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MÉDAILLIER. MEUBLE D'ANGLE EXÉCUTÉ POUR LOUIS XV. (Dessiné par les frères Slotz. Aujourd'hui à la Bibliothèque nationale.)

Tout cela est d'ailleurs assez innocent. Et pourtant, on ne peut

nier qu'à ces jeux, à ces divertissements, à cet étalage d'un goût trop prononcé et trop affiché pour les émotions de la scène et du métier d'acteur, la majesté

royale ne perde quelque chose. Ce n'est pas l'honnêteté qui est blessée à de tels spectacles, mais c'est un certain sens social des hiérarchies nécessaires.

Si d'ailleurs Marie-Antoinette avait, en dehors de ces divertissements, su s'imposer

au respect de ceux qui l'entouraient, par un constant souci de sauvegarder la dignité du trône, peut-être eût-elle réussi à affaiblir l'impression qu'on ne pouvait manquer d'emporter des représentations de Trianon. Mais c'est plutôt vers une sorte de laisser-aller, d'abandon un peu trop bourgeois et familier, que ses penchants la portaient.

Ce n'est pas, sans doute, que nous puissions aujourd'hui lui en vouloir d'avoir essayé de substituer la simplicité et le naturel à certains raffinements incroyables de l'étiquette de la cour. Mme Campan' rapporte à ce sujet une anecdote qui la justifie assez.

<< L'habillement de la reine était, dit-elle, un chef-d'œuvre d'étiquette; tout y était réglé. La dame d'honneur et la dame d'atours, toutes deux, si elles s'y trouvaient ensemble, aidées de la première femme et de deux femmes ordinaires, faisaient le service principal; mais il y avait entre elles des distinctions. La dame d'atours passait le jupon, présentait la robe. La dame d'honneur versait l'eau pour laver les mains et passait la chemise. Lorsqu'une princesse de la famille royale se trouvait à l'habillement, la dame d'honneur lui cédait cette

1. Mémoires, chap. iv.

dernière fonction, mais ne la cédait pas directement aux princesses du sang; dans ce cas, la dame d'honneur remettait la chemise à la première femme, qui la présentait à la princesse du sang. Chacune de ces dames observait scrupuleusement ces usages, comme tenant à des droits.

« Un jour d'hiver, il arriva que la reine, déjà toute déshabillée, était au moment de passer sa chemise; je la tenais toute dépliée : la dame d'honneur entre, se hâte d'ôter ses gants, et prend la chemise. On gratte à la porte, on

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ouvre: c'est Mme la duchesse d'Orléans; ses gants sont ôtés, elle s'avance pour prendre la chemise; mais la dame d'honneur ne doit pas la lui présenter: elle me la rend, je la donne à la princesse; on gratte de nouveau: c'est Madame, comtesse de Provence; la duchesse d'Orléans lui présente la chemise. La reine tenait ses bras croisés sur sa poitrine et paraissait avoir froid. Madame voit son attitude pénible, se contente de jeter son mouchoir, garde ses gants, et, passant la chemise, décoiffe la reine, qui se met à rire pour déguiser son impatience, mais après avoir dit plusieurs fois entre ses dents :

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Aussi ne saurait-on lui savoir mauvais gré de s'ètre débarrassée d'une foule d'usages établis et révérés qui lui parurent insupportables.

<< Des femmes en charge ayant prêté serment, et vêtues en grand habit de

cour, pouvaient seules rester dans la chambre et servir conjointement avec la dame d'honneur et la dame d'atours'. La reine abolit tout ce cérémonial. Lorsqu'elle était coiffée, elle saluait les dames qui étaient dans sa chambre, et, suivie de ses seules femmes, elle rentrait dans un cabinet, où se trouvait Mlle Bertin, scule ouvrière en modes dans le goût de laquelle elle eùt confiance, et qui ne pouvait être admise dans la chambre.

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L'usage interdisait à tout subalterne pourvu d'une charge à la cour

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d'exercer son talent pour le public. La reine qui voulut se servir du coiffeur qui avait le plus de vogue à Paris, mais qui craignait que cet homme ne se gâtât le goût en cessant de pratiquer son état, voulut qu'il continuât à servir, en même temps qu'elle, plusieurs femmes de la cour et de Paris.

« Un autre usage, et des plus désagréables, était pour la reine celui de dîner tous les jours en public. Marie Leckzinska avait suivi constamment cette coutume fatigante; Marie-Antoinette l'observa tant qu'elle fut dauphine. Le dauphin dinait avec elle, et chaque ménage de la famille avait tous

Mme CAMPAN, Mémoires, ch. iv.

les jours son dîner public. Les huissiers laissaient entrer tous les gens pro prement mis: ce spectacle faisait le bonheur des provinciaux. A l'heure des diners, on ne rencontrait dans les escaliers que de braves gens qui, après

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avoir vu la dauphine manger sa soupe, allaient voir les princes manger leur bouilli, et qui couraient ensuite à perte d'haleine pour aller voir Mesdames manger leur dessert'. » Une fois reine de France, Marie-Antoinette laissa cette coutume se relàcher comme beaucoup d'autres.

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occasion. C'était le jour où les nouveaux souverains devaient recevoir à la Muette, au sujet de la mort du feu roi, les révérences de deuil de toutes les dames présentées à la cour.

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GANTS DE L'ÉPOQUE LOUIS XV,
PEAU BLANCHE ET BRODERIES.
(Collection Jubinal de Saint-Albin.)

Les plus vieilles comme les plus jeunes dames accoururent pour se présenter à cette réception générale; les petits bonnets noirs à grands papillons, les vieilles têtes. chancelantes, les révérences profondes et répondant au mouvement de la tête, rendirent, à la vérité, quelques vénérables douairières un peu grotesques; mais la reine, qui avait beaucoup de dignité et de respect pour les convenances, dit Mme Campan, ne commit pas la faute grave de perdre le maintien qu'elle devait observer.

Une plaisanterie indiscrète d'une des dames du palais lui en donna cependant le tort apparent. Mme la marquise de Clermont-Tonnerre, fatiguée de la longueur de cette séance, et forcée, par les fonctions de sa charge, de sc tenir debout derrière la reine, trouva plus commode de s'asseoir à terre sur le parquet, en se cachant derrière l'espèce de muraille que formaient les paniers de la reine et des dames du palais. Là, voulant fixer l'attention et contrefaire la gaieté, elle tirait les jupes de ces dames, et faisait mille espiègleries. Le contraste de ces enfantillages avec le sérieux de la représentation qui régnait dans toute la chambre de la reine déconcerta Sa Majesté plusieurs fois :

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MIROIR A MAIN AVEC MONTRE ENCASTRÉE. (Collection de Mme la comtesse de Béarn.)

elle porta son éventail devant son visage pour cacher un sourire involontaire, et l'aréopage sévère des vieilles dames

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