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d'abbaie et le president abbe, ce n'estoit proprement que une abbaie de fols et ainsy l'appeloit on; come est encores aux villes ou regne monarchie, ou l'abbe ha (d'abbaye de fols) à pourveoir aux dances, aux mommeries, aux farces et semblables, ce qu'ils faisoient aux despens des mariés par deux fois que l'on nommoit chenevalerie, autre revenu nhavoient ils; ce que les princes ne souffroient pas seulement, mais advouoient et confermoient, affin que leurs peuples ne devinssent plus sages que eux, et voulussent gouverner, non estre gouvernes, combien que ce office estoit autre a Genève, car il havoit accez et voix au conseil; pourquoy un evesque nomme Charles de Seyssel, pource qu'il amoindrissoit sa puissance, le fit casser.

Malgré l'avis de Bonivard, je crois que les désordres auxquels se livrèrent les Abbayes contribuèrent, bien plus que l'influence transitoire de leurs chefs, à les faire supprimer. Dans les Statuts de Savoie publiés par Amédée VIII (1430), ce prince interdit sévèrement les travestissements et les saturnales, que l'Eglise avait eu peine à exclure des lieux saints à certains jours de fête, n'autorisant que des jeux honnêtes et des représentations d'histoires sacrées ou morales (1).

Les jeux, les danses, les représentations, les fêtes publiques (vogues) étaient du domaine des Moines de la Bazoche; en décharge des dépenses qu'il faisait dans ces divers cas, l'Abbé percevait le

(1) Statuta Sabaudiæ, lib. I, cap. xxiv.

droit de charivari des veufs, le droit d'abbaye de tous les bourgeois et quelques autres subsides qui me sont restés inconnus. L'Abbaye partageait avec les rois des trois armes le droit de présider aux feux de joie; les fats (tas de bois) qu'ils y employaient étaient soldés par la ville (4).

L'élection de l'Abbé, la réception de nouveaux Moines, donnaient lieu à de joyeux festins, connus depuis sous le nom de Béjaunes, titre donné au récipiendaire, de la couleur du bec des oiseaux adultes (terme de fauconnerie qui désigne un oiseau jeune et niais) (2).

La plantation du mai était une des plus chères prérogatives de la Bazoche; cette cérémonie suivait l'élection et la reconnaissance de l'Abbé, et se répétait pour les fêtes patronales, au nombre de deux ou trois à Chambéry. Cet usage prit-il naissance chez nous avec la Bazoche, ou eut-il une origine plus ancienne? Cette dernière opinion paraît plus vraisemblable. Il se retrouve dans toute la Savoie, et jusqu'en 1848 les faubourgs de Cham

(1) Libraverunt per ignem gaudii quatuor florena p. p. pro quatuor facibus per ipsum abbatem et regem collouureneriorum (sic) de quo factus fuit ignis gaudii ob nativitatem filii imperatoris libr. nobili johanni ludovico bouilurre abbati ville Chamberiaci seu comendabili petro scarronis apothecario. (Comptes des syndics, 1526– 1527.)

(2) M. Fabre, Etudes historiques sur les clercs de la bazoche, page 37.

béry fêtèrent annuellement la plantation de leur ́ mai. A la suite de ces fêtes, il s'élevait souvent des luttes furieuses entre les habitants des faubourgs, qui se distinguaient par des devises particulières, telles que la Ronce (faubourg Maché ) et le Laurier (faubourg Montmélian), et perpétuaient une haine héréditaire que n'arrêtaient point les ordonnances (1). La ville amena une réconciliation entre ces deux faubourgs en 1848, et leur offrit des drapeaux qu'ils échangèrent en signe d'union.

La Bazoche et la jeunesse de la ville se réunissaient dans la plaine du Colombier pour se livrer aux jeux et aux exercices du corps; à l'exemple des archers, arbalétriers et arquebusiers, ils avaient établi un tir, et peu à peu l'exercice des armes remplaça les autres jeux et fit cesser les représentations des farces et histoires. Une ordonnance de Henri II (2), rendue pendant que la Savoie était française, avait entravé les représentations de l'Abbaye en interdisant de jouer des mystères ou des scènes tirés des saintes Ecritures.

(1) Ordonnance du gouverneur du duché de Savoie portant diverses défenses aux habitants des deux faubourgs de Montmélian et de Maché de faire usage d'une devise quelconque. 20 juillet 1785. (Duboin, Recueil des édits, tome XIII, volume XV, page 743.)

(2) Arrêt du parlement du 17 novembre 1548. Il défend « de jouer les mystères de la Passion de nostre Sauveur ni autres mystères sacrés, sous peine d'amende arbitraire, permettant néanmoins de pouvoir jouer autres mystères profanes, honnestes et licites, sans offenser ni injurier aucunes personnes. >

L'Abbaye continua à jouir des droits et priviléges accordés par les princes; mais les excès qui en étaient la suite amenèrent de fréquentes répressions. Le sénat, par arrêt du 3 juillet 1560, fit inhibition et défense à tous les « subjects, ma<< nans et habitans de son ressort de faire aucunes «< abbayes, charauaries ou autres assemblees et <<< congregations illicites et sous pretexte d'icelles << aucunes exactions et compositions, à peine de <«< dix mil liures et autre amende arbitraire (1). » Ces prohibitions furent renouvelées sous les peines de mille et dix mille livres d'amende en 1641 et 1676 (2), et sont encore comprises dans un manifeste pour le bon ordre en 1774 et le règlement de police de 1773. Le président Favre, à l'article Abbaye, énonce le but premier de ces associations et les errements qui obligèrent le sénat à défendre leurs réunions (3):

Si l'on peut souffrir les usages, acceptés par une longue habitude, dont le peuple a coutume de se faire un jeu, ils ne doivent pas cependant être éternels. On ne doit point les permettre dès qu'ils blessent la piété et les bonnes mœurs, bien qu'ils aient passé à l'état de

(1) Brief recueil des édicts de tres illustre prince Emmanuel-Philibert.......... et des arrets donnés par son souverain sénat de Savoye......... Livre Ier, page 20. Chambéry, Pomar, 1574.

(2) Duboin, ouvrage et volume cités, pages 604 et 620.

(3) Codex Fabrianus (Turin, 1829), lib. I, tit. V, definitio VIII, pag. 67: De societatibus quas Abbatias vocant.

coutume. C'est pour cette raison que le sénat a ordonné la suppression de ces sociétés appelées vulgairement Abbayes, qui, établies pour exercer les jeunes gens et les porter à une amitié mutuelle, et accompagnées d'amusements frivoles (ineptiis), ont atteint par leur audace croissante à un tel degré de folie, que l'autorité des magistrats ne les pouvait plus contenir, et qu'ils pensaient que tout leur était permis. Malgré cela, elles existent dans presque toutes les villes, plus insolentes dans les plus grandes, où elles devraient être, par cela même, plus modestes. L'usage du sénat est d'arrêter, dans l'occasion, des coutumes de cette nature par des peines légères, sauf dans le cas où la seule malice pousserait à nuire, comme dans celui où la jeunesse se laisserait entraîner à la rupture des portes d'un cellier pour en répandre le vin, etc. (1).

Le titre de Bazoche donné aux sociétés de jeunes gens était alors fort répandu en Savoie, et, réunis sous ce nom, ils présidaient à ces vogues si nombreuses et si gaies dont l'usage se perd complètement de nos jours.

(1) A la suite, Favre cite les arrêts rendus par le sénat en 1612 contre l'Abbaye de Montmélian, en faveur du chapitre de la SainteChapelle de Chambéry, et contre celles de Verel et de Dullin, en faveur d'un nommé Gentil.

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