

SCÈNE VII.

ANTOINE, LES ACTEURS PRÉCÉDENTS.

ANTOINE, entre, les prend, les pousse, les chasse avec fureur. Hé, mettez votre mu

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M. VANDERK PÈRE. Hé bien! ANTOINE. Ah, mon maître, tous deux! J'étais très loin; mais j'ai vu, j'ai vu. Ah, monsieur!

M. VANDERK PÈRE. Mon fils?

ANTOINE. Oui! Ils se sont approchés à bride abattue. L'officier a tiré, votre fils ensuite; l'officier est tombé d'abord, il est tombé le premier. Après cela, monsieur, ah! mon cher maître, les chevaux se sont séparés, je suis couru... je.

M. VANDERK PÈRE. Voyez si mes chevaux sont mis, faites approcher par la porte de derrière, venez m'avertir, courons-y, peutêtre n'est-il que blessé.

SCÈNE IX.

LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, VICTORINE. ANTOINE. Mort! mort! j'ai vu sauter son chapeau, mort!

VICTORINE. Mort! Son chapeau! Le chapeau de qui done? Mort! Ah, monsieur!

M. VANDERK PÈRE. Que demandez-vous? ANTOINE. Qu'est-ce que tu demandes? Sors d'ici tout à l'heure.

M. VANDERK PÈRE. Laissez-la. Allez, Antoine, faites ce que je vous dis. Que voulezvous, Victorine?

SCÈNE X.

M. VANDERK PÈRE, VICTORINE.

VICTORINE. Je venais demander si on doit faire servir, et j'ai rencontré un monsieur qui m'a dit que vous vous trouviez mal.

M. VANDERK PÈRE. Non, je ne me trouve pas mal. Où est la compagnie?

VICTORINE. On va servir.

M. VANDERK PÈRE. Tâchez de parler à Madame en particulier; vous lui direz que je suis à l'instant forcé de sortir, que je la prie de ne pas s'inquiéter, mais qu'elle fasse en sorte qu'on ne s'aperçoive pas de mon absence; je serai peut-être... Mais vous pleurez, Victorine.

VICTORINE. Mort! Eh, qui done? Monsieur votre fils?

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M. DESPARVILLE PÈRE. Oui, morbleu, il l'est.

M. VANDERK FILS. Je vous présente Messieurs Desparville.

M. VANDERK PÈRE. Messieurs.

M. DESPARVILLE PÈRE. Monsieur, je vous présente mon fils... N'était-ce pas mon fils, n'était-ce pas lui justement qui était son adversaire!

M. VANDERK PÈRE. Comment! Est-il possible que cette affaire? . .

...

M. DESPARVILLE PÈRE. Bien! bien! morbleu bien! Je vais vous raconter.

M. DESPARVILLE FILS. Mon père, permettez-moi de parler.

M. VANDERK FILS. Qu'allez-vous dire? M. DESPARVILLE FILS. Souffrez de moi cette vengeance.

M. VANDERK FILS. Vengez-vous donc. M. DESPARVILLE FILS. Le récit serait trop court si vous le faisiez, monsieur, et à présent votre honneur est le mien. (A M. Vanderk père.) Il me paraît, monsieur, que vous étiez aussi instruit que mon père l'était. Mais voici ce que vous ne savez pas: nous nous sommes rencontrés; j'ai couru sur lui, j'ai tiré; il a foncé1 sur moi, il m'a dit: «Je tire en l'air,» et il l'a fait. "Écoutez,» m'a-t-il dit en me serrant la botte, "J'ai cru hier que vous insultiez mon père en parlant des négociants. Je vous ai insulté; j'ai senti que j'avais tort; je vous en fais excuse. N'êtes-vous pas content? Éloignez-vous, et recommençons." Je ne peux, monsieur, vous exprimer ce qui

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s'est passé en moi. Je me suis précipité de mon cheval; il en a fait autant, et nous nous sommes embrassés. J'ai rencontré mon père, lui, à qui pendant ce temps-là, lui, à qui vous rendiez service. Ah, monsieur!

M. DESPARVILLE PÈRE. Hé, vous le saviez, morbleu, et je parie que ces trois coups frappés à la porte... Quel homme êtes-vous! Et vous m'obligiez pendant ce temps-là! Moi, je suis ferme, je suis honnête; mais en pareille occasion, à votre place j'aurais envoyé le baron Desparville à tous les diables.

M. VANDERK PÈRE. Ah! messieurs! qu'il est difficile de passer d'un grand chagrin à une grande joie!

VICTORINE, se saisit du chapeau du fils. Ah, ciel! ah, monsieur!

M. VANDERK FILS. Quoi done, Victorine? VICTORINE. Votre chapeau est percé d'une balle?

M. DESPARVILLE FILS. D'une balle! ah! mon ami. (Ils s'embrassent.)

M. VANDERK PÈRE. Messieurs, j'entends du bruit. Nous allons nous mettre à table. Faites-moi l'honneur d'être de la noce. Que rien ne transpire 3 ici; cela troublerait la fête. Après ce qui s'est passé, monsieur, vous ne pouvez être que le plus grand ami, ou le plus grand ennemi de mon fils; et vous n'avez pas la liberté du choix.

M. DESPARVILLE FILS, baise la main de M. Vanderk père. Ah, monsieur!

M. DESPARVILLE PÈRE. Bien, bien, mon fils; ce que vous faites là est bien.

VICTORINE. Qu'à moi, qu'à moi; ah,

cruel!

M. VANDERK FILS. Que je suis aise de te revoir, ma chère Victorine.

M. VANDERK PÈRE. Victorine, retirez

vous.

SCÈNE XII.

MME VANDERK, SOPHIE, LE GENDRE, et LES ACTEURS PRÉCÉDENTS.

MME VANDERK. Ah! te voilà, mon fils. (A M. Vanderk père.) Mon cher ami, peuton faire servir? Il est tard.

M. VANDERK PÈRE. Ces messieurs veulent bien rester. Voici, messieurs, ma femme, mon gendre et ma fille que je vous présente.

1 il a foncé sur moi, he charged at me. 2 en me serrant la botte, riding up close to me. 3 transpire, become known, divulged.

M. DESPARVILLE PÈRE. Quel bonheur mérite une telle famille!

SCÈNE XIII.

LA TANTE, ET LES ACTEURS PRÉCÉDENTS.

LA TANTE. On dit que mon neveu est arrivé. Hé! te voilà, mon cher enfant.

M. VANDERK PÈRE. Madame, vous demandiez des militaires; en voilà. Aidez-moi à les retenir.

LA TANTE. Hé! c'est le vieux Baron Desparville.

M. DESPARVILLE PÈRE. Hé! c'est vous, Madame la Marquise; je vous croyais en Berri.

LA TANTE. Que faites-vous ici?

M. DESPARVILLE PÈRE. Vous êtes, madame, chez le plus brave homme, le plus, le plus.

M. VANDERK PÈRE. Monsieur, monsieur, passons dans le salon; vous y renouerez connaissance. Ah! messieurs, ah! mes enfants, je suis dans l'ivresse de la plus

grande joie. Madame, voilà notre fils. (Il l'embrasse; le fils embrasse sa mère.)

SCÈNE XIV.

ANTOINE ET LES ACTEURS PRÉCÉDENTS.

ANTOINE. Le carrosse est avancé, monsieur, et . . . Ah, ciel! ah, dieux! ah, monsieur!

MME VANDERK. Hé bien, hé bien, Antoine! hé! . . . mais la tête lui tourne aujourd'hui.

LA TANTE. Cet homme est fou. (Victorine court à son père, lui met la main sur la bouche, et l'embrasse.) M. VANDERK PÈRE. Paix, Antoine. Voyez à nous faire servir.

ANTOINE. Je ne sais si c'est un rêve. Ah, quel bonheur! Il fallait que je fusse aveugle. . . . Ah! jeunes gens, jeunes gens, ne penserez-vous jamais que l'étourderie même la plus pardonnable peut faire la malheur de tout ce qui vous entoure?

LA FOLLE JOURNÉE

OU

LE MARIAGE DE FIGARO

Comédie en cinq actes, en prose

Représentée pour la première fois à la Comédie-Française le 27 avril 1784

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