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Et voici quelle est enfin l'impression dernière de la comtesse : « On ne peut s'empêcher de regarder cette mort soudaine et la dispersion de toute cette infâme troupe comme un coup de la Providence. Toutes les apparences leur promettaient encore quinze ans de prospérité, et, si leur attente n'eût été déçue, jamais peut-être les mœurs et l'esprit national n'auraient pu s'en relever. »>

Ainsi le vieux roi mourait cruellement puni, comme on le dit alors, « de n'avoir rien aimé ». Quelle leçon pour le prince qui lui succédait ! Mais quelles espérances aussi à la cour et dans le public! Avec le dauphin et la dauphine, c'étaient la grâce et la vertu qui semblaient monter sur le trône.

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LA PRINCESSE DE LAMBALLE.

Médaillon en porcelaine. Musée Carnavalet.)

L

ORSQUE Marie-Antoinette-Josèphe-Jeanne de

Lorraine, archiduchesse d'Autriche, alors âgée de quinze ans, parut en 1770 à la cour de France, où elle venait épouser le dauphin Louis, sa grâce séduisit tout le monde.

Le voyage d'abord, s'il faut en croire les Mémoires de Weber, son frère de lait, fut un enchantement. De toutes parts, ce ne sont que chemins jonchés de fleurs, cris de « Vive la dauphine! >> exclamations flatteuses sur la grâce et la jolie figure de la princesse.

« A quelques lieues de Châlons, un vieux curé, à la tête de ses paroissiens, s'approche de la voiture. Ses yeux baissés par respect ne s'étaient point encore levés sur la jeune dauphine. Il avait pris pour texte de son petit discours ces paroles du Cantique des Cantiques, Pulchra es

et formosa. Il avait déjà articulé quelques phrases de sa harangue. Par hasard, au moment où, selon la manière des orateurs, il rappelait son texte, il jette un regard sur Marie-Antoinette. Au même instant, sa mémoire est en défaut; il balbutie et s'arrête.... L'archiduchesse s'empresse d'accepter le bouquet qu'il tenait dans ses mains. Le vieillard, pénétré de cet acte de bonté, lui dit aus

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LOUIS, DAUPHIN DE FRANCE. (D'après une estampe du temps.)

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A Compiègne, elle trouva toute la cour.

Louis XV lui-même s'y était rendu pour recevoir la Dauphine, et il alla en grand cortège au-devant d'elle, dans la forêt.

Aussitôt qu'elle aperçoit le monarque, Marie-Antoinette descend de son carrosse et se jette à ses genoux. Louis est ému; il l'a relève, et l'embrasse affectueusement. Puis son tour lui baise les

il la présente lui-même à son époux, qui à

mains.

« Le soir, les dames qui présidaient à son coucher lui dirent:

Madame, vous avez enchanté tout le monde, mais particulièrement M. le

dauphin.

On me voit ici avec trop d'intérêt, répondit Marie-Antoinette; mon cœur contracte des dettes qu'il ne pourra jamais acquitter; mais au moins on me tiendra compte, j'espère, du désir que j'en ai.

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« Le lendemain, elle se mettait en route avec toute la cour pour Versailles. Arrivée à Saint-Denis, elle eut l'heureuse idée de demander à voir Madame Louise, la fille de Louis XV, qui s'était faite carmélite, et cet hommage spontané attira encore à la jeune princesse de grands éloges.

((

Cependant, continue Weber, les voitures prenaient la route de Versailles, et tous les habitants de Paris et des villes voisines se répandaient entre Saint-Denis et la porte Maillot; les carrosses formaient une double haie, et le peuple applaudissait avec ivresse. Les équipages de la dauphine sont obligés d'aller au petit pas; on se presse autour de sa voiture; on a joui de ce plaisir, on veut la revoir encore.

« On fit remarquer à l'aimable dauphine combien son arrivée excitait d'enthousiasme. Dans sa réponse, elle eut l'art de laisser croire qu'elle s'était imaginé que tous les voeux étaient pour le roi. Elle disait :

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Les Français ne voient jamais assez leur roi; ils ne peuvent me traiter

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avec plus de bonté qu'en me prouvant qu'ils savent aimer celui que j'ai déjà l'habitude de regar

der comme un second père.

au

«La cour soupa

château de la

Muette. Mme Du Barry avait obtenu de la faiblesse du roi l'honneur de se trouver à la même table. que l'archiduchesse. Celle-ci en fut blessée sans doute : car elle en parla depuis plus d'une fois. Mais elle ne fit paraître aucune émotion; toujours polie, elle daigna même répondre à ceux qui voulurent connaître son opinion sur Mme Du Barry, qu'elle la trouvait charmante. Ce mot fut répété; il faisait l'éloge de la

comtesse, mais le seul éloge qu'elle méritàt; et toute la cour applaudit à la justesse de la réponse. »

Le roi quitta le château de la Muette et se rendit à Versailles. Le mariage eut lieu le lendemain 16 mai 1770.

((

Éclatante de fraîcheur, la dauphine, dit Mme Campan', parut mieux que belle à tous les yeux. Sa démarche tenait à la fois du maintien imposant

1. Mémoires, chap. III.

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