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LISETTE. Oh! pour cela, il devient de jour en jour plus insupportable.

MADAME PATIN. N'est-il pas vrai?

LISETTE. Parce que Monsieur le chevalier est un jeune homme assez mal dans ses affaires, et que Monsieur Serrefort prévoit qu'en l'épousant, vous allez faire un mauvais marché, il veut vous empêcher de le conclure; cela est bien impertinent, Madame.

MADAME PATIN. Tout ce qu'il fera, ne servira de rien.

LISETTE. Bon! quand vous avez résolu quelque chose, il faut que cela passe.

MADAME PATIN. Tout ce que je crains, c'est que le chevalier ne vienne à connaître Monsieur Serrefort, et qu'il ne se dégoûte en me voyant si mal apparentée. Crispin!

SCÈNE VI.

MADAME PATIN, CRISPIN, LISETTE.

CRISPIN. Plaît-il, Madame?

MADAME PATIN. Va dire à ton maître que, pour de certaines raisons, je ne le puis voir que sur les dix heures, et qu'il ne manque pas de venir juste à cette heure-là.

CRISPIN. N'avez-vous que cela à lui faire savoir, Madame?

MADAME PATIN. Non, va vite, j'ai peur qu'il ne s'impatiente.

CRISPIN. Il me semble, Madame, qu'il serait à propos qu'il rendît au plus tôt à Madame la baronne ces mille pistoles dont il vous a parlé.

MADAME PATIN. J'aurai soin de les lui tenir toutes prêtes.

CRISPIN. J'aurai soin de les lui porter, si vous voulez.

MADAME PATIN. Dis-lui bien que je vais penser à lui jusqu'à ce que je le voie.

CRISPIN. Je le lui dirai, Madame.

SCÈNE VII.

CRISPIN, seul.

Oh çà, puisque je n'ai point d'argent à porter à mon maître, ce que j'ai à lui dire n'est point si pressé. Réfléchissons un peu sur l'état présent de nos affaires. Voilà Monsieur le chevalier de Villefontaine en train d'attraper mille pistoles à Madame Patin, et autant à la vieille baronne; il n'y

a pas grand mal à ces deux articles. Mais c'est pour enlever une petite fille; il y a quelque chose à dire à celui-là. La justice se mêlera infailliblement de cette affaire, et il lui faudra quelqu'un à pendre. Monsieur le chevalier se tirera d'intrigue, et vous verrez que je serai pendu pour la forme. Cela ne vaudrait pas le diable, et je crois que le plus sûr est de ne me point mêler de tout cela, et de tirer adroitement mon épingle du jeu. Que sait-on? Il m'arrivera peut-être d'un autre côté quelque bonne fortune, à quoi je ne m'attends pas. S'il était vrai que Madame la baronne ne voulût qu'un mari, je serais son fait aussi bien qu'un autre, elle pourrait bien m'épouser par dépit. Il arrive tous les jours de choses moins faisables que celle-là, et je ne serais pas le premier laquais, qui aurait coupé l'herbe sous le pied à son maître. Allons faire savoir au mien ce que Madame Patin m'a dit de lui dire; et selon la part qu'il me fera des mille pistoles, je verrai ce que j'aurai à faire.

ACTE CINQUIÈME

SCÈNE PREMIÈRE.

MONSIEUR SERREFORT, LISETTE.

MONSIEUR SERREFORT. Ne crains rien, ma pauvre Lisette, ne crains rien. Madame Patin ne saura pas que l'avis est venu de toi.

LISETTE. Au moins, Monsieur, vous savez bien que ma petite fortune dépend d'elle en quelque façon; et si ce n'était que vous donner des commissions à mon père, à mon cousin, et à celui qui veut m'épouser, je ne trahirais pas ma maîtresse pour vous faire plaisir.

MONSIEUR SERREFORT. Comment? Sais-tu bien que c'est le plus grand service que tu lui puisses rendre, que de détourner ce mariage?

LISETTE. J'ai toujours travaillé pour cela, autant qu'il m'était possible. Dans les commencements j'ai cru qu'elle se moquait; mais quand j'ai vu que c'était tout de bon, j'ai couru vous avertir.

MONSIEUR SERREFORT. Tu as parfaitement bien fait.

LISETTE. La partie est faite pour cinq heures du matin. Madame est dans son cabinet, qui compte de l'argent, dont Monsieur le chevalier lui a dit avoir affaire; et

il viendra dans une petite demi-heure, avec son notaire: c'est l'ordre de Madame.

MONSIEUR SERREFORT. La malheureuse. LISETTE. Ils seront bien surpris tous deux de vous voir à leurs noces sans en avoir été prié!

MONSIEUR SERREFORT. Ils ne s'y attendent guère.

LISETTE. Vous n'êtes pas le seul obstacle que j'ai préparé à leurs desseins.

MONSIEUR SERREFORT. Comment donc? Qu'as-tu fait encore?

LISETTE. Il y a une vieille plaideuse de par le monde, qui est aussi amoureuse du chevalier que Madame votre belle-sœur, pour le moins. Je l'ai fait avertir par un solliciteur de procès, qui est mon compère, de tout ce qui se prépare ici, et je répondrais bien qu'elle ne manquera pas de se trouver aux fiançailles.

MONSIEUR SERREFORT. Cela est fort bien imaginé.

LISETTE. Pour vous, il faut, s'il vous plaît, que vous demeuriez quelque temps caché dans ma chambre, et je vous avertirai quand ils seront avec le notaire.

MONSIEUR SERREFORT. C'est bien dit. Oh! ventrebleu! ma pendarde de belle-sœur n'est pas encore où elle s'imagine!

LISETTE. Elle fait de grands projets pour votre satisfaction, et il ne tiendra pas à elle que Mademoiselle votre fille ne suive l'exemple qu'elle prétend lui donner. J'en ai déjà dit tantôt un mot à Monsieur Migaud.

MONSIEUR SERREFORT. Ah! la double enragée! C'est donc elle qui a donné à ma fille la connaissance d'un petit godelureau que j'ai trouvé chez moi un moment avant que tu ne vinsses?

LISETTE. Non, mais c'est elle qui lui conseille de vous donner un gendre à sa fantaisie, sans se mettre en peine qu'il soit à la vôtre.

MONSIEUR SERREFORT. La misérable!

LISETTE. Et je ne répondrais pas trop que Mademoiselle Lucile n'eût un fort grand penchant à suivre les bons conseils de sa tante.

MONSIEUR SERREFORT. J'y donnerai bon ordre. C'est une peste dans une famille bourgeoise qu'une Madame Patin.

LISETTE. Je crois que je l'entends. Voilà la clef de ma chambre, allez vous y enfermer au plus vite, et tâchez de ne vous point ennuyer. (Bas.) Monsieur Serrefort verra peut-être ce soir plus d'incidents qu'il ne s'imagine.

SCÈNE II.

MADAME PATIN, LISETTE.

MADAME PATIN. Le chevalier n'est point encore venu, Lisette? N'a-t-il pas envoyé? LISETTE. Non, Madame.

MADAME PATIN. Je suis dans une étrange impatience.

LISETTE. Il n'est pas temps de vous impatienter encore, Madame. Neuf heures viennent de sonner, et vous avez fait dire à Monsieur le chevalier de ne venir ici qu'à dix.

MADAME PATIN. Ce vilain Monsieur Serrefort est cause de cela. Sans cet animal, le chevalier serait ici à l'heure qu'il est, et il n'aurait pas le temps de me faire quelque perfidie.

LISETTE. Oh! par ma foi, Madame, je ne m'accommoderais guère, pour moi, d'un homme comme Monsieur le chevalier, qu'il faudrait garder à vue. Eh, mort de ma vie, vous êtes toujours sur des épines!

MADAME PATIN. Quand nous serons une fois mariés, Lisette, je ne craindrai pas tant; mais jusque-là le chevalier me paraît si aimable, que je meurs de peur qu'on ne me l'enlève.

LISETTE, bas. Le beau joyau pour en être si fort éprise!

MADAME PATIN. N'a-t-on point eu de nouvelles de ma nièce?

LISETTE. Non, Madame.

MADAME PATIN. Je voudrais bien qu'elle fût ici avec son amant, et qu'on les pût marier aussi cette nuit.

LISETTE. Oui, Madame?

MADAME PATIN. Oui, vraiment; et je ne sais ce qui me fera le plus de plaisir, d'épouser le chevalier, ou de désespérer Monsieur Serrefort.

LISETTE. La bonne personne!

MADAME PATIN. Il se mangerait les pouces de rage. Mais qu'est-ce que ceci? La baronne à l'heure qu'il est! Eh! grand Dieu, n'en serai-je jamais défaite?

SCÈNE III.

LA BARONNE, MADAME PATIN, LISETTE, JASMIN.

LA BARONNE. Bonsoir, Madame. MADAME PATIN. Madame, je suis votre servante.

LISETTE, bas. Bon! voici déjà la baronne.

LA BARONNE. Vous voilà bien seule, Madame; où est donc Monsieur le chevalier?

MADAME PATIN. Monsieur le chevalier, Madame? Monsieur le chevalier n'est pas toujours chez moi; et si c'est lui que vous cherchez.

LA BARONNE. Non pas, Madame, et ce n'est qu'à vous que j'ai affaire.

MADAME PATIN. Au moins, Madame, il n'est pas heure de solliciter.

LA BARONNE. Oh! vraiment, ma pauvre Madame, ce ne sont pas mes procès qui m'occupent à présent, et j'ai bien autre chose en tête. (A Lisette.) Oh! çà, çà, détalez, s'il vous plaît, ma mie, et allez voir là dehors si j'y suis.

MADAME PATIN. Comment done? Que veut-elle dire? Lisette, ne me quittez pas.

LA BARONNE. Poltronne! vous avez peur? MADAME PATIN. Quel est votre dessein, Madame?

LA BARONNE. Approchez, Jasmin, approchez.

MADAME PATIN. Ah! bons Dieux! des épées, Madame! venez-vous ici pour m'assassiner?

LISETTE. Vraiment, cela passe raillerie, Madame.

LA BARONNE. Otez-vous de là, vous, ma mie, que je ne vous donne sur les oreilles. Et vous, Madame, choisissez de ces deux épées laquelle vous voulez.

MADAME PATIN. Moi, Madame, prendre une épée! Et pourquoi, s'il vous plaît?

LA BARONNE. Pour me tuer, si vous le pouvez.

MADAME PATIN. Moi! je ne veux tuer personne.

LA BARONNE. Mais, je vous veux tuer, moi.

MADAME PATIN. Eh! bon Dieu! que vous ai-je fait pour vous donner de si méchantes intentions?

LA BARONNE. Ce que vous m'avez fait, Madame? ce que vous m'avez fait?

MADAME PATIN. Lisette, prenez garde à

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LA BARONNE. Oui, Madame, et il faut me le céder, ou mourir.

LISETTE. Voilà une vigoureuse femme, au

moins.

LA BARONNE. Voyez, renoncez à toutes les prétentions que vous avez sur lui, et je vous donne la vie.

MADAME PATIN. Quelle étrange femme, Lisette! et comment pouvoir m'en débarrasser?

LA BARONNE. Oh! jour de Dieu! c'est trop barguigner. Allons, Madame, point de quartier.

MADAME PATIN. Ah! je suis morte. Au voleur! à l'aide! on m'assassine!

LISETTE. Madame, vous n'y songez pas. Grâce, grâce, Madame.

LA BARONNE. Ame basse!

MADAME PATIN. Holà, Jasmin, Labrie, Lafleur, Lajonquille, Lapensée, mes laquais, mon portier, mon cocher, holà!

LISETTE. Eh! paix, Madame! Quel vacarme faites-vous là?

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LE COCHER. Qu'est-ce qui gn'y a, Madame? Morguenne, à qui en avez-vous? Comme vous gueulez!

MADAME PATIN. Ah! mes enfants! jetezmoi Madame par les fenêtres, je vous en prie.

LA BARONNE. Merci de ma vie! Le premier qui avance, je lui donnerai de ces deux épées dans le ventre.

MADAME PATIN. Eh bien, là! Madame la baronne, descendez par la montée, on vous le permet; mais, dépêchez-vous.

LA BARONNE. Malheureuse petite bourgeoise! refuser l'honneur de se mesurer avec une baronne!

LISETTE. Ne faites pas de bruit davantage, Madame.

LA BARONNE. Elle veut devenir femme de qualité, et elle n'oserait tirer l'épée! Merci de ma vie! je m'en vais chercher le chevalier, et s'il ne change de sentiment, ce sera à moi qu'il aura affaire.

LISETTE. Eh! Madame!

SCÈNE IV.

MADAME PATIN, LISETTE.

MADAME PATIN. Eh! laisse-la faire, Lisette! J'aime bien mieux qu'elle aille le chercher, que non pas qu'elle l'attende chez moi.

LISETTE. Vous avez raison; mais, Madame, entre vous et moi, je crains bien que

DANCOURT

cette baronne-là ne vous joue quelque mauvais tour.

MADAME PATIN. Va, va, il n'y a rien à craindre, et quand le chevalier sera mon mari, il me mettra à couvert des emportements de cette folle. Elle est furieusement emportée, oui; et je crois que si je n'avais pas appelé du secours, elle nous aurait fait un mauvais parti à l'une et à l'autre.

LISETTE. Je le crois, vraiment. Et savezvous bien, Madame, qu'il n'y a rien au monde de si dangereux qu'une vieille amoureuse? Je m'étonne que vous ayez été si pacifique.

MADAME PATIN. J'ai eu peur d'abord, je te l'avoue.

LISETTE. On en prendrait à moins. MADAME PATIN. Et je n'en suis pas encore bien remise.

SCÈNE V.

MADAME PATIN, LUCILE, LISETTE.

LUCILE. Ah! ma tante, je viens d'avoir une belle frayeur!

MADAME PATIN, à Lisette. Elle a rencontré la baronne.

LUCILE. Je viens implorer votre protection, ma tante, et vous demander asile contre la violence et les injustices de mon père. MADAME PATIN. Comment donc, ma nièce, que vous a-t-il fait ?

LISETTE, bas. Qu'est-ce que ceci?

LUCILE. Ah! ma tante, qu'on est malheureuse d'être fille d'un père comme celuilà!

MADAME PATIN. Mais encore, qu'y a-t-il de nouveau? Qu'est-il arrivé?

LUCILE. Eh! ne le devinez-vous pas, ma tante? Il a trouvé au logis ce Monsieur qui m'aime. Marton, la fille de chambre de ma mère, l'avait fait entrer par la porte du jardin.

MADAME PATIN. Eh bien! ma nièce, qu'a fait votre père?

LUCILE. Il m'a donnée deux soufflets, ma tante, et il a traité ce pauvre garçon de la manière la plus incivile.

LISETTE. Cela est bien malhonnête. MADAME PATIN. Il ne l'a pas frappé peut-être ?

LUCILE. Je crois qu'il n'a pas osé; mais, ce qui me fâche le plus, c'est que mon père m'a donné ces deux soufflets devant lui. MADAME PATIN. Le brutal!

LUCILE. Cela me tient au cœur, voyezvous, et j'ai bien résolu de m'en venger.

MADAME PATIN. Eh bien, ma nièce, qu'est-ce que je puis faire pour vous? LUCILE. J'aurais besoin d'un bon conseil, ma tante.

MADAME PATIN. Mais encore?

LUCILE. Ce Monsieur m'a priée de trouver bon qu'il m'enlevât. Conseillez-moi d'y consentir, ma tante, vous ne sauriez me faire plus de plaisir.

MADAME PATIN. Si je vous le conseillerai, ma nièce! Il ne faut pas manquer cette affaire, faute de résolution. Où est-il à présent?

LUCILE. Il est allé prendre deux mille pistoles chez son intendant, et il doit se rendre dans son carrosse à la place des Victoires, où j'ai laissé Marton pour l'attendre, et pour me venir dire quand il y sera.

LISETTE, bas. La partie n'est pas mal liée; mais il ne sera pourtant pas difficile à Monsieur Serrefort de la rompre.

MADAME PATIN. Voici ce qu'il y a à faire, ma nièce. Dès que votre amant sera au rendez-vous, il faut qu'il vienne ici, je serai bien aise de le voir; je ferai mettre six chevaux à mon carrosse, et vous irez ensemble à une maison de campagne, où je répondrais bien qu'on n'ira pas vous chercher.

LUCILE. Ah! ma bonne tante, que je vous ai d'obligation! Mais, il faudrait envoyer quelqu'un dire à Marton de l'amener.

MADAME PATIN. Envoyez-y un laquais, Lisette.

LISETTE. Oui, Madame. (Bas.) Je vais l'envoyer chez Monsieur Migaud, la fête bonne sans lui. ne serait pas

LUCILE. Au moins, ma tante, ce n'est que par votre conseil que je me laisse enlever; et je me garderais bien de m'engager dans une démarche comme celle-là, si vous n'étiez la première à l'approuver.

MADAME PATIN. Allez, allez, quand vous ne prendrez que de mes leçons, vous n'aurez rien à vous reprocher.

SCÈNE VI.

LE CHEVALIER, CRISPIN, MADAME PATIN,
LUCILE, LISETTE.

LE CHEVALIER, à Crispin. Dès que j'aurai les mille pistoles, je ne ferai pas grand séjour chez Madame Patin.

LUCILE, au chevalier. Ah! Monsieur, vous voilà. Qui vous a déjà dit que j'étais ici?

LE CHEVALIER. Ah! Crispin, quel incident! c'est ma petite brune.

CRISPIN. Comment, morbleu! la petite brune?

LUCILE. Voilà ma tante, Monsieur, dont je vous ai toujours dit tant de bien. LE CHEVALIER. Sa tante?

CRISPIN. Aïe! aïe! aïe! ceci ne vaut pas le diable!

LE CHEVALIER. Mademoiselle, j'ai l'hon

neur.

MADAME PATIN. Qu'est-ce que cela signifie, ma nièce?

LUCILE. MONSIEUR est la personne dont je vous ai parlé.

LE CHEVALIER. Oui, Madame, j'avais prié Mademoiselle votre nièce de.

MADAME PATIN. Quoi! Monsieur, il est donc vrai que vous êtes le plus fourbe de tous les hommes?

LUCILE. Ah! ma tante, que dites-vous là? Vous me trahissez, ma tante: vous me dites de le faire venir, et vous le querellez quand il est venu.

MADAME PATIN. Ah! ma pauvre nièce, quelle aventure!

LE CHEVALIER. Crispin?

CRISPIN. L'affaire est épineuse.

LUCILE. Je n'y comprends rien, ma tante, en vérité.

MADAME PATIN. Scélérat!

LUCILE. Mais, ma tante. . .

CRISPIN. Sortons d'ici, Monsieur, c'est le plus sûr.

MADAME PATIN. Voir constamment disposer toutes choses pour m'épouser, et se proposer le même jour d'enlever ma nièce ! LUCILE. Quoi, ma tante. . .

MADAME PATIN. Oui, mon enfant, voilà l'oncle que je voulais vous donner.

LUCILE. Ah! perfide!

CRISPIN. Monsieur, encore une fois, sor

tons.

LE CHEVALIER. Tais-toi.

CRISPIN. Oh! parbleu, je voudrais bien, pour la rareté du fait, qu'il se tirât d'intrigue.

LUCILE. Que vous avais-je fait, Monsieur, pour me vouloir tromper si cruellement?

MADAME PATIN. Pourquoi nous choisissais-tu l'une et l'autre pour l'objet de tes perfidies?

LUCILE. Répondez, Monsieur, répondez. MADAME PATIN. Parle, parle, perfide.

LE CHEVALIER. Eh! que diantre voulezvous que je vous dise, Mesdames? Quand je me donnerais à tous les diables, pourraisje vous persuader que ce que vous voyez n'est pas? Mais, à prendre les choses au pied de la lettre, suis-je si coupable que vous vous l'imaginez, et est-ce ma faute si

nous nous rencontrons tous les trois ici? MADAME PATIN. Tu crois tourner cette affaire en plaisanterie?

LE CHEVALIER. Je ne plaisante point, Madame, le diable m'emporte, et je vous parle de mon plus grand sérieux. Pouvais-je deviner que vous êtes la tante de Mademoiselle, et que Mademoiselle est votre nièce? CRISPIN. Diable! si nous avions su cela, nous aurions pris d'autres mesures.

LE CHEVALIER. Si vous ne vous étiez point connues, vous ne vous seriez point fait de confidence l'une à l'autre, et nous n'aurions point à présent l'éclaircissement qui vous met si fort en colère.

LUCILE. Eh! seriez-vous pour cela moins coupable? En serions-nous moins trompées? et pouvez-vous jamais vous laver d'un procédé si malhonnête?

LE CHEVALIER. Mettez-vous à ma place, de grâce, et voyez si j'ai tort. J'ai de la qualité, de l'ambition, et peu de bien. Une veuve des plus aimables, et qui m'aime tendrement, me tend les bras. Irai-je faire le héros de roman, et refuserai-je quarante mille livres de rente qu'elle me jette à la tête?

MADAME PATIN. Eh! pourquoi donc, perfide, puisque tu trouves avec moi tous ces avantages, deviens-tu amoureux de ma nièce?

LE CHEVALIER. Oh! pour cela, Madame, regardez-la bien. Sa vue vous en dira plus que je ne pourrais vous en dire.

CRISPIN. Je commence à croire qu'il en sortira à son honneur; quand les dames querellent longtemps, elles ont envie de se raccommoder.

LE CHEVALIER. Je trouve en mon chemin une jeune personne, toute des plus belles et des mieux faites. Je ne lui suis pas indifférent. Peut-on être insensible, Madame, et se trouve-t-il des cœurs dans le monde qui puissent résister à tant de charmes?

CRISPIN. Il aura raison, à la fin.

MADAME PATIN, à Lucile. Ah! petite coquette, ce sont vos minauderies qui m'ont enlevé le cœur du chevalier. Je ne vous le pardonnerai de ma vie.

LUCILE. Oui, ma tante! il n'aimerait que moi sans vos quarante mille livres de rente. C'est moi qui ne vous le pardonnerai pas.

LE CHEVALIER. Oh! Mesdames, il ne faut point vous brouiller pour une bagatelle; et s'il est vrai que vous m'aimiez autant qu'il m'est doux de le croire, que celle qui a le plus d'envie de me persuader, fasse un effort sur elle-même, et me cède à l'autre. Je vous assure que l'infortunée qui ne

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