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qu'aujourd'hui comme alors, le dévouement familial ou fraternel, la force morale dans les épreuves, la compatissance aux malheurs d'autrui, en un mot toutes les œuvres et vertus qui se groupent, sous le vieux vocable de charité chrétienne, sont et resteront partout prospères, sur notre terre de France, et dans toutes les classes de la société.

Mais j'entends dire que ce mot de charité, et plus encore celui d'aumône froissent que je trouve aussi très noble certains esprits. Il faudrait à les en croire, bannir, du milieu de nous, ces vertus du passé, pour s'attacher au triomphe de la justice. Pax et justitia osculatæ sunt » (Ps. 84, 11), nous dit le Psalmiste. Elles se sont donc rencontrées, au chemin de la vie, la justice et la paix, depuis les jours du Christ. Et quand la justice sera partout triomphante, du haut en bas de l'échelle sociale, nul doute que ne règne aussi la paix, cette paix merveilleuse que les anges ont chantée, il y a bientôt deux mille ans, sur la Crèche du Sauveur. Il est manifeste en effet que la justice rendue à chacun, il ne saurait plus y avoir d'occasion de discorde. Et dès lors, il serait bien vrai de dire, que non seulement elles se sont rencontrées, mais encore qu'elles ont scellé leur union dans un baiser fraternel.

Et pourtant que d'injustices et de discordes! Croit-on possible de corriger l'incorrigible, et de supprimer les douloureuses conséquences de la chute originelle? Notre-Seigneur nous offre bien les moyens de surmonter les épreuves où nous vivons; mais nulle part, il n'est dit qu'il ait songé à les supprimer. Je lis même qu'il a déclaré qu'il y aurait toujours parmi nous des pauvres ; et par suite toujours ce cortège de misères physiques et morales que traîne après soi la pauvreté; par suite aussi un perpétuel besoin, pour les soulager, de cette charité qui d'une main discrète cache, au sein du malheur, ses bienfaits et oblige également celui qui donne, et celui qui reçoit.

On m'adresse, il est vrai, à l'Evangile, et j'y remarque, sans doute, que Notre-Seigneur a dit : « Vous avez... »; mais j'y remarque aussi qu'il a ajcuté: toujours; vous avez loujours; vous avez aujourd'hui comme vous aviez hier, comme vous aurez demain et toujours des pauvres parmi vous. Et en parlant ainsi le Maître ne prophétise pas; il constate simplement un fait social qui, étant l'œuvre du péché, durera autant que le péché sur notre terre, c'est-à-dire jusqu'à la fin du monde.

D'ailleurs qu'on ne prétende pas que la pauvreté soit une honte et que l'aumône humilie. « La pauvreté, nous dit Bos>> suet, n'est plus roturière depuis que le Christ, l'ayant » épousée, l'a ennoblie par cette alliance (1) » ; et l'aumône, œuvre avant tout de douce et réciproque compassion, rappro che et n'humilie pas. Car elle se fait également par les mains du riche, et par celles du pauvre, donnant chacun des biens dont il dispose: le riche, son or et sa sympathie, le pauvre, sa prière, et sa reconnaissance, et le poète ne faisait qu'interpréter cette pensée quand il chantait :

L'ardente charité que le pauvre idolâtre !

et concluait son éloquent appel aux fortunés de ce monde. par ces beaux vers:

Donnez afin qu'un jour à votre heure dernière,
Contre tous vos péchés vous ayez la prière

D'un mendiant puissant au ciel (2).

C'est ainsi, dans une mutuelle estime et réciproque bienfaisance que les distances s'effacent entre les différentes conditions sociales.

Il se faut entr'aider, c'est la loi de nature, a dit La Fon

(1) Sermon sur l'éminente dignité des pauvres dans l'Église. (2) Victor HUGO: Feuilles d'Automne.

taine; c'es bien plus la loi de l'Evangile. Le Christ a voulu que son peuple ne formât qu'une immense famille, dont tous les membres sont frères ; et il a expressément confié à chacun le sort de chacun. Saint Paul, à son tour, s'inspirant de la pensée du Maître, recommande à ses fidèles Galates de porter les fardeaux les uns des autres. C'est le vrai et meilleur moyen d'en alléger le poids; et c'est aussi par là, pour le dire en passant, que doit commencer toute solution de la question sociale. Vouloir résoudre les problèmes sociaux qui intéressent. si fort la vie des familles et des nations, sans s'occuper de réunir d'abord les âmes dans un commun lien de réciproque charité, c'est tenter l'impossible et courir aux désastres. Voilà pourquoi les chefs spirituels de l'Eglise, ceux qui président à ses destinées, vrais pasteur des peuples, malgré les épreuves de l'heure présente, nous recommandent tant l'ardente Charité, fille de Dieu, descendue sur la terre pour nous donner un peu de paix et de réconfort.

Mais arrêtons là, Messieurs, ces considérations générales et voyons, dans la réalité, cette vie d'abnégation et de dévouement.

L'arrondissement de Riom doit bénéficier, cette année-ci, des largesses du marquis de Maisniel; et c'est la partie montagneuse qui nous envoie nos principaux lauréats. Dans cette région formée de plateaux de moyenne hauteur, coupés de collines peu élevées et de vallées profondes, l'existence est laborieuse, et le pain de chaque jour coûte de multiples efforts. Aussi les populations sont vaillantes. Le bien-être n'a pas amolli leur courage, ni porté atteinte à leur foi. Elles vivent, comme vivaient les ancêtres, à peine mieux nourries, mieux vêtues, et gardent encore, et pieusement, les saines traditions du passé. La famille y demeure fortement constituée ; le père et la mère conservent leur autorité et savent en remplir les obligations. Aussi les exemples de dévouement filial abondent. Et j'ai la douce obligation de vous en proposer quelques-uns et de vous raconter brièvement les actes de vertu persévérante que l'Académie couronne aujourd'hui.

Pourrais-je mieux commencer ce récit que par les époux Château, de Saint-Hilaire-la-Croix, dont M. le comte de Chabrol écrivait « Les époux Château qui eussent pu mener la vie tranquille de cultivateurs à l'aise, se sont de plein cœur, mis dans la gène et l'embarras des affaires pour des enfants qui n'étaient pas les leurs ; n'est-ce pas là un bel exemple de cette solidarité de la famille que Leplay considérait comme l'idée foree par excellence, et qui malheureusement tend trop à disparaître de notre société paysanne, secouée de doutes et troublée d'ambitions qui n'aboutissent guère qu'à l'égoïsme... ›

L'exemple donné par cette famille mérite d'être cité et proposé à toute société paysanne ou autre. A-t-on jamais eu une plus juste idée de cette solidarité familiale dont parle M. de Chabrol? et cette idée-force de Leplay pourrait-elle jamais inspirer moyen plus héroïque pour préserver des enfants de la ruine matérielle et leur garder un nom qu'ils ne rougiront pas de porter.

Jugez plutôt ; voici les faits :

En 1901, les époux Lescure, par suite de revers de fortune, sont acculés à la faillite, et ils ont huit enfants.

C'est la misère noire, et aussi, pour ces braves gens, le déshonneur. Antoine Château, leur beau-frère n'hésite pas. Il adopte la nombreuse famille, vend son bien, emprunte et rembourse enfin une partie notable de la dette. Puis secondé par sa courageuse femme Marguerite Arnaud, il travaille avec ardeur, paye les intérêts des sommes dues, nourrit les enfants, les élève suivant leur condition, en fait d'honnêtes travailleurs, et parvient même à sauver quelques débris de leur modique patrimoine. Mais à ce dur labeur ses forces ont défailli. Il est infirme aujourd'hui, et la gêne a visité son foyer. Toutefois il n'a garde de regretter ce qui l'honore le plus, et de désavouer la haute leçon de morale qu'il nous donne sans y prétendre.

Il ne suffit d'ailleurs pas à Marguerite Arnaud de seconder en tout son mari; elle a aussi ses œuvres à elle. Pendant de longues années elle a été et demeure encore la providence sensible des pauvres, des affligés, des ouvriers sans travail. Il serait trop long d'énumérer ici les actes de vertu par elle exercés. Rappelons seulement que le mendiant a toujours une place à son foyer, une place à sa table. Cette table même s'allonge et s'élargit quand le nombre des nécessiteux s'accroît. Ces jours-là, si l'ordinaire, plus que modeste d'habitude, se trouve insuffisant, Marguerite Arnaud, dit-on, n'a pas d'appétit. Elle dine ou soupe du bonheur qu'elle procure aux malheureux. C'est peu réconfortant pour l'estomac, mais beaucoup par le cœur ; et la force morale vient en aide à la faiblesse physique et l'empêche de chanceler.

Voici encore un fait d'un autre genre, et qui montre bien jusqu'où va l'intelligente pitié de cette âme chrétienne.

Le croup sévit au village de Fénerol, près St-Hilaire, dans une famille de six enfants, où il a fait, coup sur coup, trois victimes. Le docteur déclare qu'il ne répond point des trois enfants qui restent, s'ils ne sont aussitôt tirés du foyer d'infection. Mais où les mettre, à qui les confier. Marguerite Arnaud l'apprend et va, comme si c'était l'acte le plus naturel du monde, réclamer le périlleux honneur de prendre chez elle les trois chers petits, et de leur servir de mère aussi longtemps qu'il sera nécessaire pour que tout danger ait disparu. Tels sont, Messieurs, les principaux faits qui ont motivé la décision de l'Académie. Elle a jugé et vous partagerez son avis que les époux Château qui ont donné de pareils exemples de charité, au sein de leur famille, et vis-à-vis de leurs compatriotes, méritaient bien la plus haute récompense qu'elle pût distribuer, dans la présente année, et leur a alloué, sur le prix du Maisniel, la somme de trois cents. francs.

A côté de cette admirable Marguerite Arnaud qui se plaît

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