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matin, pour voir panser ses chevaux. Le beau régal pour une femme!

MADAME PATIN. Tu ne sais ce que tu dis. LISETTE. Vous m'en direz des nouvelles.

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE PREMIÈRE.

MONSIEUR SERREFORT, LISETTE.

LISETTE. Au moins, Monsieur, dites-lui bien que vous êtes entré malgré moi; elle n'y veut pas être, comme je vous dis, et vous me feriez quereller infailliblement.

MONSIEUR SERREFORT. Ne te mets pas en peine, je la chapitrerai de manière qu'elle n'aura pas la hardiesse de quereller de plus de huit jours. L'extravagante! Elle se fait de belles affaires! S'il faut malheureusement que celle-ci éclate à la cour, nous ne pourrons jamais nous parer de quelque grosse taxe.

LISETTE. De quelle affaire parlez-vous là? MONSIEUR SERREFORT. Est-ce que tu n'étais pas avec elle ce matin, quand elle a eu bruit avec cette femme de qualité?

LISETTE. Vous savez déjà cette aventure? MONSIEUR SERREFORT. Je l'ai sue un quart d'heure après qu'elle est arrivée; et comme on achevait de me la conter, M. Migaud est venu m'avertir du dessein où elle est d'épouser un certain chevalier de Villefontaine.

LISETTE. Franchement, Monsieur, vous avez là une belle-sœur qui vous donnera de la peine à la réduire; je doute que vous en veniez à bout.

MONSIEUR SERREFORT. J'y brûlerai mes livres.

LISETTE. Surtout, ne manquez pas de crier bien fort, et de prendre un ton d'autorité avec elle; car, voyez-vous, quoiqu'elle vous méprise quand vous n'y êtes pas, elle vous craint quand elle vous voit, et elle n'ose pas vous contredire en face.

MONSIEUR SERREFORT. Laisse-moi faire. LISETTE. La voici.

SCÈNE II.

MONSIEUR SERREFORT, MADAME PATIN, LISETTE.

LISETTE. Monsieur a voulu demeurer malgré moi, Madame.

MADAME PATIN. Ah! Monsieur Serrefort,

quel dessein vous amène? Vous m'auriez fait plaisir de me souffrir seule aujourd'hui; mais, puisque vous voilà, finissons, je vous en prie. De quoi s'agit-il?

MONSIEUR SERREFORT. Qu'est-ce donc, Madame ma belle-sœur, de quel ton le prenez-vous là, s'il vous plaît? Écoutez, vous vous donnez des airs qui ne vous conviennent point; et sans parler de ce qui me regarde, vous prenez un ridicule dont vous vous repentirez quelque jour.

MADAME PATIN. Un fauteuil, Lisette. Je prévois que Monsieur va m'endormir.

MONSIEUR SERREFORT. Non, Madame; et si vous êtes sage, ce que j'ai à vous dire vous réveillera terriblement, au contraire.

MADAME PATIN. Ne prêchez donc pas longtemps, je vous prie.

MONSIEUR SERREFORT. Si vous pouviez profiter de mes sermons, il ne vous arriverait pas tous les jours de nouvelles affaires, qui vous perdront entièrement à la fin.

MADAME PATIN. Ah! ah! vous vous intéressez étrangement à ma conduite.

MONSIEUR SERREFORT. Et qui s'y intéressera, si je ne le fais pas? Vous êtes la tante de ma fille, veuve de maître Paul Patin, mon frère, et je ne veux point que l'on dise dans le monde que la veuve de mon frère, la tante de ma fille, est une folle achevée.

MADAME PATIN. Comment une folle? Vous perdez le respect, Monsieur Serrefort; et il faut que je trouve les moyens de me défaire de vous, pour ne plus entendre des sottises à quoi je ne sais point répondre.

MONSIEUR SERREFORT. Eh! ventrebleu! Madame Patin, vous devriez vous défaire de toutes vos manières et de vos airs de grandeur, surtout pour ne plus recevoir d'avanie pareille à celle d'aujourd'hui.

MADAME PATIN. Vous devriez, Monsieur Serrefort, ne me point reprocher des choses où je ne suis exposée que parce qu'on me croit votre belle-sœur; mais voilà qui est fait, Monsieur Serrefort, je ferai afficher que je ne la suis plus depuis mon veuvage, je vous renonce pour mon beau-frère, Monsieur Serrefort; et, puisque jusqu'ici mes dépenses, la noblesse de mes manières, et tout ce que je fais tous les jours, n'ont pu me corriger du défaut d'avoir été la femme d'un partisan, je prétends. . .

MONSIEUR SERREFORT. Eh! têtebleu! Madame Patin, c'est le plus bel endroit de votre vie que le nom de Patin! Et sans l'économie et la conduite du pauvre défunt, vous ne seriez guère en état de prendre des airs si ridicules. Je voudrais bien savoir. . .

MADAME PATIN. Courage, courage, Monsieur Serrefort, vous faites bien de jouer de votre reste.

MONSIEUR SERREFORT. Je voudrais bien savoir, vous dis-je, si vous ne feriez pas mieux d'avoir un bon carrosse, mais doublé de drap couleur d'olive, avec un chiffre entouré d'une cordelière, un cocher maigre, vêtu de brun, un petit laquais seulement pour ouvrir la portière, et des chevaux modestes, que de promener par la ville ce somptueux équipage qui fait demander qui vous êtes, ces chevaux fringants qui éclaboussent les gens de pied, et tout cet attirail, enfin, qui vous fait ordinairement mépriser des gens de qualité, envier de vos égaux, et maudire par la canaille. Vous devriez, Madame Patin, retrancher tout ce faste qui vous environne.

LISETTE. Mais, Monsieur. . . (A Madame Patin, qui tousse, crache et se mouche.) Qu'avez-vous, Madame?

MADAME PATIN. Je prends haleine. Monsieur ne va-t-il pas passer au second point? MONSIEUR SERREFORT. Non, Madame, et j'en reviens toujours à l'équipage.

MADAME PATIN. Le fatigant homme! MONSIEUR SERREFORT. Que faites-vous, entre autres choses, de ce cocher à barbe retroussée? Quand ce serait celui de la reine de Saba...

LISETTE. Mais, est-ce que vous voudriez, Monsieur, que Madame allât faire la barbe à son cocher?

MONSIEUR SERREFORT. Non; mais qu'elle en prenne un autre.

MADAME PATIN. Oh bien! Monsieur, en un mot comme en mille, je prétends vivre à ma manière; je ne veux point de vos conseils et me moque de vos remontrances. Je suis veuve, Dieu merci. Je ne dépends de personne que de moi-même. Vous venez ici me morigéner, comme si vous aviez quelque droit sur ma conduite; c'est tout ce que je pourrais souffrir à un mari.

MONSIEUR SERREFORT. Quand M. Migaud sera le vôtre, il fera comme il l'entendra, Madame; car je crois que vous ne nous manquerez pas de parole; et si vous aimez tant la dépense, ce mariage au moins vous donnera quelque titre qui rendra vos grands airs plus supportables.

MADAME PATIN. Oui, Monsieur, quand Monsieur Migaud sera mon mari, je prendrai ses leçons, pourvu qu'il ne suive pas les vôtres. Il s'accommodera de mes manières, ou je me ferai aux siennes. Est-ce fait? Avez-vous tout dit? Sortez-vous, ou voulez-vous que je sorte?

MONSIEUR SERREFORT. Non, Madame, demeurez; je ne me mêlerai plus de vos affaires, je vous assure; mais qu'une tête bien sensée en ait au plus tôt la conduite, et que ce double mariage, que nous avons résolu, se termine avant la fin de la semaine, je vous prie.

MADAME PATIN. Ne vous mettez pas en peine.

SCÈNE III.

MADAME PATIN, LISETTE.

LISETTE. Voilà un sot homme, de ne pas dire d'abord les choses. Il était bien besoin de tout ce préambule, pour en venir à l'affaire de M. Migaud. Que ne s'expliquaitil dès en entrant, vous lui auriez dit oui tout aussitôt, et il ne vous aurait pas tant ennuyée.

MADAME PATIN. Eh! ne faut-il pas bien qu'il me fatigue? Il semble qu'il ne soit fait que pour cela.

LISETTE. Franchement, Madame, il m'ennuie quelquefois, pour le moins autant que

vous.

MADAME PATIN. Que je le hais! Je ne serai point satisfaite, qu'il ne lui soit arrivé quelque aventure désespérante.

LISETTE. I le mérite bien; et quand vous serez une fois belle-mère de sa fille, vous aurez bien des occasions de le désespérer.

MADAME PATIN. La belle-mère de sa fille! Moi? Tu n'y songes pas, Lisette. Ne t'ai-je pas tantôt fait confidence de l'affaire du chevalier?

LISETTE. Ah! par ma foi, Madame, je vous demande pardon: je ne m'en souvenais pas; et je croyais que vous l'aviez oublié, à cause de ce que vous venez de dire à Monsieur Serrefort.

MADAME PATIN. Que tu es bête, ma pauvre Lisette! J'aurais promis à Monsieur Serrefort tout ce qu'il aurait voulu pour après-demain.

LISETTE. Oui, Madame.

MADAME PATIN. Oui, vraiment; car, dès demain, je me mettrai hors d'état de lui pouvoir tenir parole.

LISETTE. Cela est bien adroit.

MADAME PATIN. Nous avons pris, le chevalier et moi, toutes les mesures qu'il faut pour nous marier cette nuit, à cinq heures du matin.

LISETTE. Vous avez des précautions admirables. Mais, voici votre petite nièce bien échauffée.

MADAME PATIN. Quoi! je serai toujours obsédée, ou par le père ou par la fille? La mère ne viendra-t-elle point encore?

SCÈNE IV.

MADAME PATIN, LUCILE, LISETTE.

LUCILE. J'attendais avec impatience que mon père sortit, ma tante, pour vous dire une nouvelle qui vous fera voir que je suis autant dans vos intérêts que mon père vous est contraire.

MADAME PATIN. Que vous soyez dans mes intérêts, ou qu'il n'y soit pas, c'est pour moi la même chose.

LUCILE. Oh! ma tante, je crois que vous ne serez pourtant pas fâchée de savoir ce qu'on a dit à mon père.

MADAME PATIN. Et qu'a-t-on pu dire à votre père?

LUCILE. Que vous vouliez épouser un homme de la cour; et il a résolu je ne sais combien de choses pour vous en empêcher.

MADAME PATIN. Et qui peut avoir dit cette nouvelle, Lisette?

LISETTE. Je ne sais, Madame. Le chevalier a causé, peut-être. Les chevaliers sont de grands causeurs ordinairement.

LUCILE. Le moyen de rompre ses mesures, c'est de faire vos affaires tout doucement, ma tante, et de vous marier en cachette.

MADAME PATIN. Je sais ce qu'il faut que je fasse. Les gens qui ont dit cette nouvelle sont des bêtes, et votre père aussi.

LUCILE. Je vous demande pardon, ma tante; mais, j'ai une démangeaison furieuse de vous voir femme de qualité.

MADAME PATIN. Vous aurez bientôt ce plaisir-là; et je vous conseille par avance de commencer de bonne heure à garder avec moi certain respect où vous devez être, et où vous auriez peut-être peine à vous accoutumer dans la suite.

LUCILE. Comment donc, ma tante? MADAME PATIN. Défaites-vous surtout de ma tante, et servez-vous du mot de Madame, je vous prie, ou demeurez chez votre père. LUCILE. Mais, ma tante, puisque vous êtes ma tante, pourquoi faut-il que je vous appelle autrement?

MADAME PATIN. C'est qu'étant femme de qualité, et vous ne l'étant pas, je ne pourrais pas honnêtement être votre tante, sans déroger en quelque façon.

LUCILE. Oh! que cela ne vous embarrasse pas, ma tant; je deviendrai bientôt aussi femme de qualité.

MADAME PATIN. Que dites-vous? LUCILE. Il ne tiendra qu'à moi d'être pour le moins aussi grande dame que vous.

MADAME PATIN. Plaît-il?

LUCILE. Je connais un seigneur tout des plus jolis, que j'ai vu plusieurs fois aux Tuileries, qui m'épousera dès que je voudrai: ne vous mettez pas en peine.

MADAME PATIN. Ah! ah! Et comment s'appelle-t-il, ce seigneur?

LUCILE. On l'appelle Monsieur le marquis des Guérets. Il est fort riche et fort de qualité; car, il me l'a dit.

MADAME PATIN. Vraiment, je suis bien aise, ma nièce, que malgré la mauvaise éducation que votre père vous a donnée, vous preniez des sentiments dignes de l'honneur que je vous fais, de vouloir être votre parente. Voilà de quoi vous avez profité à me voir, et vous m'avez cette obligation.

LUCILE. Il faut que je vous en aie encore une autre, ma tante.

MADAME PATIN. Que faut-il faire?

LUCILE. Vous marier au plus tôt, s'il vous plaît, avec ce Monsieur que vous aimez, afin que cela m'autorise à épouser celui que j'aime aussi, et que quand mon père voudra me quereller, je puisse lui répondre: Je n'ai pas fait pis que ma tante.

LISETTE. Vous avez raison. C'est une terrible chose que l'exemple.

LUCILE. Mais il faudrait que ma tante se dépêchât, car Monsieur le marquis des Guérets, qui m'aime, a furieusement d'impatience.

MADAME PATIN. Oh bien! ma nièce, puisque vous êtes dans de si bonnes dispositions, je veux bien vous faire une confidence que je n'ai encore faite à personne qu'à vous. Je me marie demain, à cinq heures du matin.

LUCILE. A cinq heures du matin!

MADAME PATIN. Oui, ma nièce, à cinq heures. Si l'exemple vous encourage, c'est à vous de voir à quoi vous vous déterminez.

LUCILE. Je vais écrire à mon amant, et lui mander qu'il prenne toutes ses précautions, afin que nous nous dépêchions aussi. Adieu, ma tante.

MADAME PATIN. Adieu, ma nièce.

SCÈNE V.

MADAME PATIN, LISETTE.

MADAME PATIN. Ah! Lisette, que voilà bien de quoi me venger de Monsieur Serre

fort! sa fille est entêtée d'un homme de cour, un homme de cour la veut épouser, et elle meurt d'être épousée. Si le père et la mère en pouvaient mourir de chagrin, nous serions débarrassées de deux ennuyeux personnages.

LISETTE. Mais, Madame, est-ce que vous donnerez les mains aux desseins de votre nièce?

MADAME PATIN. Assurément, et je n'ai garde de manquer une si belle occasion de désespérer Monsieur Serrefort.

LISETTE. Cela est bien charitable, vraiment. Mais voici Monsieur le chevalier.

SCÈNE VI.

LE CHEVALIER, MADAME PATIN, LISETTE.

LE CHEVALIER. Eh bien! Madame, n'ai-je pas fait diligence?

MADAME PATIN. Quelque peu que vous ayez tardé, chevalier, je trouve les moments bien longs, quand je ne vous vois point, et mon impatience.

LE CHEVALIER. Jugez de la mienne par la vôtre, Madame; faites-moi, je vous prie, la justice de croire que je ne vis qu'autant que je suis auprès de vous.

MADAME PATIN. Cela est tout à fait obligeant.

LISETTE, bas. Je crains la conversation qu'ils vont avoir ensemble, et je voudrais bien que quelqu'un vînt les interrompre.

MADAME PATIN. Lisette, dites là-bas que je n'y veux être pour personne, et metteznous, je vous prie, cette après-dînée à couvert des importuns.

LISETTE. Oui, Madame. (Bas en s'en allant.) S'il n'en vient point, j'en irai chercher moi-même.

SCÈNE VII.

MADAME PATIN, LE CHEVALIER.

MADAME PATIN. Eh bien! chevalier, êtesvous bien content de votre équipage?

LE CHEVALIER. Il marchera ce soir; et s'il est de votre goût, Madame, il ne lui manquera aucune chose pour être parfaitement au mien.

MADAME PATIN. Puisque cela est, je l'admire par avance, et je le trouve des mieux entendus. Vous y avez fait mettre vos armes?

LE CHEVALIER. Non, Madame.

MADAME PATIN. Des chiffres? Je l'ai deviné dès tantôt.

LE CHEVALIER. En vérité, Madame, je ne sais ce que le peintre s'est avisé d'y mettre. MADAME PATIN. Allez! allez! je vous le pardonne.

LE CHEVALIER. Quoi, Madame?

MADAME PATIN. Le chiffre doit être fort beau, I'N et l'U font un assemblage fort agréable.

LE CHEVALIER. Comment donc, Madame? MADAME PATIN. Comme je m'appelle Nanette, I'N y domine apparemment. LE CHEVALIER. Madame.

MADAME PATIN. Vous faites le discret, chevalier; mais, vous êtes un badin, et dans les termes où nous en sommes, toutes ces façons-là ne sont pas permises.

LE CHEVALIER, bas. J'enrage; le chiffre du carrosse est apparemment celui de la baronne.

MADAME PATIN. Avez-vous passé chez le notaire?

LE CHEVALIER. Oui, Madame. Je ne l'ai point trouvé, et je lui ai laissé un billet.

SCÈNE VIII.

LA BARONNE, LE CHEVALIER, MADAME PATIN, LISETTE.

LISETTE, repoussant la baronne. Mais, Madame..

LA BARONNE. Vous êtes une sotte, ma mie, votre maîtresse y est toujours pour moi.

LE CHEVALIER. Vous êtes mal obéie, Madame, et voici quelqu'un qui vous demande.

MADAME PATIN. Ah! juste ciel! C'est une importune plaideuse, dont nous ne serons débarrassés d'aujourd'hui.

LE CHEVALIER, bas. Comment, morbleu! c'est ma baronne! Voici bien un autre embarras. Par où diantre me tirer d'intrigue?

LISETTE. Il nous a été impossible de faire tête à Madame, et le portier ni moi n'avons pu lui persuader que vous n'y étiez pas.

MADAME PATIN. Et pourquoi lui dire que je n'y suis pas? Est-ce pour des personnes comme elle qu'on n'y veut pas être? Je vous demande pardon, Madame.

LA BARONNE. Je vous le disais bien, ma mie, vous êtes une bête, comme vous voyez. Ah! ah! . . . Monsieur le chevalier. que faites-vous ici?

LE CHEVALIER. Mais vous, Madame, par quelle aventure.

MADAME PATIN, à Lisette. Le chevalier connaît la baronne!

LA BARONNE. Je venais ici, Madame, pour solliciter encore vos recommandations pour mon procès; mais je ne m'attendais pas d'y trouver Monsieur le chevalier. Qu'y vient-il faire, Madame?

MADAME PATIN, bas à Lisette. Elle y prend un grand intérêt. (Haut.) Madame, je ne sais.

LE CHEVALIER, à madame Patin. Ah! Madame, regardez, je vous prie, les affaires de Madame la baronne comme les miennes propres, vous ne me sauriez faire plus de plaisir. (A la baronne.) Vous voyez comme je m'intéresse pour vous, Madame.

MADAME PATIN, bas. Voilà un embrouillamini où je ne comprends rien.

LA BARONNE, bas. Qu'est-ce que tout cela veut dire?

MADAME PATIN. En vérité, Madame, je ne comprends point d'où vient votre curiosité sur le chapitre de Monsieur le chevalier, ni par quel motif. .

LA BARONNE. Comment, Madame, par quel motif?

LE CHEVALIER, à la baronne. Eh! Madame, de grâce. (A Madame Patin.) Que tout ceci ne vous étonne point. Madame est une personne de qualité (c'est ma cousine germaine), qui m'estime cent fois plus que je ne mérite (je suis son héritier); elle a pour moi quelque bonté. (Ne parlez pas de notre mariage.) J'en ai toute la reconnaissance imaginable. (Elle y mettrait obstacle.) Et comme elle a de certaines vues pour mon établissement et pour ma fortune, elle craint que je ne prenne des mesures contraires aux siennes.

LA BARONNE. Oui, Madame, voilà par quel motif.

MADAME PATIN. Je vous demande pardon, Madame.

LA BARONNE. Vous vous moquez, Madame. Mais dites-moi seulement, je vous prie, quel commerce Monsieur le chevalier.

MADAME PATIN. Commerce, Madame! Qu'est-ce que cela veut dire, commerce?

LE CHEVALIER. Comment, Madame la baronne? Ignorez-vous que la maison de Madame est le rendez-vous de tout ce qu'il y a d'illustre à Paris? (C'est une ridicule.) Que pour être en réputation dans le monde, il faut être connu d'elle? (Ne lui dites rien de notre dessein.) Que sa bienveillance pour moi est ce qui fait tout mon mérité? (C'est une babillarde qui le dirait.) Et qu'en fin je fais tout mon bonheur de lui

plaire, et que c'est là ce qui m'amène ici?

MADAME PATIN. Oui, Madame, voilà tout le commerce que nous avons ensemble. LA BARONNE. Pardonnez-moi, Madame. LE CHEVALIER. Eh! de grâce! Mesdames, n'entrez point dans des éclaircissements qui ne sont bons à rien. Soyez amies pour l'amour de moi, je vous en conjure; et que celle de vous deux qui m'estime le plus embrasse l'autre la première.

(La baronne et Madame Patin courent s'embrasser avec empressement.)

LA BARONNE. Madame, je suis votre ser

vante.

MADAME PATIN. C'est moi qui suis la vôtre, Madame.

LE CHEVALIER. Parlons, parlons de votre procès, Madame, je vous prie.

MADAME PATIN. Au moins, je n'ai pas attendu vos recommandations, Monsieur le chevalier, pour parler de l'affaire de Madame; mais on trouve sa cause fort mauvaise.

LA BARONNE. Madame, on a menti; je la maintiens bonne. Demandez à M. le chevalier; il la sait sur le bout de son doigt. Contez, contez-la un peu à Madame.

LE CHEVALIER. Vous avez tant d'affaires, Madame, que je ne sais pas de laquelle il est question. Je sais seulement qu'elles sont toutes aussi claires que le jour, et accompagnées de certaines circonstances dont je ne me souviens pas bien; mais qui sont les plus justes du monde, sans contredit.

LA BARONNE. Je vous en fais juge vousmême, Madame; écoutez seulement. C'est un procès intenté avant la bataille de Pavie. Mon bisaïeul y commandait un régiment; il fut tué à cette bataille. Ah! s'il était encore au monde, je serais bien sûre de gagner ma cause. N'est-il pas vrai, Monsieur le chevalier?

LE CHEVALIER. Je crois que oui, Madame. LA BARONNE. Vous voyez bien, Madame. . . (Elle voit rire Lisette.) Qu'avezvous à rire, ma mie? Vous avez là une chambrière bien impertinente, Madame. Elle ne fait pas la révérence quand je parle de mes aieux.

LISETTE. Je vous demande pardon, Madame; mais je n'ai pas l'honneur de les connaître.

LA BARONNE. N'était la considération de votre maîtresse. . .

MADAME PATIN. Laissez-nous, Lisette.

1 Francis I was taken prisoner in this battle by the forces of Charles V, February 24, 1525.

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