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>> douleur. >> (Il remet la coupe, entend du bruit au dehors, recouvre sa tête, et va vers la porte; Marie reste à genoux plongée dans la méditation.)

MELVIL.

« Il vous reste encore une rude épreuve à supporter, madame; >> vous sentez-vous assez de force pour triompher de tous les » mouvements d'amertume et de haine? »

MARIE (se relevant).

<< Je ne crains point de rechute, j'ai sacrifié à Dieu ma haine et

» mon amour. >>

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MELVIL.

Préparez-vous donc à recevoir lord Leicester et le chancelier Burleigh: ils sont là. » (Leicester reste dans l'éloignement sans lever les yeux; Burleigh s'avance entre la reine et lui.)

>>

BURLEIGH.

<< Je viens, lady Stuart, pour recevoir vos derniers ordres. >>

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« C'est la volonté de la reine qu'aucune demande équitable ne » vous soit refusée. »

MARIE.

<< Mon testament indique mes derniers souhaits; je l'ai déposé » dans les mains du chevalier Paulet ; j'espère qu'il sera fidèlement » exécuté. »

«Il le sera. »

PAULET.

MARIE.

« Comme mon corps ne peut pas reposer en terre sainte, je >> demande qu'il soit accordé à ce fidèle serviteur de porter mon cœur en France, auprès des miens. Hélas! il a toujours été là. »

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BURLEIGH.

« Ce sera fait. Ne voulez-vous plus rien ? »

MARIE.

<< Portez mon salut de sœur à la reine d'Angleterre, dites-lui

» que je lui pardonne ma mort du fond de mon âme. Je me repens » d'avoir été trop vive hier dans mon entretien avec elle. Que Dieu » la conserve et lui accorde un règne heureux ! » (Dans ce moment le shérif arrive, Anna et les femmes de Marie entrent avec lui.) Anna, calme-toi, le moment est venu; voilà le shérif qui doit >> me conduire à la mort. Tout est décidé. Adieu, adieu! » ( A Burleigh.) « Je souhaite que ma fidèle nourrice m'accompagne » sur l'échafaud, mylord; accordez-moi ce bienfait. »

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<< Comment! l'on pourrait me refuser cette prière si simple! Qui donc me rendrait les derniers services? Ce ne peut être la » volonté de ma sœur, qu'on blesse en ma personne le respect dû » à une femme. »

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BURLEIGH.

<< Aucune femme ne doit monter avec vous sur l'échafaud; ses cris, sa douleur... »

MARIE.

« Elle ne fera pas entendre ses plaintes: je suis garante de la » force d'âme de mon Anna. Soyez bon, mylord, ne me séparez » pas, en mourant, de ma fidèle nourrice. Elle m'a reçue dans » ses bras sur le seuil de la vie ; que sa douce main me conduise à » la mort. »>

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« Il ne me reste plus rien à vous demander. » (Elle prend le crucifix et le baise.) « Mon Rédempteur, mon Sauveur, » que tes bras me reçoivent!» (Elle se retourne pour partir, et dans cet instant elle rencontre le comte de Leicester; elle tremble, ses genoux fléchissent, et, près de tomber, le comte de Leicester la soutient; puis il détourne la tête,

et ne peut soutenir sa vue.) « Vous me tenez parole, comte Leicester, vous m'aviez promis votre appui pour sortir de

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ce cachot, et vous me l'offrez maintenant. » (Le comte de Leicester semble anéanti; elle continue avec un accent plein de douceur.) « Oui, Leicester, et ce n'est pas seulement la li» berté que je voulais vous devoir, mais une liberté qui me » devînt plus chère en la tenant de vous; maintenant que je » suis sur la route de la terre au ciel, et que je vais devenir >> un esprit bienheureux, affranchi des affections terrestres j'ose vous avouer sans rougir la faiblesse dont j'ai triomphé. Adieu, et si vous le pouvez, vivez heureux. Vous avez voulu plaire à deux reines, et vous avez trahi le cœur aimant pour >> obtenir le cœur orgueilleux. Prosternez-vous aux pieds d'Élisa>>beth, et puisse votre récompense ne pas devenir votre pu» nition! Adieu, je n'ai plus de lien avec la terre. »

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Leicester reste seul après le départ de Marie : le sentiment de désespoir et de honte qui l'accable peut à peine s'exprimer ; il entend, il écoute ce qui se passe dans la salle de l'exécution, et quand elle est accomplie il tombe sans connaissance. On apprend ensuite qu'il est parti pour la France, et la douleur qu'Elisabeth éprouve, en perdant celui qu'elle aime, commence la punition de son crime.

Je ferai quelques observations sur cette imparfaite analyse d'une pièce dans laquelle le charme des vers ajoute beaucoup à tous les autres genres de mérite. Je ne sais si l'on se permettrait en France de faire un acte tout entier sur une situation décidée, mais ce repos de la douleur, qui naît de la privation même de l'espérance, produit les émotions les plus vraies et les plus profondes. Ce repos solennel permet au spectateur, comme à la victime, de descendre en lui-même, et d'y sentir tout ce que révèle le malheur.

La scène de la confession, et surtout de la communion, serait, avec raison, tout-à-fait condamnée; mais ce n'est certes pas comme manquant d'effet qu'on pourrait la blâmer : le pathétique qui se fonde sur la religion nationale touche de si près le cœur,

que rien ne saurait émouvoir davantage. Le pays le plus catholique, l'Espagne, et son poëte le plus religieux, Caldéron, qui était lui-même entré dans l'état ecclésiastique, ont admis sur le théâtre les sujets et les cérémonies du christianisme.

Il me semble que, sans manquer au respect qu'on doit à la religion chrétienne, on pourrait se permettre de la faire entrer dans la poésie et les beaux-arts, dans tout ce qui élève l'âme et embellit la vie. L'en exclure, c'est imiter ces enfants qui croient ne pouvoir rien faire que de grave et de triste dans la maison de leur père. Il y a de la religion dans tout ce qui nous cause une émotion désintéressée; la poésie, l'amour, la nature et la Divinité se réunissent dans notre cœur, quelques efforts qu'on fasse pour les séparer; et si l'on interdit au génie de faire résonner toutes ces cordes à la fois, l'harmonie complète de l'âme ne se fera jamais sentir.

Cette reine Marie, que la France a vue si brillante, et l'Angleterre si malheureuse, a été l'objet de mille poésies diverses qui célèbrent ses charmes et son infortune. L'histoire l'a peinte comme assez légère; Schiller a donné plus de sérieux à son caractère, et le moment dans lequel il la représente motive bien ce changement. Vingt années de prison, et même vingt années de vie, de quelque manière qu'elles se soient passées, sont presque toujours une sévère leçon.

Les adieux de Marie au comte de Leicester me paraissent l'une des plus belles situations qui soient au théâtre. Il y a quelque douceur pour Marie dans cet instant. Elle a pitié de Leicester, tout coupable qu'il est elle sent quel souvenir elle lui laisse, et cette vengeance du cœur est permise. Enfin, au moment de mourir, et de mourir parce qu'il n'a pas voulu la sauver, elle lui dit encore qu'elle l'aime; et si quelque chose peut consoler de la séparation terrible à laquelle la mort nous condamne, c'est la solennité qu'elle donne à nos dernières paroles: aucun but, aucun espoir ne s'y mêle, et la vérité la plus pure sort de notre sein avec la vie.

CHAPITRE XIX.

Jeanne d'Arc, et la Fiancée de Messine.

Schiller, dans une pièce de vers pleine de charmes, reproche aux Français de n'avoir pas montré de la reconnaissance pour Jeanne d'Arc. L'une des plus belles époques de l'histoire, celle où la France et son roi Charles VII furent délivrés du joug des étrangers, n'a point encore été célébrée par un écrivain digne d'effacer le souvenir du poëme de Voltaire ; et c'est un étranger qui a tâché de rétablir la gloire d'une héroïne française, d'une héroïne dont le sort malheureux intéresserait pour elle quand ses exploits n'exciteraient pas un juste enthousiasme. Shakespeare devait juger Jeanne d'Arc avec partialité, puisqu'il était Anglais, et néanmoins'il la représente, dans sa pièce historique de Henri VI, comme une femme inspirée d'abord par le ciel, et corrompue ensuite par le démon de l'ambition. Ainsi les Français seuls ont laissé déshonorer sa mémoire : c'est un grand tort de notre nation, que de ne pas résister à la moquerie quand elle lui est présentée sous des formes piquantes. Cependant il y a tant de place dans ce monde et pour le sérieux et pour la gaîté, qu'on pourrait se faire une loi de ne pas se jouer de ce qui est digne de respect, sans se priver pour cela de la liberté de la plaisanterie.

Le sujet de Jeanne d'Arc étant tout à la fois historique et merveilleux, Schiller a entremêlé sa pièce de morceaux lyriques, et ce mélange produit un très-bel effet, même à la représentation. Nous n'avons guère en français que le monologue de Polyeucte ou les chœurs d'Athalie et d'Esther qui puissent nous en donner l'idée. La poésie dramatique est inséparable de la situation qu'elle doit peindre; c'est le récit en action, c'est le débat de l'homme avec le sort. La poésie lyrique convient presque toujours aux sujets religieux; elle élève l'âme vers le ciel, elle exprime je ne sais quelle résignation sublime qui nous saisit souvent au

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