Page images
PDF
EPUB

Ses plaisanteries

étaient lourdes et parfois grossières, et quoique ses traits fussent «< assez nobles et empreints d'une teinte mélancolique », sa démarche, suivant Mme Campan, était sans noblesse et sa personne plus que négligée. Sa voix, sans être dure, était peu agréable, et, s'il s'animait en parlant, elle passait du médium à l'aigu.

Le général Thiébault, qui était alors un jeune homme de dix-huit ans, raconte qu'il se trouva un jour sur son passage, et son impression fut que le souverain manquait de dignité. « Il s'arrêta, dit-il, pour rire avec un des seigneurs qui l'accompagnaient; mais son rire fut

[graphic][merged small][merged small]

si fort, si gros, qu'en vérité c'était le rire d'un fermier en goguette plus que celui d'un monarque.» « Je ne fus étonné, continue-t-il, que de la légèreté avec laquelle ce roi si replet sauta à cheval et de la rapidité avec laquelle il partit.

[ocr errors]

Il n'est pas jusqu'à la bonté du roi, qu'on a si fort célébrée et qui en effet s'est attestée par plus d'un trait honorable, que les contemporains n'aient plusieurs fois mise en doute. Le duc de Lévis rappelle dans ses Souvenirs les fréquentes promenades que faisait Louis XVI sur les toits en terrasse du château de Versailles afin d'y tuer tous les chats qu'il rencontrait.

Que dire aussi de l'aventure racontée par Thiébault', qui se trouvait de garde aux Tuileries un jour de l'année 1790?

1. Mémoires, chap. vi.

« J'avais, dit-il, passé la nuit au château, et, vers six heures du matin, afin de respirer l'air frais, deux de mes camarades et moi, encore en bonnet de police, nous sortîmes par la porte du milieu, pour faire, par les terrasses, le tour des Tuileries. Comme nous approchions de la terrasse du bord de l'eau, le roi sortait de la petite porte du château, près le pavillon de Flore, accompagné de deux messieurs, mais sans gardes; il allait faire la même promenade. Nos bonnets à bas, nous nous arrêtâmes respectueusement pour le laisser passer; cependant, ne jugeant pas que ce fùt un motif pour changer de projet, nous le suivimes à cinquante ou soixante pas de distance.

« Les deux rampes en fer à cheval descendues et montées, comme, en suivant la terrasse des Feuillants, il arrivait à la petite porte du passage qui, à travers le couvent des Feuillants, communiquait de la place Vendôme aux Tuileries et de ces deux endroits à la salle de l'Assemblée constituante, une jeune dame débouchait de cette porte; elle était précédée par un joli petit épagneul, qui se trouvait déjà tout près du roi; dès qu'elle reconnut celui-ci, elle se hàta de rappeler son chien en s'inclinant profondément; de suite le chien se retourna pour accourir vers sa maîtresse : mais Louis XVI, qui tenait à la main un jonc énorme, lui cassa les reins d'un coup de ce gourdin.

«Et, pendant que des cris échappaient à la dame, pendant qu'elle fondait en larmes et que la pauvre bête expirait, le roi continuait sa promenade, enchanté de ce qu'il venait de faire, se dandinant un peu plus que de coutume et riant comme le plus gros paysan aurait pu le faire.

« D'un mouvement spontané nous nous arrêtàmes et rétrogradâmes, pour ne pas continuer à suivre «< ce tueur de chiens », ainsi qu'un de mes camarades le nomma.... Nous étions indignés non moins que scandalisés; rien ne nous avait paru plus grossier que le rire et plus gratuitement méchant que le fait, qui du reste

[graphic]
[graphic]

CHENETS STYLE LOUIS XVI.
(Collection de M. le comte de Castellane.)

[graphic]

cadrait à merveille avec les coups de cravache dont ce roi aimait tant à gratifier les perruquiers et les prêtres que, pour leur malheur, il rencontrait pendant ses chasses.

« Un pareil trait, ajoute Thiébault, sem ble encore plus inexplicable, si on se reporte à la situation où se trouvait alors Louis XVI, et il me rappelle un mot qui n'avait fait que me scandaliser, mais qui, dès ce moment, changea pour moi de caractère. Voici ce mot.

ADIEUX DE L'IMPERATRICE MARIE-THÉRÈSE A MARIE-ANTOINETTE. (D'après une gravure du temps.)

« Il y avait quelque temps que, dînant, ainsi que mon père, chez le marquis d'Aoust, nous nous y étions trouvés avec l'archevêque de Cambrai, Ferdinand de Rohan, et le bailli de Suffren. On avait parlé du roi pendant le repas, et, comme on avait fait l'éloge de sa bonté et qu'un des convives avait observé qu'elle était peinte sur son visage, l'archevêque, sans baisser la voix, mais les yeux fixés sur son assiette, avait dit : « L'heureux masque! »

[ocr errors]

Quoique tous les regards se fussent portés sur lui, personne n'avait répliqué. »

Le récit de Thiébault nous présente un Louis XVI assez imprévu. Non qu'il faille sans doute attacher trop d'importance au mot de l'archevêque de Cambrai, dont la famille tout entière avait ses raisons, nous le verrons bientôt, pour ne pas aimer Louis XVI. Bien plus n'oublions, en faveur de ce prince, ni les malheurs qui l'accablèrent, ni ce désir sincère du bien public qu'il fit paraître au début de son règne et dans tant d'occasions. Il

n'en reste pas moins qu'on ne s'explique que trop, par la médiocrité foncière de l'infortuné monarque, le peu d'empire qu'il réussit à prendre sur MarieAntoinette.

Il arriva même à la reine de se départir ouvertement, et par légèreté sans doute plus qu'à mauvaise intention, du respect qu'elle lui devait.

« Très méthodique dans toutes ses habitudes, le roi se couchait à onze

[graphic][merged small]

heures précises. Un soir, la reine devait se rendre, avec sa société habituelle, à une réunion chez le duc de Duras ou chez la princesse de Guéménée. L'aiguille de la pendule fut adroitement avancée, pour hàter de quelques minutes l'instant du départ du roi ; il crut réellement que l'heure de son coucher était arrivée, se retira, et ne trouva chez lui personne de réuni pour son service du soir. Cette plaisanterie, ajoute Mme Campan, circula dans tous les salons de Versailles, et y fut désapprouvée. »

« PreviousContinue »