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DANCOURT

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MADAME PATIN, LA BARONNE, LE CHE-
VALIER, LISETTE, CRISPIN.

à mon maître
CRISPIN. Lisette, dis un peu
qu'il vienne me parler, j'ai quelque chose
à lui dire.

LISETTE, s'en allant. Va lui dire toi-même. LA BARONNE. Ah! m'y voilà; voici le fait: j'ai un moulin à vent, Madame; il est à moi ce moulin à vent; on m'empêche de le faire tourner! Je demande la paisible possession de mon moulin; cela n'est-il pas juste?

MADAME PATIN. Hé! ne l'avez-vous pas, Madame?

LA BARONNE. Eh! non, je ne l'ai pas. Il y a environ cent cinquante ans, oui, il y a environ cent cinquante ans que le grandpère de ma partie fit planter, proche de ma maison, un bois qui fait à présent tout l'ornement de la sienne.

fait LE CHEVALIER, bas. Crispin me signe. (Haut.) Qu'est-ce que cela veut dire?

LA BARONNE. Cela veut dire qu'il fit planter ce bois par malice, pour me boucher la vue, et qu'il prévoyait bien qu'avec le temps, ce bois deviendrait haute futaie.

MADAME PATIN. Vous croyez, Madame, qu'il a fait planter ce bois par malice?

LA BARONNE. Assurément, Madame: et moi, pour lui faire pièce1 par représailles, j'ai fait relever un vieux moulin abandonné.

CRISPIN, bas au chevalier. J'ai à vous parler.

LA BARONNE. Et comme ce moulin est plus ancien que le bois de ma partie, et que ce bois. . . écoutez bien ceci, s'il vous plaît, et que ce bois. . .

MADAME PATIN. En vérité, Madame, je ne comprends rien dans les affaires; mais je parlerai encore de la vôtre à M. Migaud, je vous assure.

LA BARONNE. Oh! je vous prie, Madame, j'ai là-bas mon carrosse, allons ensemble chez lui tout à l'heure, s'il vous plaît.

MADAME PATIN. Je ne puis sortir d'aujourd'hui, Madame.

1 faire pièce, to get even with.

LA BARONNE. Mais mon procès se juge demain, Madame.

LE CHEVALIER, bas. Prenons cette occasion aux cheveux. (Haut.) Eh! Madame, je vous conjure de mener Madame la baronne chez Monsieur Migaud. (Bas.) Si vous ne l'emmenez d'ici, nous ne nous en déferons d'aujourd'hui.

MADAME PATIN. Vous m'attendrez donc ici, chevalier?

LE CHEVALIER. Oui, Madame.

MADAME PATIN. Allons, Madame, puisque vous le voulez.

LE CHEVALIER. Allez, Mesdames.

LA BARONNE. Ne venez-vous pas avec nous, Monsieur le chevalier?

LE CHEVALIER. Dispensez-m'en, je vous prie, Madame, je ne sais point parler de procès.

LA BARONNE, au chevalier. Que je vous retrouve donc chez moi..

LE CHEVALIER. Je n'y manquerai pas.
MADAME PATIN. Venez-vous, Madame?
LA BARONNE. Oui, Madame, je vous suis.

SCÈNE X.

LE CHEVALIER, CRISPIN, LISETTE.

LISETTE, à part. Que veut Crispin à son maître? Observons d'ici ce que ce peut être.

LE CHEVALIER. Les voilà parties, Dieu merci! Ah! mon pauvre garçon, qu'il faut d'esprit pour se retirer d'une méchante affaire! Mais que me veux-tu? Qu'as-tu à me dire? D'où vient ton empressement? CRISPIN. Je ne sais, Monsieur.

LE CHEVALIER. Comment! tu ne sais, maraud?

CRISPIN. Monsieur, Monsieur, ne vous fâchez pas! J'ai une lettre qui vous expliquera toutes choses. Le porteur m'a dit que ce n'était point de la bagatelle, et qu'il y allait de votre fortune.

LE CHEVALIER. Voyons done? Donne-la moi. L'est-ce là?

CRISPIN. Non, Monsieur.

LE CHEVALIER. Qu'est-ce done? CRISPIN. C'est la liste de vos maîtresses, que nous fîmes l'autre jour, Jeanneton et moi, à la porte des Tuileries.

LE CHEVALIER. Le fat! Veux-tu déchirer ces sottises-là !

CRISPIN. Dieu m'en garde, Monsieur. Quand vous reprendrez du goût pour la

bagatelle, vous serez bien aise, peut-être, de relire ce petit mémoire.

LE CHEVALIER. Donne donc la lettre.
CRISPIN. La voici.

LE CHEVALIER. Voyons.

CRISPIN. Non, non, ce sont les vers que vous fîtes faire l'autre jour pour la baronne, par ce misérable poète, à qui vous donnâtes ce vieux justaucorps qui vous avait tant servi à la chasse.

LE CHEVALIER. Je n'aurai donc la lettre d'aujourd'hui ?

CRISPIN. Pardonnez-moi, Monsieur, la voici. Elle vous est adressée sous le nom de Monsieur le marquis des Guérets. Comme vous m'avez fait confidence de ce nom, je n'ai pas manqué à la recevoir.

LE CHEVALIER. C'est ma petite brune des Tuileries. Lisons.

LETTRE.

Vous avez témoigné tant d'envie de me connaître, que je me suis résolue à satisfaire votre curiosité. Je vous attends dans les Tuileries, où j'ai mille choses à vous dire. Ne manquez pas de vous y rendre. Adieu.

CRISPIN. Le porteur m'a menti, Monsieur; ce billet-là sent la bagatelle.

LE CHEVALIER. Pas tant bagatelle, Crispin. Je cours trouver la petite brune.

CRISPIN. Et Madame Patin, que vous avez promis d'attendre?

LE CHEVALIER. Tu as raison, mais il n'importe. Je serai de retour avant elle. En tous cas, il faut lui écrire. N'as-tu pas là ces vers que j'envoyai à la baronne?

CRISPIN. Oui, Monsieur, les voilà.

LE CHEVALIER. Donne, il serviront pour Madame Patin.

CRISPIN. Mais, Monsieur, vous allez les rendre bien circulaires. Vous les avez déjà fait servir à plus de huit personnes différentes.

LE CHEVALIER. Bon! Qu'est-ce que cela fait? S'il fallait de nouveaux vers pour toutes celles à qui l'on écrit. . .

CRISPIN. Diable, votre garde-robe serait bientôt dégarnie de justaucorps.

LE CHEVALIER. Que dis-tu? CRISPIN. Rien, écrivez seulement. Si le poète a vendu ces vers autant de fois que vous les avez envoyés, il n'y a point de fille de bonne maison qui n'en doive avoir.

LE CHEVALIER. Tiens, attends Madame Patin, et tu lui donneras mes tablettes.

CRISPIN. Mais, Monsieur, vos tablettes sont-elles sages, au moins?

LE CHEVALIER. Que veux-tu dire? CRISPIN. N'y a-t-il point dedans quelques chansons un peu libertines?

LE CHEVALIER. Comment?

CRISPIN. Quelques adresses scandaleuses? LE CHEVALIER. Que tu es extravagant! Je n'ai ces tablettes que d'hier; ce fut la baronne qui me les donna.

CRISPIN. C'est que les tablettes de vos pareils sont ordinairement de mauvais livres, et il y aurait conscience. . . mais voici Lisette qui nous écoute, je crois.

LE CHEVALIER. Je la croyais avec Madame Patin. N'a-t-elle rien entendu?

CRISPIN. Ma foi, je ne sais. Mais, puisque la voici, je vais lui laisser ces tablettes; elle les donnera à sa maîtresse.

LE CHEVALIER. Non, demeure ici; je veux que tu les donnes toi-même.

CRISPIN. Ma foi, Monsieur, je serais bien aise d'aller voir un peu ce que c'est que votre petite brune. Je suis curieux, voyezvous!

LE CHEVALIER. Tais-toi donc, maroufle! Ma pauvre Lisette, je viens de me souvenir que j'ai une affaire de conséquence, qui ne me permet pas d'attendre. Si ta maîtresse revient avant moi, donne-lui ces tablettes, je t'en prie.

LISETTE. C'est assez, Monsieur, je n'y manquerai pas.

CRISPIN. Tu n'as que faire de les ouvrir, il n'y a encore rien de drôle; et mon maître ne les a que depuis peu.

LISETTE. Eh! va, va, je n'ai point de curiosité; et j'en sais plus que toutes les tablettes du monde n'en pourraient apprendre.

SCÈNE XI.

LISETTE, seule.

Tout ceci ne réjouira pas mal madame Patin, et j'ai entendu de certaines choses. Mais, qu'est-ce que ce papier? Ah! ah! "Liste des maîtresses de mon maître, avec leurs noms, demeures et qualités. . .» Vraiment, voilà un surcroît de réjouissance pour madame; et rien ne pouvait venir plus à propos pour confirmer ce que j'ai à lui dire, et pour la détromper de son chevalier. Profitons de cette occasion, et donnonslui ce petite régal aussitôt qu'elle sera

revenue.

DANCOURT

ACTE TROISIÈME

SCÈNE PREMIÈRE.

MONSIEUR MIGAUD, LISETTE.

LISETTE. Non, Monsieur, Madame Patin n'est pas seule entêtée d'un homme de cour; Lucile, sa nièce, et votre prétendue bru, suit l'exemple de sa tante. Elle donne dans les gens du bel air, et traite un mariage incognito avec un galant du caractère du chevalier; elle en est éperdument amoureuse.

MONSIEUR MIGAUD. Ouais! Voilà une étrange famille! Et il faut être bien ennemi de son repos, pour vouloir épouser et la tante et la nièce.

LISETTE. Oui, mais quarante bonnes mille livres de rentes sont quelque chose de bon, et cela fait passer sur bien des petites choses.

MONSIEUR MIGAUD. Tu as raison, et cet entêtement où est Madame Patin pour ce chevalier m'embarrasse peu, je te l'avoue, à cause des quarante mille livres de

rente.

un

LISETTE. Toute la question est de lui faire perdre cet entêtement; car, après cela, vous ne vous ferez pas une affaire de la mettre la raison.

MONSIEUR MIGAUD. D'accord; mais je crains que mon fils ne vienne pas si facilement à bout de Lucile.

LISETTE. Oh! pour Lucile, dès que Monsieur Serrefort saura la chose, il la mettra sur le bon pied, je vous en réponds. Il n'y a seulement qu'à rompre le cours d'une intrigue naissante; elle n'est encore guère avancée, Dieu merci; et pourvu qu'on fasse diligence, il n'y a rien, ce me semble, à risquer pour Monsieur votre fils.

MONSIEUR MIGAUD. Oh! ma pauvre Lisette, ce sont les suites qui me paraissent à craindre. Une jeune femme, dont on force les volontés, tombe souvent dans de terribles irrégularités; surtout quand son mari a du faible pour elle, et qu'elle a du penchant pour un autre.

LISETTE. Ce n'est pas à moi de disputer contre vous sur ces sortes de choses, et vous devez mieux savoir ce qui en est; mais, en tout cas, vous êtes un bon père de famille, et vous aurez l'œil à tout. Ne songeons présentement qu'à guérir Madame Patin de son entêtement, c'est le principal, comme je vous ai dit, et j'ai en main de quoi lui

1 Palais, ie., Palais de justice.

donner de furieux soupçons de son chevalier. Elle est prompte à prendre la chèvre, et elle y fera réflexion, je m'assure.

MONSIEUR MIGAUD. Et, pour confirmer ces soupçons, je vais mêler adroitement le chevalier dans une affaire, dont je viens donner avis à ta maîtresse. Il est bon de lui brouiller la cervelle de plusieurs manières, et de plusieurs choses.

LISETTE. La voici, je l'entends. Retirezvous un moment, je lui dirai que vous êtes là.

SCÈNE II.

MADAME PATIN, MONSIEUR MIGAUD,
LISETTE.

MADAME PATIN. Où est le chevalier, Lisette? Qu'a-t-il dit en mon absence? Qu'at-il fait?

LISETTE. Il a fait haut le pied, Madame, dès que vous avez eu le dos tourné.

MADAME PATIN. Quoi! je ne sors que pour l'obliger, il me promet de m'attendre, et je ne le trouve pas !

LISETTE. Bon! Madame, est-ce que les gens comme Monsieur le chevalier sont faits pour attendre; et peuvent-ils demeurer en place? Cela est bon pour des gens raisonnables, comme Monsieur, par exemple, qui veut vous parler, et qui n'a point voulu sortir que vous ne fussiez rentrée.

MADAME PATIN, bas. J'aimerais bien mieux que celui-là se fût impatienté que l'autre. (Haut.) Je viens de chez vous, Monsieur; et cela est fort mal de ne vous y être pas trouvé.

MONSIEUR MIGAUD. Je vous aurais attendue, Madame, si j'avais pu prévoir l'honneur que vous m'avez fait; mais j'ai passé chez une marquise.

MADAME PATIN. Chez une marquise, Monsieur, chez une marquise? Quand on aura affaire à vous, il faudra vous aller chercher chez des marquises? Il me semble que des personnes comme vous, dévouées au public, ne doivent être que chez elles ou au Palais, occupées uniquement à leurs affaires, ou à celles de leurs parties.

MONSIEUR MIGAUD. Nos affaires et celles de nos parties ne nous occupent pas toujours. Nous préférons souvent celles de nos avouer que amis, et je veux bien vous quelques avis qu'on m'a donnés sur quel

que chose qui vous regarde, m'ont fait remettre à deux ou trois jours le jugement de ce procès dont vous m'avez écrit.

MADAME PATIN. C'est pour la même affaire que j'allais chez vous; mais quels avis, Monsieur, vous a-t-on donnés, où vous preniez tant d'intérêt?

MONSIEUR MIGAUD. Puisque l'affaire vous touche, il n'est pas extraordinaire que je m'y trouve intéressé. Vous avez eu quelque démêlé de carrosse à carrosse avec une marquise qu'on nomme Dorimène?

a

MADAME PATIN. Ah! ah! qui vous conté cette histoire? Vous connaissez cette marquise-là, Monsieur?

MONSIEUR MIGAUD. Oui, Madame. MADAME PATIN. Et c'est de chez elle que Vous venez?

MONSIEUR MIGAUD. Oui, Madame.

MADAME PATIN. Eh bien! Monsieur, vous n'avez qu'à y retourner, s'il vous plaît. C'est une bonne impertinente que votre marquise Dorimène, et je vous trouve bien plaisant d'aller chez elle, et de me le venir dire à mon nez, vous-même!

MONSIEUR MIGAUD. Je ne lui ai rendu visite que pour vous obliger, Madame. Je la connais; elle est d'une humeur violente; elle se croit offensée, et elle est femme à Vous barbouiller terriblement dans le monde.

MADAME PATIN. Plaît-il, Monsieur? Que voulez-vous dire? Eh! sont-ce des femmes comme moi qu'on barbouille?

MONSIEUR MIGAUD. Eh! Madame, il n'est rien de plus facile aujourd'hui que de donner des ridicules, et même aux gens qui en ont le moins. Mais quand vous seriez audessus de tout cela, vous voulez bien que je vous dise: qu'il y a de certaines choses que vous devez craindre plus encore que le ridicule?

MADAME PATIN. Et qu'ai-je à craindre, s'il vous plaît?

MONSIEUR MIGAUD. Tout, Madame. Vous avez l'âme parfaitement belle; vous êtes la personne du monde la plus magnifique, et cela vous fait des jaloux. Votre magnificence est soutenue d'un fort gros bien, que mille gens enragent de vous voir posséder si tranquillement. On pourrait troubler cette paisible jouissance par quelques recherches, et ces sortes de recherches sont ordinairement suivies d'une chute presque infaillible.

MADAME PATIN. Oh! pour cela, Monsieur, je ne crains point que votre marquise me fasse tomber aussi facilement qu'elle a fait reculer mon carrosse.

MONSIEUR MIGAUD. Je me suis déjà servi

du petit pouvoir que j'ai auprès d'elle pour l'obliger à se taire.

MADAME PATIN. Qu'elle parle, qu'elle parle; je ne serai pas muette.

MONSIEUR MIGAUD. Je le crois; mais elle est une de ces parleuses qui disent peu de paroles qui ne portent coup. Je l'ai trouvée dans le dessein de faire un étrange éclat. Son courroux a un peu perdu de sa violence à ma prière, mais je ne l'ai que suspendu; c'est à vous, Madame, de l'étouffer tout à fait.

MADAME PATIN. Mais encore! que faudrait-il que je fisse pour cela?

MONSIEUR MIGAUD. Il faudrait lui rendre visite, lui faire quelques civilités.

MADAME PATIN. Moi! lui rendre visite. . . lui faire des civilités? moi! moi!

MONSIEUR MIGAUD. Faites-lui done au moins parler par quelque personne qui puisse la persuader mieux que je n'ai fait. La chose est de conséquence, Madame.

MADAME PATIN. Mais je ne connais point les amis de cette femme-là, et je ne veux point me donner de peine pour les connaître!

MONSIEUR MIGAUD. Cela n'est point si difficile; et si l'on pouvait seulement trouver quelque habitude auprès d'un certain chevalier de Villefontaine. . .

MADAME PATIN. Le chevalier de Villefontaine, dites-vous?

MONSIEUR MIGAUD. Oui, Madame, c'est un homme qui la gouverne absolument. MADAME PATIN. Ce chevalier est amou-, reux de cette marquise?

MONSIEUR MIGAUD. Non pas, Madame, c'est la marquise qui est amoureuse du chevalier; et le chevalier a la bonté de souffrir qu'elle l'aime, parce qu'il y trouve son compte.

MADAME PATIN. Lisette, qu'est-ce ceci?

MONSIEUR MIGAUD. Faites parler cet homme-là, Madame; il n'est pas que quelque femme de vos amies ne soit des siennes, et il a la réputation de connaître bien des dames.

MADAME PATIN. J'aurai soin de m'en informer.

MONSIEUR MIGAUD. Il en a cinq ou six entre autres avec qui il a quelque espèce d'engagement, pour quelque façon de mariage, à ce que j'ai ouï dire.

MADAME PATIN. Ma pauvre Lisette!

MONSIEUR MIGAUD. C'est un caractère d'homme fort particulier. Il a, comme je vous ai dit ordinairement cinq ou six commerces avec autant de belles. Il leur promet tour à tour de les épouser, suivant qu'il a

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LISETTE. Ce Monsieur Migaud regarde toujours vos affaires comme les siennes. Le pauvre homme! Il s'attend à devenir votre époux au premier jour.

MADAME PATIN. Serait-il possible, Lisette, que le chevalier fût fourbe au point qu'il a voulu me le persuader?

LISETTE. Bon! Madame, fourbe, cela ne s'appelle point fourberie: en termes de cour, à ce que j'ai ouï dire, c'est gentillesse, tout au plus.

MADAME PATIN. Monsieur Migaud ne sait point que je le connais.

LISETTE. Il n'y a pas d'apparence. MADAME PATIN. Et ce qu'il m'en a dit est assurément sans dessein.

LISETTE. Vraiment, s'il vous avait crue de ses amies, il n'en aurait pas parlé si librement.

MADAME PATIN. Ah! Lisette, le chevalier me trompe assurément; et je suis peut-être une de ces cinq ou six à qui il promet tour à tour.

LISETTE. Voilà des tablettes qu'il m'a chargée de vous donner et je n'ai pas voulu vous les rendre en présence de Monsieur Migaud.

MADAME PATIN. Tu as bien fait. Que veut-il que je fasse de ces tablettes?

LISETTE. Il a écrit quelque chose dessus, et ce sont peut-être les raisons qui l'ont empêché de vous attendre.

1 fermes, tax-collecting contracts.

MADAME PATIN. Voyons? Ah! ah! vraiment le chevalier n'est point si coupable. Il n'est sorti, apparemment, que pour avoir un prétexte de me faire cette galanterie. LISETTE. Comment done, Madame?

MADAME PATIN. Ce sont des vers les plus tendres du monde; et si son cœur les a dietés, j'ai bien lieu d'en être contente. Monsieur Migaud est un médisant, le chevalier est un honnête homme.

LISETTE. Oui, Madame, assurément; et, pour moi, je jurerais quasi qu'il vous aime. MADAME PATIN. Il m'en a fait lui-même un million de serments.

LISETTE. Ne vous dis-je pas.

MADAME PATIN. Quel papier as-tu là? LISETTE. C'est un papier que j'ai trouvé ici. Il faut que ce soit ce fou de Crispin qui l'ait laissé tomber de sa poche. Il y a quelque chose de tout à fait drôle, Madame, et je l'ai gardé pour vous en donner le divertissement.

MADAME PATIN. Voyons ce que c'est. "Liste des maîtresses de mon maître, avec leurs noms, demeures et qualités.» Et vous croyez, Lisette, que cela doit me divertir?

LISETTE. Oui, Madame. Lisez, lisez seulement le reste; cela vous donnera du plaisir, je vous en réponds.

MADAME PATIN. Ce commencement ne m'en fait point du tout. "Dorimène la médisante, rue des Mauvaises Paroles.» Dorimène! Dorimène! Ah! voilà ma marquise justement; Monsieur Migaud avait raison, le chevalier est un scélérat! Un siège, je n'en puis plus!

LISETTE. Madame, Madame. Oh! par ma foi, je ne croyais pas que vous vous fâcheriez de ces petites bagatelles! N'achevez pas, Madame, puisque vous êtes si sensible.

MADAME PATIN. Non, non, je veux connaître toutes ses intrigues, pour le haïr mortellement.

LISETTE. Si vous êtes dans ce dessein-là, vous n'avez qu'à continuer.

MADAME PATIN. "La Sotte Comtesse, rue Bétisy, à l'hôtel de Picardie.» Le traître!

"La Magnifique Marchande, rue des CinqDiamants, à la Folie des Bourgeoises.» Que je me veux de mal de l'avoir aimé!

"Lucinde, la Coquette, en cour, au GrandCommun.» Que je le hais!

"Silvanire, la Précieuse, rue Montorgueil.» Je le déteste!

"Mademoiselle du Hasard, rue des BonsEnfants, au Repentir.» C'est un monstre!

"La Grosse Marquise au teint luisant, rue

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