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LE COMMANDEUR. C'est ce qui me désole. LE PÈRE DE FAMILLE, en montrant Sophie. Voyez-la. Où sont les parents qui n'en fussent vains?

LE COMMANDEUR. Elle n'a rien : je vous en avertis.

SAINT-ALBIN. Elle a tout!

LE PÈRE DE FAMILLE. Ils s'aiment. LE COMMANDEUR, au Père de famille. Vous la voulez pour votre fille?

LE PÈRE DE FAMILLE. Ils s'aiment. LE COMMANDEUR, à Saint-Albin. Tu la veux pour ta femme?

SAINT-ALBIN. Si je la veux!

LE COMMANDEUR. Aie-le, j'y consens: aussi bien je n'y consentirais pas, qu'il n'en serait ni plus ni moins. . . (Au Père de famille.) Mais c'est à une condition.

SAINT-ALBIN, à Sophie. Ah! Sophie! nous ne serons plus séparés.

LE PÈRE DE FAMILLE. Mon frère, grâce entière. Point de condition.

LE COMMANDEUR. Non. Il faut que vous me fassiez justice de votre fille et de cet homme-là.

SAINT-ALBIN. Justice! Et de quoi? Qu'ont-ils fait? Mon père, c'est à vousmême que j'en appelle.

LE PÈRE DE FAMILLE. Cécile pense et sent. Elle a l'âme délicate; elle se dira ce qu'elle a dû me paraître pendant un instant. Je n'ajouterai rien à son propre reproche.

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Germeuil. je vous pardonne. . . Mon estime et mon amitié vous seront conservées; mes bienfaits vous suivront partout; mais... (Germeuil s'en va tristement, et Cécile le regarde aller.)

LE COMMANDEUR. Encore passe.

MADEMOISELLE CLAIRET. Mon tour va venir. Allons préparer nos paquets. (Elle sort.)

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SAINT-ALBIN, à son père. Mon père, écoutez-moi. Germeuil, demeurez. C'est lui qui vous a conservé votre fils. Sans lui, vous n'en auriez plus. Qu'allaisje devenir? . . . C'est lui qui m'a conservé Sophie... Menacée par moi, menacée par mon oncle, c'est Germeuil, c'est ma sœur qui l'ont sauvée. . . Ils n'avaient qu'un instant. . . elle n'avait qu'un asile. . . Ils l'ont dérobée à ma violence. . . Les punirez-vous de ma faute? . . . Cécile, venez. Il faut fléchir le meilleur des pères. (Il amène sa sœur aux pieds de son père, et s'y jette avec elle.)

LE PÈRE DE FAMILLE. Ma fille, je vous ai pardonné, que me demandez-vous?

SAINT-ALBIN. D'assurer pour jamais son

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SOPHIE, se jetant aux pieds du Père de famille, dont elle ne quitte guère les mains le reste de la scène. Monsieur!

LE PÈRE DE FAMILLE, se penchant sur eux, et les relevant. Mes enfants. . . mes enfants! Cécile, vous aimez Germeuil? LE COMMANDEUR. Et ne vous en ai-je pas averti?

CÉCILE. Mon père, pardonnez-moi.

LE PÈRE DE FAMILLE. Pourquoi me l'avoir celé? Mes enfants! vous ne connaissez pas votre père. . . Germeuil, approchez. Vos réserves m'ont affligé; mais je vous ai regardé de tout temps comme mon second fils. Je vous avais destiné ma fille. Qu'elle soit avec vous la plus heureuse des fem

mes.

LE COMMANDEUR. Fort bien. Voilà le comble. J'ai vu arriver de loin cette extravagance; mais il était dit qu'elle se ferait malgré moi; et Dieu merci, la voilà faite. Soyons tous bien joyeux, nous ne nous reverrons plus.

LE PÈRE DE FAMILLE. Vous vous trompez, monsieur le Commandeur.

SAINT-ALBIN. Mon oncle!

LE COMMANDEUR. Retire-toi. Je voue à ta sœur la haine la mieux conditionnée; et toi, tu aurais cent enfants, que je n'en nommerais pas un. Adieu. (Il sort.)

LE PÈRE DE FAMILLE. Allons, mes enfants. Voyons qui de nous saura le mieux réparer les peines qu'il a causées.

SAINT-ALBIN. Mon père, ma sœur, mon ami, je vous ai tous affligés. Mais voyez-la, et accusez-moi, si vous pouvez.

LE PÈRE DE FAMILLE. Allons, mes enfants, monsieur Le Bon, amenez mes pupilles. Madame Hébert, j'aurai soin de vous. Soyons tous heureux. (A Sophie.) Ma fille, votre bonheur sera désormais l'occupation la plus douce de mon fils. Apprenez-lui à votre tour, à calmer les emportements d'un caractère trop violent. Qu'il sache qu'on ne peut être heureux, quand on abandonne son sort à ses passions. Que votre soumission, votre douceur, votre patience, toutes les vertus que vous nous avez montrées en ce jour, soient à jamais le modèle de sa conduite et l'objet de sa plus tendre estime. . .

SAINT-ALBIN, avec vivacité. Ah! oui, mon papa.

LE PÈRE DE FAMILLE, à Germeuil. Mon fils, mon cher fils! Qu'il me tardait de vous appeler de ce nom. (Ici Cécile baise la main de son père.) Vous ferez des jours heureux à ma fille. J'espère que vous n'en passerez avec elle aucun qui ne le soit. . . Je ferai, si je puis, le bonheur de tous. Sophie, il faut appeler ici votre mère, vos frères. Mes enfants, vous allez faire, au pied des autels, le serment de vous aimer toujours. Vous ne sauriez en avoir trop de témoins. Approchez, mes enfants. Venez, Germeuil, venez Sophie. (Il unit ses quatre enfants, et il dit:) Une belle femme, un homme de bien, sont les deux

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êtres les plus touchants de la nature. Donnez deux fois, en un même jour, ce spectacle aux hommes. . . Mes enfants, que le ciel vous bénisse, comme je vous bénis! (Il étend ses mains sur eux, et ils s'inclinent pour recevoir sa bénédiction.) Le jour qui vous unira sera le jour le plus solennel de votre vie. Puisse-t-il être aussi le plus fortuné! . . . Allons mes enfants. . .

Oh! qu'il est cruel. . . qu'il est doux d'être père! (En sortant de la salle, le Père de famille conduit ses deux filles: SaintAlbin a les bras jetés autour de son ami Germeuil; M Le Bon donne la main à madame Hébert; le reste suit, en confusion; et tous marquent le transport de la joie.)

LES PHILOSOPHES

Comédie en trois actes, en vers

Représentée pour la première fois à la Comédie-Française

le 2 mai 1760

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