Page images
PDF
EPUB
[graphic]
[ocr errors][merged small][merged small]

« Le plaisir de donner de l'émotion à tant d'aimables personnes m'émut moimême jusqu'aux larmes; et je ne les pus contenir au premier duo, en remarquant que je n'étais pas seul à pleurer. J'ai vu des pièces exciter de plus vifs transports d'admiration, mais jamais une ivresse aussi pleine, aussi douce, aussi tou

chante, régner dans tout un

spectacle, et surtout à la cour, un jour de première représentation. Ceux qui ont vu celle-là doivent s'en souvenir, car l'effet en fut unique.

[ocr errors]

Enfin, pour compléter

LA REINE MARIE-ANTOINETTE.
(Dessin à la plume. Bibliothèque nationale.)

cette rapide restitution des soirées de Fontainebleau, on lira peut-être avec plaisir le récit des transes par lesquelles passa Marmontel, à la veille de la première représentation (9 novembre 1771) de Zémire et Azor, opéra dont il avait écrit les paroles, et Grétry la musique.

On sait que le sujet de cette pièce est tiré du conte célèbre de la Belle et la Bete. Aussi le bruit s'était-il répandu, lorsque la représentation fut annoncée, que le principal personnage marcherait à quatre pattes. « Je laissais dire, raconte Marmontel', et j'étais tranquille. J'avais donné, pour les décorations et pour les habits, des programmes très détaillés; et je ne doutais pas que mes intentions n'eussent été remplies.

« Mais ni le tailleur ni le décorateur ne s'étaient donné la peine de lire

1. Mémoires, livre IX.

mes programmes; et, d'après le conte de la Belle et la Bête, ils avaient fait leurs dispositions.

«Mes amis étaient inquiets sur le succès de mon ouvrage; Grétry avait l'air abattu; Clairval lui-même, qui avait joué de si bon cœur tous mes autres rôles, témoignait de la répugnance à jouer celui-ci. Je lui en demandai la raison.

[subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][merged small][merged small][graphic][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

d'être tranquille, et de m'en rapporter à lui; mais j'insistai, et le duc de Duras, en lui ordonnant de me mener au magasin, eut la bonté de m'y accompagner.

1

Montrez, dit dédaigneusement le tailleur à ses garçons, montrez l'habit de la bête à monsieur.

[ocr errors]

Que vis-je? un pantalon tout semblable à la peau d'un singe, avec une

longue queue rase, un dos pelé, d'énormes griffes aux quatre pattes, deux longues cornes au capuchon, et le masque le plus difforme, avec des dents de sanglier.

« Je fis un cri d'horreur, en protestant que ma pièce ne serait point jouée avec ce ridicule et mon

[graphic][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][merged small]

Je vais donc supplier le roi de trouver bon que ce hideux spectacle ne lui soit point donné; je lui en dirai la raison.

« Alors mon homme se radoucit, et me demanda ce qu'il fallait faire.

La chose du monde la plus simple, lui répondis-je : un pantalon tigré, la chaussure et les gants de même, un doliman de satin pourpre, une crinière noire ondée et pittoresquement éparse, un masque effrayant, mais point dif forme, ni ressemblant à un museau.

[graphic][merged small]

« On eut bien de la peine à trouver tout cela, car le magasin était vide; mais, à force d'obstination, je me fis obéir; et quant au masque, je le formai moimême de pièces rapportées de plusieurs masques découpés.

«Le lendemain matin, je fis essayer à Clairval ce vêtement; et, en se regardant au miroir, il le trouva imposant et noble.

[ocr errors][merged small]

timide, embarrassé, nous sommes perdus; mais si vous vous montrez fièrement, avec assurance, en vous dessinant bien, vous en imposerez, et, ce moment passé, je vous réponds du reste.

« Ce fut ainsi que, par mes soins, au lieu de la chute honteuse dont j'étais menacé, j'obtins le plus brillant succès. >>

La conclusion de Marmontel manque un peu de modestie. Soyons justes pourtant il veut bien reconnaître, quelques lignes plus bas, qu'à cet heureux résultat dont il fut si fier et si heureux, la musique de Grétry, elle non plus, ne fut pas tout à fait étrangère.

Mais, quel qu'ait été l'éclat des représentations de Versailles et de Fontainebleau, il en est d'autres où les courtisans, pendant quelques années, recherchèrent plus avidement encore d'être admis.

Mme de Pompadour avait un très agréable talent de chanteuse et de comédienne. Elle résolut de le mettre à profit pour exercer plus sûrement par cette nouvelle séduction son empire sur le roi. En 1747, elle fit aménager en salle de spectacle une galerie de Versailles attenante au cabinet des médailles et

« PreviousContinue »