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MADAME PATIN. Comment donc sa bellemère? Tu crois qu'après ce qui vient de m'arriver je me piquerai de tenir parole à Monsieur Migaud, que je l'épouserai?

LISETTE. Oui, Madame. Et qu'a de commun ce qui vient de vous arriver avec les deux mariages que l'on a conclus de vous avec Monsieur Migaud, et du fils de Monsieur Migaud avec Lucile, votre nièce?

MADAME PATIN. Vraiment, je serais bien avancée. C'est un beau nom que celui de Madame Migaud! J'aimerais autant demeurer Madame Patin.

LISETTE. Oh! il y a bien de la différence. Le nom de Migaud est un nom de robe,1 et celui de Patin n'est qu'un nom de financier.

MADAME PATIN. Robe ou finance, tout m'est égal; et depuis huit jours je me suis résolue d'avoir un nom de cour, et de ceux qui emplissent le plus la bouche.

LISETTE, à part. Ah! ah! ceci ne vaut pas le diantre pour Monsieur Migaud.

MADAME PATIN. Que dis-tu?

LISETTE. Je dis, Madame, qu'un nom de cour vous siéra à merveille; mais, que ce n'est pas assez d'un nom, à ce qu'il me semble, que je crois qu'il vous faut un mari, et que vous devez bien prendre garde au choix que vous ferez.

MADAME PATIN. Je me connais en gens, et j'ai en main le plus joli homme du monde.

LISETTE. Comment! ce choix est déjà fait, et je n'en savais rien !

MADAME PATIN. Le chevalier n'a pas voulu que je te le dise.

LISETTE. Quel chevalier? Le chevalier de Villefontaine?

MADAME PATIN. Lui-même.

LISETTE. Quoi! c'est le chevalier de Villefontaine que vous voulez épouser? MADAME PATIN. Justement.

LISETTE. Vous n'y songez pas, Madame. Ce chevalier n'a pas un sou de bien.

MADAME PATIN. J'en ai suffisamment pour tous deux, et il y a même quelque justice à ce que je fais. Monsieur Patin n'a pas gagné trop légitimement son bien en Normandie; et c'est une espèce de restitution que de relever avec ce qu'il m'a laissé une des meilleures maisons de la province.

LISETTE. Ah! puisque c'est un mariage de conscience, je n'ai plus rien à vous dire. Que Monsieur Migaud sera surpris quand vous lui apprendrez votre dessein!

MADAME PATIN. Je n'ai garde de l'en in

former, il ne manquerait pas d'en aller faire ses plaintes à Monsieur Serrefort. Monsieur Serrefort viendrait à son ordinaire m'étourdir de ses sots raisonnements. Pour m'épargner l'embarras d'y répondre, je ne veux point que l'un ni l'autre sache cette affaire, qu'elle ne soit tout à fait conclue.

LISETTE. Mais, Madame, il me semble qu'avant d'épouser le chevalier de Villefontaine, il faudrait vous défaire honnêtement de Monsieur Migaud?

MADAME PATIN. C'est mon dessein, vraiment, et je veux lui faire une querelle d'Allemand 2 dès que je le verrai. Pour peu qu'il ait d'intelligence, il entendra bien ce que cela veut dire.

LISETTE. Une querelle d'Allemand? Vous avez raison; voilà une manière tout à fait honnête pour vous en défaire. Mais, le voici.

SCÈNE IV.

MONSIEUR MIGAUD, MADAME PATIN, LISETTE.

MONSIEUR MIGAUD. Madame, j'entre peutêtre indiscrètement; mais, je viens moimême vous apporter la réponse du billet que vous m'écrivîtes hier au soir.

MADAME PATIN. Moi! je vous ai écrit, Monsieur?

MONSIEUR MIGAUD. Oui, Madame; une vieille baronne, qui a un procès dont je suis rapporteur, m'apporta hier une recommandation de votre part..

MADAME PATIN. Ah! je m'en souviens; oui, oui, c'est une vieille importune qui me fatigue depuis huit jours pour vous parler en sa faveur, et je vous écrivis hier pour m'en débarrasser.

MONSIEUR MIGAUD. Je suis bien aise, Madame, que vous ne preniez pas grande part à son affaire; il y a dans sa cause plus de chimère que de raison; et en vérité, il y a peu d'honneur à se mêler. . .

MADAME PATIN. Comment, Monsieur, vous ne lui ferez pas gagner son procès?

MONSIEUR MIGAUD. Moi! Madame; cela ne dépend pas de moi seulement, et la justice.

MADAME PATIN. La justice! la justice! Vraiment, si la justice était pour elle, on aurait bien à faire de vous solliciter. Quelle

1 nom de robe, name associated with the legal profession. 2 a groundless quarrel.

obligation prétendriez-vous que je vous eusse?

MONSIEUR MIGAUD. Mais, Madame. . .

MADAME PATIN. Mais, Monsieur! je ne prétends pas qu'on dise dans le monde qu'une recommandation comme la mienne n'a servi de rien; et je ne suis pas assez laide, ce me semble, pour avoir la réputation de n'avoir pu mettre un juge dans les intérêts des personnes que je protège.

MONSIEUR MIGAUD. En vérité, Madame, je ne vois pas la raison qui vous oblige à vouloir que je m'intéresse dans une cause où il n'y a que de la honte à recevoir.

MADAME PATIN. En vérité, Monsieur, je ne vois pas la raison qui vous oblige, lorsque je vous en prie, de vouloir refuser de donner un bon tour à une méchante affaire. Eh fi! Monsieur, il semble que vous ayez encore la pudeur d'un jeune conseiller.

MONSIEUR MIGAUD. Sérieusement, Madame. . .

MADAME PATIN. Ah! Monsieur, point de réplique, je vous prie. Je me fais entendre, si je ne me trompe: c'est à vous de prendre vos mesures là-dessus. Lisette, si la personne dont je vous ai parlé vient ici, qu'on me fasse avertir chez Araminte, où je vais jouer au reversis.1 Monsieur, je vous donne le bonjour.

SCÈNE V.

MONSIEUR MIGAUD, LISETTE.

MONSIEUR MIGAUD. Lisette?
LISETTE. Monsieur?

MONSIEUR MIGAUD. Que veut dire cette manière? Quel accueil me fait ta maîtresse ! LISETTE. Vous n'en êtes pas fort content, à ce que je vois?

MONSIEUR MIGAUD. Trouves-tu que j'aie sujet de l'être?

LISETTE. Il me semble que non, franche

ment.

MONSIEUR MIGAUD. Comment faut-il que j'explique tout ceci?

LISETTE. Pour peu que vous ayez d'intelligence, vous entendez bien ce que cela signifie.

MONSIEUR MIGAUD. Je m'y perds, plus je l'examine.

LISETTE. Il me semble pourtant que cela n'est pas bien difficile à comprendre.

MONSIEUR MIGAUD. Aide-moi, je te prie, à le pénétrer.

1 a game of cards.

LISETTE. Vous aimez Madame Patin ma maîtresse, et vous avez cru jusqu'ici que Madame Patin vous aimait?

MONSIEUR MIGAUD. Nos affaires sont assez avancées pour me le faire présumer; et ce qui me surprend, c'est qu'aux termes où nous en sommes, elle prenne des airs si brusques.

LISETTE. Cela serait aussi un peu surprenant, si vous ne la connaissiez pas; mais, vous savez ce qu'il en faut croire.

MONSIEUR MIGAUD. Sans le respect que j'ai pour elle, je croirais.

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LISETTE. Eh! laissez là le respect, Monsieur, et dites librement que vous la croyez un peu folle: je me connais trop bien en gens pour vous en dédire.

MONSIEUR MIGAUD. Écoute, Lisette, puisque tu me parles franchement je t'avouerai de bonne foi que le caractère de Madame Patin m'a toujours fait peur, et que, sans certains intérêts de mon fils, je n'aurais jamais songé à l'épouser. Monsieur Serrefort, comme tu sais, appréhende que sa belle-sœur ne dissipe les grands biens que son mari lui a laissés en mourant; et c'est pour s'assurer cette succession, qu'en donnant Lucile à mon fils, il ne consent à ce mariage qu'à condition que j'épouserai Madame Patin.

LISETTE. Et vous aurez la complaisance de vouloir bien souscrire à cette condition? MONSIEUR MICAUD. J'assure par-là plus de quarante mille livres de rente à ma famille.

LISETTE. Cela vaut bien que vous vous exposiez à enrager le reste de vos jours.

MONSIEUR MIGAUD. J'aurai moins à souffrir que tu ne penses, et je suis, grâce au ciel, d'une profession et d'un caractère à mettre aisément une femme à la raison.

LISETTE. Commencez donc dès à présent à y mettre Madame Patin; car je vous avertis que si vous attendez pour la rendre sage que vous soyez son mari, vous courez risque de la voir mourir folle.

MONSIEUR MIGAUD. Que me dis-tu là? LISETTE. Je me suis senti de l'inclination à vous rendre service; et il me semble que Monsieur votre fils, qui est un garçon si sage et si honnête, fera bien un meilleur usage des quarante mille livres de rente à qui vous en voulez, que le petit fat à qui Madame Patin les destine.

MONSIEUR MIGAUD. Explique-moi cette énigme-là ta maîtresse aurait-elle changé de pensée ?

LISETTE. Elle s'est mis la cour en tête; et, pour y paraître avec éclat, elle prétend épouser le chevalier de Villefontaine.

MONSIEUR MIGAUD. Cela ne se peut pas! LISETTE. Je ne sais pas si cela se peut, mais je sais bien que cela est.

MONSIEUR MIGAUD. Le chevalier de Villefontaine! Tu te moques, mon enfant, cet homme-là n'est point fait pour épouser. C'est un aventurier qui n'en a pas le temps, un jeune extravagant. qui n'a pas cent pistoles de revenu, qu'on ne connaît à la cour que par le ridicule qu'il s'y donne, et qui n'a, pour tout mérite, que celui de boire et de prendre du tabac.

LISETTE. Eh bien! Monsieur, boire ct prendre du tabac, c'est ce qui fait aujourd'hui le mérite de la plupart des jeunes gens!

MONSIEUR MIGAUD. Je ne saurais croire ce que tu me dis.

LISETTE. Non, ne croyez pas; mais, avertissez-en toujours Monsieur Serrefort par précaution, et prenez vos mesures comme si vous en étiez persuadé; la suite vous convaincra du reste. Voici notre chevalier, adieu! Ne perdez point de temps, et comptez que ce n'est pas peu que je me mêle de vos affaires.

MONSIEUR MIGAUD. L'étrange chose que la tête d'une femme!

SCÈNE VI.

LE CHEVALIER, LISETTE.

LE CHEVALIER. Bonjour, ma pauvre Lisette. Ah! ah! tu as du dessein aujourd'hui. Te voilà plus parée que de coutume, et toujours plus belle que tout ce que j'ai vu de plus beau. Quel charmant embonpoint!

LISETTE. Est-ce à moi que vous parlez, Monsieur?

LE CHEVALIER. Et à qui donc ?

LISETTE. J'ai cru que c'était un compliment pour quelque dame, que vous répétiez comme une leçon. Madame vous a attendu longtemps, Monsieur.

LE CHEVALIER. En vérité? Tu es une des plus aimables filles que je connaisse. Mais, qui te fait tes manteaux? Je veux mettre ton ouvrière en crédit. Par ma foi, voilà le plus galant négligé qu'on ait jamais vu! Comme elle se coiffe, la friponne!

LISETTE. Vous voulez bien, Monsieur, que j'aille dire à Madame que vous êtes ici?

Elle n'est qu'à dix pas, chez une de ses amies.

LE CHEVALIER. Attends, attends, Lisette: un moment plus ou moins ne fera rien à la chose.

LISETTE. Pardonnez-moi, Monsieur, je serai bien aise qu'on l'avertisse de votre impatience; aussi bien, voilà Crispin qui a quelque chose à vous dire.

SCÈNE VII.

LE CHEVALIER, CRISPIN.

CRISPIN. Ah! vous voilà, Monsieur! Je vous cherchais partout pour vous dire que la baronne.

LE CHEVALIER. Paix! paix! tais-toi! Ne vois-tu pas où nous sommes !

CRISPIN. Oui, Monsieur, mais la ba

ronne.

LE CHEVALIER. Eh! ventrebleu! maraud, ne t'ai-je pas dit que quand je suis chez une femme, je ne veux point que tu me viennes parler d'aucune autre.

CRISPIN. Cela est vrai. Mais, Monsieur, cette baronne. . .

LE CHEVALIER. Mais, monsieur le fat, taisez-vous, encore une fois; et ne venez point gâter une affaire qui est peut-être la meilleure qui me puisse arriver.

CRISPIN. Oh! oh! Quoi, Monsieur, la maîtresse du logis parle-t-elle de mariage, et songez-vous à l'épouser? L'aimez-vous?

LE CHEVALIER. Moi, l'aimer? Pauvre sot! CRISPIN. De quelle affaire parlez-vous done?

LE CHEVALIER. Je l'épouserai si je veux; mais je la hais comme la peste, et ce ne serait pas elle que j'épouserais.

CRISPIN. Non? Le diable m'emporte si je vous entends!

LE CHEVALIER. Ce serait quarante mille livres de rente qu'elle possède dont je pourrais être amoureux.

CRISPIN. C'est-à-dire que ce sont les quarante mille livres de rente que vous épouseriez en l'épousant?

LE CHEVALIER. Et quoi done? Si j'avais à aimer, ce ne serait pas Madame Patin, Dieu me damne!

CRISPIN. Ce ne serait pas aussi la vieille baronne; car vous lui promettez tous les huits jours de l'épouser dans la semaine, et il y a près d'un an que vous l'amusez.

LE CHEVALIER. Si la baronne avait gagné ses procès, je la préférerais à Madame Patin; et quoiqu'elle ait quinze ou vingt an

nées davantage, ses procès gagnés lui donneraient quinze ou vingt mille livres de rentes de plus que n'a Madame Patin.

CRISPIN. C'est-à-dire que, s'il en venait encore quelqu'autre plus riche que ces deux-là, vous prendriez parti avec la dernière?

LE CHEVALIER. Je les ménagerai toutes, autant qu'il s'en présentera, le plus longtemps que je pourrai, et je me déterminerai pour celle qui accommodera le mieux mes affaires.

CRISPIN. Et pour accommoder les miennes, j'ai envie d'en prendre quelqu'une de celles dont vous ne voudrez point; car, entre nous, Monsieur, je n'aime point les soubrettes, voyez-vous. A propos d'aimer, je crois que vous n'aimez rien, vous, que votre profit?

LE CHEVALIER. Je ne sais si je n'aimerais point une petite brune, qui est la plus charmante du monde; et si elle était aussi riche qu'elle voudrait me le faire croire, je n'hésiterais point à lui sacrifier toutes les autres. CRISPIN. Quelle petite brune? Comment l'appelez-vous?

LE CHEVALIER. Je n'ai pu encore savoir

son nom.

CRISPIN. Je m'étonnais aussi, car il n'y a point de petite brune sur mon mémoire.

LE CHEVALIER. Ce n'est que depuis quatre jours que je la vois tous les soirs aux Tuileries. Je lui ai fait croire qu'on m'appelait le marquis des Guérets. Parbleu! c'est une conquête aussi difficile que j'en connaisse. Je ne suis pourtant pas mal auprès d'elle.

CRISPIN. En quatre jours! Voilà une conquête bien difficile, vous avez raison.

LE CHEVALIER. Elle a un père extrêmement bizarre, à ce qu'elle m'a dit; et ce n'est que sous le prétexte d'aller voir une certaine tante, qu'elle trouve moyen de venir les soirs à la promenade.

CRISPIN. Toute jeune et toute petite personne qu'elle est, elle ment déjà à la perfection, n'est-ce pas ?

LE CHEVALIER. Elle a de l'esprit au delà de l'imagination. Une vivacité. . . La charmante petite créature!

CRISPIN. Diable!

LE CHEVALIER. Ne m'en parle plus, Crispin, ne m'en parle plus, je t'en prie. Vois-tu? J'ai des entêtements de fortune, et je craindrais de me faire avec cette petite personne une affaire de cœur qui me mènerait peut-être trop loin.

CRISPIN. Vous avez raison.

LE CHEVALIER. Songeons au solide, mon

ami, nous donnerons ensuite dans la bagatelle.

CRISPIN. C'est bien dit. Or çà, je vois bien que c'est la dame d'ici qui est la meilleure à ménager, et je m'en vais renvoyer Madame la baronne avec ses présents.

LE CHEVALIER. Comment, que parles-tu de présents?

CRISPIN. C'est ce que je vous ai voulu dire d'abord, que Madame la baronne vous attend chez vous avec des présents; mais je vais la renvoyer.

LE CHEVALIER. Attends, attends un peu. Et qu'est-ce que c'est que ces présents?

CRISPIN. Eh! Monsieur, c'est, par exemple, un fort beau carrosse qu'elle a fait mettre sous une de vos remises, deux gros chevaux dans votre écurie, un cocher et un gros barbet qui ont amené tout cela, et que je vais renvoyer puisque vous le voulez.

LE CHEVALIER. Non, non, demeure. Cette pauvre femme! Elle m'aime dans le fond, et je ne veux pas la fâcher.

CRISPIN. Vous avez raison; mais vous ne songez pas que Madame Patin. . .

LE CHEVALIER. Je songe que Madame Patin aime le grand air et le grand équipage. Le carrosse est beau?

CRISPIN. Il est des plus beaux qui se portent.

LE CHEVALIER. Cette pauvre baronne! Et les chevaux?

CRISPIN. Les chevaux sont des chevaux qui ont l'air aisé. Vous n'en avez jamais encore eu comme ceux-là.

LE CHEVALIER. La pauvre femme! Va, va-t'en lui dire que je la remercie, et j'aurai l'honneur de la voir cette aprèsdinée.

CRISPIN. Oh! sans vous, il n'y a rien à faire; et je m'en vais gager qu'elle emmènera les chevaux, le carrosse et le barbet, si vous ne venez les recevoir vous-même; et encore faut-il vous dépêcher, car elle a des affaires, et il me semble qu'elle m'a dit qu'un de ses procès se jugeait demain sans faute.

LE CHEVALIER. Eh bien! dis lui seulement que je la verrai aujourd'hui sans y

manquer.

CRISPIN. Vous lui avez manqué vingt fois de parole. Voulez-vous qu'elle se fie à la mienne?

LE CHEVALIER. Voilà Madame Patin. Va vite faire ce que je dis.

CRISPIN. Parbleu! vous viendrez, puisque vous voulez garder l'équipage.

LE CHEVALIER. Tais-toi donc, maraud, et laisse-moi sortir honnêtement d'avec celle-ci.

SCÈNE VIII.

MADAME PATIN, LE CHEVALIER, LISETTE, CRISPIN.

MADAME PATIN. Je vous ai fait attendre, Monsieur le chevalier; mais vous me devez savoir gré de ne me pas trouver chez moi. Comme je n'y veux être que pour vous, je suis bien aise de me dérober aux importunités de quelques gens qui se croient en droit de me parler à toute heure, et à qui mes gens n'osent fermer la porte au nez, quoique je leur aie commandé plus de mille fois de le faire.

LE CHEVALIER. On est trop payé, Madame, du chagrin d'avoir attendu, quand on a le bonheur de vous voir un moment, et j'attendrai toujours volontiers, quand je serai sûr de ne pas attendre inutilement.

MADAME PATIN. Qu'il est obligeant! et qu'il dit les choses de bonne grâce! Au moins, Monsieur le chevalier, Lisette m'a rendu compte de votre honnêteté; vous ne vouliez pas qu'elle me vînt avertir, de peur de me détourner; mais, j'aurais été bien fâchée contre elle,

LE CHEVALIER. Je craignais de donner du chagrin à la compagnie que vous venez de quitter.

MADAME PATIN. Il n'y avait que des femmes, au moins; et vous n'avez point de rivaux à craindre.

CRISPIN, bas au chevalier. Le carrosse s'ennuiera sous la remise.

LE CHEVALIER. Paix!

MADAME PATIN. Que dit Crispin?
CRISPIN. Rien, Madame.

MADAME PATIN. Passons dans mon cabinet, nous y serons mieux qu'ici.

CRISPIN, bas au chevalier. Les chevaux s'impatienteront, vous dis-je.

LE CHEVALIER. Te tairas-tu?

MADAME PATIN. Allons, Monsieur le chevalier.

CRISPIN. Adieu l'équipage.

MADAME PATIN. A qui en a-t-il? Que parle-t-il d'équipage.

LE CHEVALIER. Je ne sais, Madame, ce qu'il marmotte entre ses dents: de carrosse, de chevaux, d'équipage. C'est mon sellier qui m'attend, n'est-ce pas ?

CRISPIN. Oui, Monsieur.

LE CHEVALIER. M'a-t-on amené ces deux chevaux neufs?

CRISPIN. Oui, Monsieur, et ils vous attendent, comme je vous ai dit.

LE CHEVALIER. Je vous demande pardon, Madame, c'est un nouveau carrosse que je

me donne. Je sais que je vous fais plaisir de me bien mettre en équipage, et je meurs d'impatience de voir si vous devez être contente de celui-ci.

MADAME PATIN. Je vais le voir avec vous; et puisque c'est pour me plaire que vous faites cette dépense, je serai bien aise d'être la première à vous en dire mon sentiment. Allons.

LE CHEVALIER. Ah! Madame, songez de grâce...

MADAME PATIN. A quoi? Monsieur le chevalier.

LE CHEVALIER. Eh! Madame.
MADAME PATIN. Comment?

LE CHEVALIER. Que dirait-on, Madame, dans le monde, des petits soins qu'on vous verrait prendre? Cela seul suffirait pour découvrir ce que nous avons intérêt de cacher; et je serais au désespoir que quelques soupçons nous attirassent de chagrinantes remontrances de votre famille et de la mienne.

CRISPIN. Assurément, Madame, et il ne serait pas honnête que mon maître essayât son carrosse devant vous. La femme de son sellier est une causeuse.

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LE CHEVALIER. Oui, Madame, il y a des suites à craindre, que je prévois, et que je ne saurais vous dire. Adieu, Madame, je reviendrai dans un instant, si vous voulez me le permettre. . .

MADAME PATIN. Adieu donc, chevalier. Ne tardez pas, je vous prie, et passez chez votre notaire pour ce que vous savez.

SCÈNE IX.

MADAME PATIN, LISETTE.

LISETTE. Ma foi, Madame, ce n'était pas la peine de quitter le jeu, pour être sacrifiée par Monsieur le chevalier à l'impatience de voir son carrosse.

MADAME PATIN. Que tu es folle, Lisette! Je lui sais bon gré de cette impatience. C'est pour me faire plaisir qu'il a fait faire ce carrosse. Je gage qu'il y aura fait mettre des chiffres.

LISETTE. Je ne sais, mais je crains bien que ce Monsieur le chevalier ne vous donne bien des chagrins. Les gens de la Cour, et les jeunes gens surtout, sont d'étranges personnages. Celui-ci, encore qu'il soit votre amant, vous voyez avec quelle brusquerie il vous quitte pour aller voir un carrosse neuf. S'il est jamais votre mari, il se lèvera d'auprès de vous, dès quatre heures du

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