Page images
PDF
EPUB

qu'on appela le théâtre des Petits-Cabinets. L'année suivante, cette première salle fut remplacée par une autre, qui fut construite dans la cage du grand escalier des Ambassadeurs, et qui était démontable.

La liste des comédiens de bonne volonté qui composèrent la troupe du théâtre de Mme de Pompadour suffirait à montrer avec quelle ardeur on du rechercher d'y être admis. Elle est ainsi composée : les ducs d'Orléans, d'Ayen, de Nivernois, de Duras, de Coigny, le comte de Maillebois, les marquis de Courtenvaux et d'Entraigues; puis, avec la marquise elle-même, la duchesse de Brancas, la comtesse d'Es

[graphic]

trades et Mme du Marchais. Le directeur de la troupe était le duc de la Vallière. Au reste, Mme du Hausset, femme de chambre de Mme de Pompadour, nous conte à ce sujet une anecdote bien caractéristique.

« Dans le temps, ditelle, qu'on jouait la comédie. aux petits petits appartements, j'obtins, par un singulier moyen, une lieutenance de roi pour un de mes parents; et cela prouve bien le prix que mettent les plus grands aux plus petits accès à la cour.

« Madame n'aimait rien demander à M. d'Argen

ESTAMPE ALLEGORIQUE GRAVÉE A L'OCCASION DU COURONNEMENT DE LOUIS XVI ET DE MARIE-ANTOINETTE.

son; et, pressée par ma famille, qui ne pouvait concevoir qu'il me fùt difficile, dans la position où j'étais, d'obtenir pour un bon militaire un petit commandement, je pris le parti d'aller trouver moi-même ce ministre. Je lui exposai ma requête, et lui remis un mémoire. Il me reçut froidement, et me dit des choses vagues.

« Je sortis, et M. le marquis de V***, qui était dans son cabinet, et qui avait entendu ce que je demandais, me suivit.

Vous désirez, me dit-il, un commandement; il y en a un de vacant, qui m'est promis pour un de mes protégés; mais si vous voulez faire un échange de

[graphic][subsumed][subsumed][merged small][subsumed][merged small][subsumed][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

racontai l'histoire à Madame, qui me promit de s'en charger.
« La chose fut faite, j'obtins mon com-
mandement, et M. de V*** remercia Madame
comme si elle l'eût fait faire duc. >>

Le succès de son entreprise inspira d'ailleurs à Mme de Pompadour l'ambition de l'étendre. A la comédie, elle joignit bientôt l'opéra, ou plutôt des actes d'opéra. Car, comme elle comptait n'admettre, pour chanter avec elle, que deux autres personnes, le duc d'Ayen et la duchesse de Brancas, il fallut se borner aux parties d'opéra qui ne comportaient pas un grand nombre de personnages. Les choeurs comptaient quatre premiers et quatre seconds sopranos, quatre contraltos, quatre ténors et six barytons et basses, tous artistes de la musique du roi et de la reine.

Pour la danse, de jeunes sujets n'ayant pas plus de douze ans et, comme premiers danseurs, deux seigneurs de la cour.

L'orchestre, un clavecin, cinq premiers violons, cinq seconds, deux altos, sept vio

[graphic]

GUERIDON EN MARQUETERIE

AVEC BRONZES DORÉS.

(Collection de Mme la comtesse de Béarn.)

loncelles, deux hautbois, trois bassons, une trompette, un cor, comprenait deux tiers d'artistes de la musique du roi et un tiers d'amateurs, - et quels amateurs! prince de Dombes, comte de Dampierre, marquis de Sourches!

Ce théâtre des Petits-Cabinets dura trois ans, de 1747 à 1750, et fut remplacé par celui que Mme de Pompadour établit dans son château de Bellevue et sur lequel elle donna également des représentations pendant trois ans.

[graphic][merged small][merged small]

Ces divertissements d'ailleurs avaient été extrêmement dispendieux sans parler des frais de construction, qui avaient été considérables, le budget d'une année se chiffrait par une dépense de plus de 230 000 livres. Mais ils avaient eu pour effet de développer davantage encore le goût du théâtre dans le monde de la cour, et, quand Marie-Antoinette y parut, elle n'eut pas à se faire violence pour le partager à son tour.

Tandis qu'elle était dauphine, elle s'entendit avec ses jeunes belles-sœurs, la comtesse de Provence et la comtesse d'Artois, pour se donner le plaisir de la comédie. On forma le projet d'apprendre et de jouer toutes les bonnes pièces du théâtre français; le dauphin était le seul spectateur; les trois princesses, les deux frères du roi, auxquels on adjoignit ensuite, afin de pouvoir étendre le

répertoire, Campan, secrétaire du cabinet de la reine, et son fils, composèrent seuls la troupe.

« Mais, dit Mme Campan', on mit la plus grande importance à tenir cet amusement aussi secret qu'une affaire d'État : on craignait la censure de Mesdames; et on ne doutait pas que Louis XV n'eût défendu de pareils amusements s'il en avait eu connaissance. On choisit un cabinet d'entresol où personne n'avait besoin de pénétrer pour le service. Une espèce d'avant-scène, se détachant et pouvant

[graphic]

LA BELLE JARDINIÈRE (MADAME DE POMPADOUR). (D'après Vanloo.)

s'enfermer dans une armoire, formait le théâtre.

<<< Mais un événement imprévu pensa dévoiler tout le mystère. La reine ordonna un jour à M. Campan de descendre dans son cabinet pour y chercher quelque chose qu'elle avait oublié : il était habillé en Crispin, et avait même son rouge. Un escalier dérobé conduisait directement de cet entresol dans le cabinet de toilette. M. Campan crut y entendre quelque bruit

et resta immobile derrière la porte, qui était fermée. Un valet de garde-robe, qui en effet était dans cette pièce, avait de son côté entendu quelque bruit, et, par inquiétude ou par curiosité, il ouvrit subitement la porte. Cette figure de Crispin lui fit si grand'peur, que cet homme tomba à la renverse en criant de toutes ses forces : « Au secours!» M. Campan le releva, lui fit entendre sa voix, et lui enjoignit le plus profond silence sur ce qu'il avait vu.

[ocr errors]

Cependant, il crut devoir prévenir la dauphine de ce qui était arrivé; elle

1. Mémoires, chap. III.

[graphic]

craignit que quelque autre événement de la même nature ne fit découvrir ces amusements: ils furent abandonnés. >>

Reine de France, MarieAntoinette pouvait se montrer moins timide. Louis XV lui avait donné le Petit-Trianon. Elle eut toujours pour cette résidence une affection particulière.

« Elle y séjournait quelquefois un mois de suite, et y avait établi tous les usages de la vie de château ordinaire; elle entrait dans son salon sans que le piano-forté ou les métiers de tapisserie fussent quittés par les dames, et les

MADAME DE POMPADOUR.

(Pastel de La Tour. Musée de Saint-Quentin.)

hommes ne suspendaient ni leur partie de billard ni celle de trictrac. Une robe de percale blanche, un fichu de gaze, un chapeau de paille, étaient la seule parure des princesses; le plaisir de parcourir toutes les fabriques du hameau, de voir traire les vaches, de pêcher dans le lac, enchantait la reine'. »

C'est là, dans cette résidence préférée, qu'après avoir fait élever çà et là, à Versailles, des scènes improvisées, elle se décida, en 1778, à se faire bâtir un théâtre. On y joua la comédie, l'opéra et l'opéra-comique, la reine aimant particulièrement à se charger des rôles de paysanne et de soubrette, celui de Gotte dans la Gageure imprévue, celui de Colette dans le Devin de village. En avril 1775, elle s'essaya au rôle de Rosine du Barbier de Séville, et c'est peutêtre parce qu'elle ne s'y trouva pas elle-même trop bonne qu'elle fit venir, quelques jours après, le comédien Dazincourt, auquel elle demanda des leçons de déclamation.

1. Mme CAMPAN, Mémoires, chap. ix.

« PreviousContinue »