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La Cathédrale de Clermont

Première Partie

HISTOIRE DE LA CATHÉDRALE

(suite)

A la même époque (1463), l'autel principal s'enrichit d'un haut et merveilleux retable d'argent, offert par Guillaume de la Tour d'Olliergues, ancien chanoine de Clermont, d'évêque de Rodez devenu patriarche d'Antioche. Sur le maître-autel de la cathédrale de Rodez, il a déjà, en souvenir, fait placer un retable aussi précieux et d'une composition identique. Pour exécuter cette œuvre de munificence, aux trois orfèvres de la ville, choisis par eux, les chanoines de Clermont imposent l'obligation de construire une maison ou laboratoire spécial (1). A ces travaux artistiques, il fallut quatre années. Sur ce retable, douze statues de vermeil, hautes de plus d'un pied, représentent les Apôtres ; au milieu, entourée de Chérubins, la Vierge s'élève vers le ciel ; à ses pieds, d'un côté, l'image de saint Jean l'Evangéliste, de l'autre, le donateur revêtu de ses habits pontificaux; deux anges portent le blason du patriarche. Dorés sur leur face intérieure, deux larges battants forment armoire et, à Noël, à Pâques, à l'Assomption, ils s'ouvrent pour laisser voir les multiples reliquaires qu'ils renferment. Sur le retable, au-dessous du grand crucifix d'argent, est posée l'image assise de la Vierge avec l'Enfant Jésus sur les genoux, haute statue tout ornée de pierreries, à la tête archaïque de vermeil et en même temps chasse où l'évêque Etienne II enferma un grand nombre de précieuses reliques.

A la fin du xv siècle (1496), sous l'épiscopat de Charles II

(1) Le principal de ces orfèvres s'appelait Louis Mirepoix.

2. Série.

Janvier 1908.

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de Bourbon, après la longue suspension dans l'œuvre d'achèvement, le Chapitre tourne de nouveau son zèle vers l'extéricur de l'édifice (1). Il nomme une commission de maîtresmaçons et, pour obtenir un jugement éclairé, il ne se contente pas des ouvriers qu'il a sous la main, il fait appel encore à un maître d'Ennezat, à un autre venu de la Touraine. Cette sorte de jury parcourt la cathédrale, trace des plans (2) et, devant un notaire, sous la foi du serment, dresse un devis minimum (3). Les projets sont grandioses: la toiture à refaire, le portail méridional à compléter; une tour au nord, deux au midi à bâtir; à l'ouest, trois travées et, en style flamboyant, les trois portes de la façade avec les deux clochers principaux. Mais, à cette époque, les grandes ressources ont disparu, la foi a perdu ses ardeurs généreuses; le Chapitre doit s'avouer trop pauvre pour s'engager en de pareilles dépenses. Tout se borne à construire une tour, à droite du portail méridional (4).

Du moins, quelques années plus tard, l'ancien abbé de Saint-Alyre devenu évêque de Clermont (1505-1516), Jacques d'Amboise, s'évertue à doter sa cathédrale d'embellissements dignes de la prodigalité de son culte pour les arts. Par l'ensemble de son œuvre, il appartient à l'élite de ces magnifiques prélats de la Renaissance qui, en France ou en Italie, rivalisèrent d'ardeur pour exciter la verve des architectes ou des

(1) Peu de temps auparavant on avait construit, dans une chapelle latérale, la fenêtre flamboyante, du côté sud. Cette date est indiquée par le blason du Pape Innocent VIII (1484-1492) encore visible dans les débris des vitraux de cette fenêtre.

(2) Aux Archives départementales est conservé, sur parchemin, le » patron et pourtraict des portaux et de ce qu'il reste à parachever » à l'Eglise de Clermont. »>

(3) Ce devis monte à 100.300 livres, qui feraient environ trois millions de notre monnaie.

(4) Il se pourrait toutefois que cette tour eût été construite quelques années plus tard, sous Jacques d'Amboise. Qu'avant la Révolution, non pas quatre, ni une seule, mais deux tours du transept aient été construites, l'une au nord, l'autre au midi, c'est un fait sur lequel il nous faut appeler l'attention et dont bientôt nous pourrons donner les preuves dans une étude spéciale.

peintres. A Rouen, son frère plus jeune, le cardinal Georges d'Amboise, premier ministre de Louis XII, et son neveu, le second cardinal Georges, ont fait travailler au splendide frontispice de la cathédrale, à la grande tour du transept et à leur commun tombeau, chef-d'oeuvre de Rouland Leroux. A Gaillon, le premier cardinal Georges avait encore fait construire le somptueux château dont le portique se voit maintenant à Paris, dans la cour de l'Ecole des Beaux-Arts. Vers la même époque, à un autre frère de Jacques d'Amboise et à un autre de ses neveux, Louis Ier et Louis II d'Amboise, la cathédrale d'Albi doit l'achèvement de sa haute tour-donjon, les merveilles du jubé, de la clôture du chœur et des peintures de la voûte.

C'est notre évêque qui, dans la capitale, a fait construire l'hôtel de Cluny, l'un des types les plus complets, les plus élégants de l'architecture civile d'autrefois (1). Parmi nous, la fontaine qui porte son nom est restée un vivant témoignage du goût, du zèle artistique qui semblait un apanage de naissance dans sa puissante famille (2). D'ailleurs, à la cathédrale cette fontaine donnait une nouvelle parure, puisqu'elle se dressait tout près de son enceinte, vers le centre de la place du sud (3). Dès le début de son pontificat, à la mesquine toiture plate, couverte de tuiles que les vents d'ouest soulèvent et emportent, Jacques d'Amboise a résolu de substituer une haute toiture de plomb qui à la solidité joindra cette montée robuste, pour nous si pleine de poésie au-dessus des élans

(1) Le nom de cet hôtel vient de ce fait que Jacques d'Amboise, en même temps qu'évêque de Clermont, était abbé de Cluny. Il l'était aussi de Jumièges en Normandie; mais il ne tarda point à se démettre de ces titres.

(2) Donnons-en de nouvelles preuves: à Chaumont, un autre de ses frères, Charles d'Amboise, reconstruit la demeure paternelle et en fait l'un des châteaux les plus intéressants des bords de la Loire. A Meillant, dans le Berry, son neveu, appelé lui aussi Charles d'Amboise, grand amiral de France, fait bâtir un luxueux château avec sa merveilleuse Tour des Lions, vraie dentelle brodée dans la pierre.

(3) Elle a été transportée, en 1808, sur la place Delille, puis, en 1858, à son emplacement actuel, sur le cours Sablon.

de la pierre dans les grandes basiliques des provinces du nord. Dans un synode général de son clergé, il expose l'urgence de ce travail, la pénurie du Chapitre, la nécessité pour chacun d'apporter une aumône proportionnée aux revenus de son bénéfice; lui-même, il y consacrera les sommes perçues pour son joyeux avènement. Les rôles de contribution une fois dressés, à Jean de Lugny est confiée la charge de lever cet impôt (juillet 1507). Sur les récalcitrants, neuf jours après les sommations régulières, l'évêque ne craint pas de faire tomber la redoutable sentence d'excommunication. Pour soutenir le lourd manteau de métal, il faudra, sur la colline de Chanturgues, abattre un bois de châtaigniers qu'un habile ouvrier, Jean Durif, transformera en merveilleuse charpente. Les plombs sont fondus dans le cloître du Chapitre. A sa ligne de faîtage, la toiture se couronne de la grâce de cette crête que nos yeux peuvent encore admirer. Des ornements, une grande inscription commémorative brillent de l'or qui les rehausse (1). Au chevet, Jacques d'Amboise fait ériger une superbe statue de la Vierge, entourée de rayons où s'agitent des anges; tout cet ensemble, couvert de dorure, frappe au loin les regards et excite une

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(1) Cette toiture a excité au plus haut point l'admiration de nos pères. « Tout le couvert luit et est aussi net que de l'argent, les pluies, les nei» ges, les frimas et les vents de nuit et de septentrion ayant empêché que » les brouillards, qui ne s'élèvent pas si haut ou du moins n'y sont pas épais, n'aient noirci ni crassi le plomb, comme il a fait aux autres > couverts de semblable nature, à Notre-Dame et à la Sainte Chapelle du >> Palais à Paris ». Pierre Durand (1615-1684): Description manuscrite de la cathédrale de Clermont. « Ce toit charme les yeux de tous ceux » qui l'aperçoivent, étant couvert de plomb que les étrangers qui le dis>> tinguent de loin prennent pour de l'argent, quand le soleil donne dessus, » tant il est blanc ». Chanoine P. Audigier (1659-1744) : Histoire manuscrite de la ville de Clermont. — Voici maintenant la légende : « La » Cathédrale qui est dédiée à la Très Sainte Vierge, est une des plus rares pièces de France; elle est couverte de plomb et l'on croit que cette » matière est si bien purifiée et si bien changée en argent qu'il y a eu » des personnes qui ont voulu donner je ne sais combien d'argent et » recouvrir encore l'église, si on voulait leur donner l'ancienne couver»ture qui y est, à quoi on n'a pas voulu consentir ». Savinien d'Alquié : Les délices de la France, Amsterdam, 1699, tome II, p. 163.

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dévotion que plus tard nous essaierons de rappeler (1). Audessous de la Vierge, un Arbre de Jessé se déploie et sur ses branches porte les images des ancêtres du Christ (2). Sur le milieu du choeur, s'élève un nouveau Clocher du Retour, où les délicats rinceaux de la Renaissance s'unissent aux ogivales traditions d'élancement symbolique. A la base, des guivres se tordent, bouche béante; aux angles et le long des pentes, des angelots grimpent ou demeurent tranquillement assis. Tous ces ornements de plomb, anges, guivres, rinceaux, étincellent d'or. A l'autre bout de la toiture, un Saint Michel colossal, les ailes déployées, s'enlève sur le ciel et fait pendant à Notre-Dame du Retour.

Le chœur lui-même, l'évêque l'enrichit de stalles merveilleuses. A profusion, le sculpteur Chapart y a semé les ornements ciselés comme une pièce d'orfèvrerie, les figures ingénieusement bizarres et aussi les armes du donateur. Près d'elles, au-dessus de la chaire épiscopale, une pyramide monte, découpée à jour, élancée. Peut-être cette admirable décoration laissait-elle peu à désirer pour le disputer en richesse avec les ravissantes stalles d'Auch, de Brou et d'Amiens. Jacques d'Amboise fait aussi exécuter, en soie, des tapisseries aux couleurs éclatantes où, les jours de grandes fêtes, les scènes de la vie du Christ se déroulent au-dessus de la longue ligne des stalles (3).

(1)« Nous pouvons bien dire comme véritable, que cette belle image » qu'on nomme Notre-Dame de Tout Bien, se voit de la montagne de › Thiers, distante de douze lieues françaises, brillante comme l'étoile du » jour ». Pierre Durand: Description manuscrite de la cathédrale de Clermont.

(2) On appelle Arbre de Jessé une sorte d'arbre généalogique du Christ, exécuté en vitrail ou en sculpture. Les rameaux portent les images des ancêtres du Sauveur et ainsi traduisent d'une manière concrète la célèbre prophétie d'Isaïe (x1, 1): «Egredietur virga de radice Jesse, et flos de radice ejus ascendet. >>

(3) Sous les grandes voûtes de la nef, tout proche de la vieille tour romane du sud-ouest, une fenêtre flamboyante, semblable à celle de la chapelle d'en bas, avait été construite par Jacques d'Amboise, comme le prouvaient ses armes, gravées au-dessus, à l'extérieur. Cette fenêtre qui aurait d'ailleurs rompu l'unité, a été détruite vers 1850.

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