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ACTE QUATRIÈME

SCÈNE PREMIÈRE.

LE CHEVALIER, CRISPIN.

DANCOURT

CRISPIN. Ma foi, Monsieur, je n'y comprends rien, et il y a là-dessous quelque chose que nous n'entendons ni l'un ni l'autre !

LE CHEVALIER. Tout cela ne me surprend point, Crispin.

CRISPIN. Parbleu! cela est violent, au moins, et je ne sais comment l'entend Madame Patin; mais peu s'en est fallu que son portier ne nous ait fermé la porte au

nez.

LE CHEVALIER. Le portier est un maraud qui ne sait ce qu'il fait.

comme

CRISPIN. Oh! Monsieur, ce portier-là a parlé n'est point Suisse, et il nous un homme. Avouez-moi franchement la chose. Vous avez fait quelque bagatelle, et Madame Patin a appris de vos nouvelles, je gage.

LE CHEVALIER. Ma foi, mon pauvre ami, tu l'as deviné.

CRISPIN. Il ne faut pas être grand sorcier pour deviner cela; et dès qu'il vous arrive quelque petit chagrin, on peut dire à c'est la suite de quelque sotsûr que

coup tise.

LE CHEVALIER. Maraud! CRISPIN. Là, là, Monsieur, ne vous fâchez point, et dites-moi un peu de quelle espèce est celle-ci.

LE CHEVALIER. Ces vers de la baronne, donnés à Madame Patin, sont la cause de tout le désordre.

Vous

CRISPIN. Eh bien! morbleu! ne l'avais-je pas bien dit? La baronne et elle se sont expliquées.

LE CHEVALIER. Il s'en est encore trouvé une troisième, qu'elle ne m'a nommée qu'en la traitant de petite étourdie; il faut que ce soit ma petite brune.

CRISPIN. Comment diable! Est-ce qu'elle avait aussi les mêmes vers?

LE CHEVALIER. Oui, vraiment, et il y a plus de quinze jours que je n'en ai point employé d'autres.

CRISPIN. Mais, Monsieur (car il n'y a personne dans ce logis, et nous pouvons parler en assurance de vos fredaines), de qui savez-vous cette aventure, s'il vous plaît?

LE CHEVALIER. De la baronne elle-même,
1 Swiss were frequently employed as porters.

que j'ai trouvée dans une colère épouvantable contre moi.

CRISPIN. Cent diables! vous avez passé un mauvais quart d'heure; et, sauf correction, Madame la baronne est la plus méchante carogne qu'il y ait au monde.

LE CHEVALIER. D'accord; mais nous savons, Dieu merci, l'art de la mettre à la raison.

CRISPIN. Vous êtes un fort habile homme. LE CHEVALIER. Il n'a pas fallu grande habileté pour cela. Elle criait comme une enragée, et j'ai crié cent foit plus haut qu'elle; car il est bon quelquefois de faire le fier avec les dames.

CRISPIN. Le fier?

LE CHEVALIER. Oui, le fier; et quand j'ai vu sa fureur un peu diminuée, je me suis justifié le mieux qu'il m'a été possible.

CRISPIN. Et elle a pris tout ce que vous lui avez dit pour de l'argent comptant?

LE CHEVALIER. Non, elle s'est emportée plus fort que jamais; et je n'ai point trouvé d'autre moyen de la réduire que de prendre un air de mépris pour elle, qui l'a piquée jusqu'au vif.

CRISPIN. Et cet air de mépris a réussi? LE CHEVALIER. A merveille, et nous sommes meilleurs amis que nous n'avons été.

CRISPIN. La pauvre femme! Mais ne craignez-vous rien, lorsqu'elle saura votre mariage avec Madame Patin?

LE CHEVALIER. Et que voudrais-tu que je craignisse?

CRISPIN. Que sais-je? Une femme diablesse est quelquefois pire qu'un vrai diable. Celle-ci tire un lièvre aussi sûrement qu'un homme, comme vous savez, et elle ne craindra peut-être pas plus de tuer un homme que de tirer un lièvre.

LE CHEVALIER. Nous l'adoucirons; et comme elle ne veut qu'un mari, pour la consoler de m'avoir perdu, je te la ferai épouser, si le cœur t'en dit.

CRISPIN. Eh là! Monsieur, ne raillons point; elle ne perdrait peut-être pas au change, je vous en réponds.

LE CHEVALIER. Je l'entends bien ainsi, vraiment; et, si certain dessein que j'ai dans la tête pouvait réussir, je te donnede Madame rais à choisir d'elle Patin.

ou

CRISPIN. De Madame Patin? Ah! ah! voici quelque chose d'assez drôle.

LE CHEVALIER. Ah! mon pauvre garçon!

CRISPIN. Ouais. . .

SCÈNE II.

LE CHEVALIER. Je crois que je suis amoureux, Crispin; moi qui ne croyais pas pouvoir l'être!

CRISPIN. Amoureux! Et de qui?

LE CHEVALIER. De cette petite créature dont je t'ai parié.

CRISPIN. De la petite brune?

LE CHEVALIER. D'elle-même.

CRISPIN. Oh! pour cela, le diable m'emporte si je vous comprends. Que venez-vous donc faire chez Madame Patin?

LE CHEVALIER. La ménager comme la baronne, et il faut que dans cette affaire l'une ou l'autre me rende un service considérable.

CRISPIN. Vous n'avez qu'à le leur proposer, elles le feront de grand cœur assurément.

LE CHEVALIER. Elles le feront sans penser le faire.

CRISPIN. Mais encore, de quelle manière?

LE CHEVALIER. Ma petite brune, à ce que j'ai pu savoir, est une héritière considérable, mais d'une naissance peu proportionnée à un si gros bien.

CRISPIN. Ce n'est pas là une raison qui vous embarrasse.

LE CHEVALIER. Au contraire, c'est ce qui m'a fait prendre la résolution de l'enlever. Sa famille, après cela, sera trop heureuse que je l'épouse. Je serai en lieu de sûreté cependant, et je ne l'épouserai point qu'on ne lui fasse de grands avantages.

CRISPIN. Eh! à quoi la baronne et Madame Patin vous peuvent-elles être utiles dans cette affaire?

LE CHEVALIER. Quoi! tu ne vois pas cela tout d'abord?

CRISPIN. Non.

LE CHEVALIER. Je ne suis pas en argent comptant, comme tu sais, et je veux que mes deux vieilles m'en fournissent à l'envi l'une de l'autre, et facilitent ainsi la conquête de ma jeune maîtresse.

CRISPIN. Tudieu! c'est le bien prendre. Vous entendez les affaires à merveille. Mais, je vois venir Madame Patin.

LE CHEVALIER. Paix! paix! tu vas voir le manège que je vais faire avec celle-ci. Ah! palsambleu! laisse-moi rire, Crispin, laisse-moi rire; quand j'en devrais être malade, il m'est impossible de m'en empêcher.

CRISPIN. Il faut que je me mette de la partie.

MADAME PATIN, LE CHEVALIER, LISETTE, CRISPIN.

MADAME PATIN. Ah! ah! Monsieur, vous voilà de bien bonne humeur, et je ne sais vraiment pas quel sujet vous croyez avoir de vous tant épanouir la rate.

LE CHEVALIER. Je vous demande pardon, Madame; mais, je suis encore tout rempli de la plus plaisante chose du monde. Vous vous souvenez des vers que je vous ai tantôt donnés?

MADAME PATIN. Oui, oui, je m'en souviens, et vous vous en souviendrez aussi, je

vous assure.

LE CHEVALIER. Si je m'en souviendrai, Madame! ils sont cause d'un incident, dont j'ai pensé mourir à force de rire, et je vous jure qu'il n'y a rien de plus plai

sant.

MADAME PATIN. Où en est donc le plaisant, Monsieur?

LISETTE. Voici quelque pièce nouvelle.

LE CHEVALIER. Le plaisant? Le plaisant, Madame, est que quatre ou cinq godelureaux se sont fait honneur de mes vers. Comme vous les avez applaudis, je les ai crus bons, et je n'ai pu m'empêcher de les dire à quelques personnes. Je vous en demande pardon, Madame, c'est le faible de la plupart des gens de qualité qui ont un peu de génie. On les a retenus, on en a fait des copies, et en moins de deux heures, il sont devenus vaudevilles.1

CRISPIN, bas. L'excellent fourbe que voilà!

LISETTE, bas. Où veut-il la mener avec ses vaudevilles?

MADAME PATIN, à Lisette. Écoutons ce qu'il veut dire, il ne m'en fera plus si facilement accroire. (Au cher lier.) Eh bien, Monsieur, vous êtes bien content de voir ainsi courir vos ouvrages?

LE CHEVALIER. N'en n'êtes-vous pas ravie, Madame? Car enfin, puisqu'ils sont pour vous, cela vous fait plus d'honneur qu'à moi-même.

MADAME PATIN. Ah! scélérat!

LE CHEVALIER. Notre baronne, au reste, n'a pas peu contribué à les mettre en vogue. Têtebleu! Madame, que c'est une incommode parente que cette baronne, et qu'elle me vend cher les espérances de sa succession!

LISETTE, bas à Madame Patin. Le fripon!

1 vaudevilles, popular songs. The term was applied later to plays containing such songs.

DANCOURT

la baronne est sa parente comme je la suis du grand Mogol.

MADAME PATIN. Écoutons jusqu'à la fin. LE CHEVALIER. Vous ne sauriez croire jusqu'où vont les folles visions de cette vieille, et les folies qu'elle ferait dans le monde, pour peu que mes manières répondissent aux siennes.

CRISPIN, bas. Cet homme-là vaut son pesant d'or.

LE CHEVALIER. J'ai passé chez elle pour lui parler de quelque argent qu'elle m'a prêté, et que je lui veux rendre, s'il vous plaît, Madame, pour en être débarrassé tout à fait.

CRISPIN. Le royal fourbe!

LE CHEVALIER. Je lui ai dit vos vers par manière de conversation: elle les a trouvés admirables. Elle me les a fait répéter jusqu'à trois fois, et j'ai été tout étonné que la vieille surannée les savait par cœur. Elle est sortie tout aussitôt, elle s'en est allée apparemment de maison en maison, chez toutes ses amies, faire parade de ces vers, et dire que je les avais faits pour elle.

MADAME PATIN. S'il disait vrai, Lisette? LISETTE. Que vous êtes bonne, Madame! la Eh, jarnonce! quand il dirait vrai pour baronne, comment se tirerait-il d'affaire pour votre nièce?

CRISPIN. Oh! patience; s'il demeure court, je veux qu'on me pende.

LE CHEVALIER. Mais voici bien le plus plaisant, Madame. J'ai passé aux Tuileries, où j'ai rencontré cinq ou six beaux esprits. Oui, Madame, cinq ou six, et il ne faut point que cela vous étonne. Nous vivons dans un siècle où les beaux esprits sont tout à fait communs, au moins.

MADAME PATIN. Eh bien, Monsieur?

LE CHEVALIER. Eh bien! Madame, ils m'ont conté que le marquis des Guérets avait donné les vers en question à une petite grisette; que l'abbé du Terrier les avait envoyés à une de ses amies; que le chevalier Richard s'en était fait honneur pour sa maîtresse, et que deux de ces pauvres femmes s'étaient, malheureusement pour elles, trouvées avec la baronne, où il s'était passé une scène des plus divertis

santes.

MADAME PATIN. Ce sont de bons sots, Monsieur, que vos beaux esprits, de plaisanter de cette aventure-là.

LISETTE. Bon! elle prend la chose comme il faut.

LE CHEVALIER. Comment, Madame? Vous n'entrez donc point dans le ridicule de ces trois femmes, qui se veulent battre pour un

madrigal? Et la bonne foi de ces deux
pauvres abusées, et la folie de notre ba-
ronne, ne vous font point pâmer de rire?

MADAME PATIN, à Lisette. Je crève, et je
ne sais si je me dois fâcher ou non.

LISETTE. Eh! merci de ma vie! pouvezvous faire mieux, en vous fâchant contre un petit fourbe comme celui-là?

LE CHEVALIER. Vous ne riez point, Madame?

CRISPIN. Tu ne ris point, Lisette?

LE CHEVALIER. Je le vois bien, Madame, il vous fâche que des vers faits pour vous soient dans les mains de tout le monde. Je suis un indiscret, je l'avoue, de les avoir rendus publics; je vous demande à genoux mille pardons de cette faute, Madame; et je vous jure que l'air que j'ai fait sur ces malheureux vers n'aura pas la même destinée, et que vous serez la seule qui l'entendrez.

MADAME PATIN. Vous avez fait un air sur ces paroles, Monsieur?

LE CHEVALIER. Oui, Madame, et je vous conjure de l'écouter; il est tout plein d'une tendresse que mon cœur ne sent que pour vous; et je jugerai bien, par le plaisir que vous aurez à l'entendre, des sentiments où vous êtes à présent pour moi.

LISETTE. Le double chien la va tromper en musique.

LE CHEVALIER, après avoir chanté tout l'air, dont il répète quelques endroits. Avezvous remarqué, Madame, l'agrément de ce petit passage? (Il chante.) Sentez-vous bien toute la tendresse qu'il y a dans celui-ci? (Il chante.) Ne m'avouerez-vous pas que celui-là est bien passionné? (Il chante encore.) Vous ne dites rien. Ah! Madame, vous ne m'aimez plus, puisque vous êtes insensible au chromatique dont cet air est tout rempli.

MADAME PATIN. Ah! méchant petit homme, à quel chagrin m'avez-vous exposée!

LE CHEVALIER. Comment donc, Madame? MADAME PATIN. J'étais une des actrices de cette scène que vous trouvez si plaisante. LE CHEVALIER. Vous, Madame?

MADAME PATIN. Moi-même, et c'est en cet endroit qu'elle s'est passée entre la petite grisette, la baronne et moi.

LE CHEVALIER. Ah! pour le coup, il y a pour en mourir, Madame. Oui, je sens bien que pour m'achever, vous n'avez qu'à me dire que vous me haïssez autant que je le mérite. Faites-le, Madame, je vous en conjure, et donnez-moi le plaisir de vous convaincre que je vous aime, en expirant de douleur de vous avoir offensée.

1

SCÈNE IV.

MADAME PATIN. Levez-vous, levez-vous, Monsieur le chevalier.

CRISPIN. La pauvre femme!

LE CHEVALIER. Ah! Madame, que je mérite peu.

MADAME PATIN. Ah! petit cruel, à quelle extrémité avez-vous pensé porter mon dépit! Savez-vous bien, ingrat, qu'il ne s'en faut presque rien que je ne sois la femme de Monsieur Migaud?

LE CHEVALIER. Si cela est, Madame, j'irai déchirer sa robe entre les bras même de la justice, et je me ferai la plus sanglante affaire. . .

MADAME PATIN. Non, non, chevalier, laissez-le en repos, le pauvre homme ne sera que trop malheureux de ne me point avoir; mais je vous avoue qu'il m'aurait, si j'avais trouvé mon beau-frère chez lui; heureusement il n'y était pas.

LE CHEVALIER. Ah! je respire! je viens donc de l'échapper belle, Madame?

MADAME PATIN. Vous vous en seriez consolé avec la baronne.

LE CHEVALIER. Eh fi! Madame, ne me parlez point de cela, je vous prie. Je ne songe uniquement, je vous jure, qu'à lui donner mille pistoles que je lui dois, et qu'il faut que je lui paie incessamment: Madame, je vous en conjure.

MADAME PATIN. Si vous êtes bien véritablement dans ce dessein, j'ai de l'argent, chevalier, venez dans mon cabinet.

SCÈNE III.

MADAME PATIN, LE CHEVALIER, LISETTE, CRISPIN, LABRIE.

LABRIE. Voilà Monsieur Serrefort qui monte.

MADAME PATIN. Ah! bons Dieux, comment ferons-nous? Allez attendre chez votre notaire, et me laissez Crispin pour vous faire avertir quand je serai seule.

LE CHEVALIER. Demeure ici, Crispin, et attends ici l'ordre de Madame.

CRISPIN. Me donnera-t-elle les mille pistoles?

LE CHEVALIER. Tais-toi, maroufle. MADAME PATIN. Sauvez-vous par le petit escalier, comme tantôt.

LE CHEVALIER. Adieu, Madame. MADAME PATIN. Tiens-toi sur ce petit degré par où sort ton maître.

MONSIEUR SERREFORT, MADAME PATIN, LISETTE.

MONSIEUR SERREFORT. On m'a dit que vous aviez passé chez moi, Madame, et que vous m'y aviez demandé.

MADAME PATIN. On vous a dit vrai, Monsieur; mais je n'avais nullement recommandé qu'on vous dît de venir ici.

MONSIEUR SERREFORT. Cela ne fait rien, Madame, et je suis bien aise de savoir ce que vous me vouliez, outre que j'ai de mon côté quelque chose à vous communiquer touchant l'affaire de ce matin.

MADAME PATIN. Quelle affaire, Monsieur? L'affaire de ce matin? Ne m'avez-vous pas promis de me laisser en repos, et de ne vous en plus mêler?

MONSIEUR SERREFORT. Oui, Madame; mais on nous a fait parler à Monsieur Migaud et à moi, pour le différend que vous avez eu avec cette marquise.

MADAME PATIN. Eh bien! Monsieur, pour peu d'avance qu'elle fasse, je verrai ce que j'aurai à faire.

MONSIEUR SERREFORT. Comment, Madame, des avances? C'est à vous à en faire, s'il vous plaît; et il n'y a point à hésiter même.

MADAME PATIN. Je ferais des avances, moi qui suis offensée? Ah! vraiment, on voit bien que vous ne savez guère les affaires du point d'honneur.

MONSIEUR SERREFORT, tirant un papier de sa poche. Voilà des articles d'accommodement que j'ai dressés. Vous verrez par là si je sais ce que c'est.

MADAME PATIN. Des articles! des articles! Ah! voyons un peu ces articles, je vous prie. Cela est trop plaisant, des articles! Vous vous êtes fait mon plénipotentiaire, à ce que je vois.

MONSIEUR SERREFORT. Voici ce que c'est, Madame.

MADAME PATIN. Écoutons ces articles. Ce sont des articles, Lisette.

MONSIEUR SERREFORT, lit. Premièrement, il faudra que vous vous rendiez au logis de la marquise, modestement vêtue.

MADAME PATIN. Modestement!

MONSIEUR SERREFORT. Oui, Madame, modestement. En robe cependant, mais avec une queue plus courte que celle que vous portez d'ordinaire.

MADAME PATIN. Oh! pour l'article de la queue, je suis déjà sa très humble servante,

et je ne rognerais pas deux doigts de ma queue, pour toutes les marquises de la terre.

MONSIEUR SERREFORT, continuant à lire. Arrivée chez la marquise, vous la demanderez au laquais qui sera de garde.

MADAME PATIN. Un laquais de garde, Monsieur! un laquais de garde! Il semble que vous parliez de quelque officier.

MONSIEUR SERREFORT, continuant à lire. Et pendant que ledit laquais ira avertir sa maîtresse que vous êtes dans l'antichambre, vous y demeurerez debout, et sans murmurer, jusqu'à ce qu'il plaise à Madame la marquise de vous faire entrer.

MADAME PATIN. Non, Monsieur Serrefort, non; pour demeurer dans l'antichambre, je n'en ferai rien, debout surtout. Ce ne sera pas sans murmurer, cela ne se pourrait.

MONSIEUR SERREFORT. Il faudra bien que sela soit pourtant. (Il lit.) Quand la marquise sera visible.

MADAME PATIN. Eh fi! Monsieur, ce n'est pas la peine d'achever.

MONSIEUR SERREFORT. Oui, Madame, mais savez-vous bien que vous n'avez point d'autre expédient pour sortir d'affaire, et que ce sont ici les dernières paroles qu'elle nous a fait porter par son écuyer?

MADAME PATIN. Par son écuyer, Monsieur, par son écuyer! Oh! vraiment, il faut attendre à faire cet accommodement, que j'aie un écuyer comme elle; et quand nous agirons d'écuyer à écuyer, il ne faudra peut-être pas tant de cérémonie.

MONSIEUR SERREFORT. Comment done, Madame, un écuyer? Etes-vous femme à écuyer, s'il vous plaît, et ne songez-vous pas. . .

MADAME PATIN. Tenez, Monsieur, point de contestation, je vous prie. Je n'aime pas les disputes; et pour peu que vous m'obstiniez, vous me ferez prendre des pages.

MONSIEUR SERREFORT. Ah! je vois ce que c'est votre entêtement continue; il est impossible de vous en corriger; et vos manières me confirment à tous moments les avis qu'on m'a donnés.

MADAME PATIN. Comment donc, Monsieur, quels avis? Avez-vous des espions pour examiner ma conduite?

MONSIEUR SERREFORT. Morbleu! Madame, j'en sais plus que je n'en voudrais savoir. MADAME PATIN. Eh bien, Monsieur, tâchez de l'oublier!

MONSIEUR SERREFORT. Mais vous ne nous manquerez pas de parole impunément; et il ne sera pas dit que vous aurez jeté ma fille dans le même dérèglement d'esprit où

vous êtes, et que son père l'ait souffert sans ressentiment.

MADAME PATIN. Quel discours est-ce là? Que voulez-vous dire? Suis-je une déréglée, s'il vous plaît? Écoutez, Monsieur Serrefort, vous me ferez raison des termes offensants dont vous vous servez; prenez-y garde, je vous en avertis.

MONSIEUR SERREFORT. Écoutez, Madame Patin, il n'y a qu'un mot qui serve. Je suis bien informé que vous voulez épouser un gueux de chevalier, qui se moquera de vous dès le lendemain de vos noces. Je sais de bonne part que ma fille s'entête de quelque espèce de marquis plus gueux peut-être que votre chevalier. Monsieur Migaud sait tout cela comme moi; mais, nous ne demeurerons pas les bras croisés ni l'un ni l'autre, et nous vous rendrons raisonnable malgré vous-même.

MADAME PATIN. Oh bien! Monsieur Serrefort, je vous en défie. Songez à le devenir, Monsieur Serrefort; et ne mettez pas ici les pieds que vous ne vous soyez rendu plus sage.

MONSIEUR SERREFORT.. Oh! ventrebleu! Madame, j'y viendrai jour et nuit, de moment en moment; et je vais si bien assiéger votre maison et la mienne, qu'il n'y entrera personne à qui je ne fasse sauter les fenêtres, pour peu qu'il ait de l'air d'un marquis ou d'un chevalier.

MADAME PATIN. Et pour moi, qui ne suis pas si méchante que vous, je vous prierai seulement de descendre l'escalier tout au plus vite, et de ne pas regarder derrière

vous.

MONSIEUR SERREFORT. Adieu, Madame

Patin.

MADAME PATIN. Adieu, Monsieur Serrefort.

MONSIEUR SERREFORT. Vous aurez bientôt de mes nouvelles, Madame Patin.

MADAME PATIN. Je n'en veux point apprendre, Monsieur Serrefort.

MONSIEUR SERREFORT. Adieu, Madame

Patin.

MADAME PATIN. Adieu, Monsieur Serrefort.

SCÈNE V.

MADAME PATIN, LISETTE.

MADAME PATIN. Eh, bon Dieu! quelle rage cet homme a-t-il contre moi? Quel acharnement à me persécuter, Lisette! A-ton jamais rien vu de plus étrange?

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