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encore triomphé au temps de la jeunesse de Louis XV, et, quand, un peu plus tard, il ne fut plus contesté pour les soldats, certains officiers du moins s'efforçaient d'y échapper. Le comte de Ségur avait encore aperçu, dans sa jeunesse, le maréchal de Contades commandant en habit de ville et portant perruque. Les officiers des gardes françaises avaient le privilège de porter le deuil sous les armes, et on les vit à la tête de leurs compagnies en habit noir et sans autre insigne militaire que le hausse-col, qu'ils portaient sur la poitrine.

BRETONS VOLONTAIRES.

(D'après Gravelot.)

Cependant les revers de la guerre de Sept Ans contribuèrent à ouvrir les yeux des chefs de l'armée sur tant d'abus. Grâce aux soins de Choiseul, « les manœuvres des troupes devinrent régulières, une instruction plus étendue fut exigée des officiers, et tous furent soumis à la plus sévère dis cipline et à la plus stricte subordination. Une sage administration remédia au désordre elle établit, pour l'équipement, le recrutement, l'armement, les re

LE ROI VISITE L'ÉCOLE MILITAIRE.

D'après une gravure ancienne.)

montes, une utile économie, et, dans l'habille

ment, une parfaite uniformité. »

Frédéric II devenait alors le grand modèle: il semblait que le succès de nos armes dans l'avenir fùt attaché à l'imitation scrupuleuse des méthodes prussiennes. Ainsi s'explique la singulière et si fâcheuse réforme que le comte de Saint-Germain, le collègue de Turgot et de Malesherbes, prétendit établir dans le régime des punitions militaires en soumettant les soldats qui auraient encouru quelque reproche aux coups de plat de sabre.

Cette innovation, écrit le comte de Ségur, souleva, non seulement dans l'armée, mais à la cour et à la ville,

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des discussions acharnées, et il raconte à ce propos une plaisante anecdote. Tous ceux, dit-il, qui s'étaient engoués de la discipline allemande avec autant de chaleur qu'ils s'étaient précédemment enthousiasmés pour les modes anglaises, soutenaient qu'avec des coups de plat de sabre notre armée égalerait promptement en perfection celle du grand Frédéric; les autres n'y voyaient

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qu'une humiliante dégradation incompatible avec l'honneur français. Un tiers parti s'étonnait et doutait le bâton, disait-il, serait humiliant; mais le sabre est l'arme de l'honneur, et cette punition militaire n'a rien de déshonorant; il fallait examiner seulement si elle n'était pas préférable à la prison et à la salle de discipline, qui nuisent à la santé et corrompent les mœurs. Enfin on discutait gravement pour savoir jusqu'à quel point cette punition physique pouvait agir sur les sens du soldat pour le forcer, par la douleur, à se corriger de ses vices, de sa paresse ou de son insubordination.

<«< Un matin je vis entrer dans ma chambre un jeune homme des premières familles de la cour; j'étais, dès mon enfance, lié d'amitié avec lui. Longtemps,

haïssant l'étude, il n'avait songé qu'aux plaisirs; mais, depuis peu, l'ardeur militaire s'était emparée de lui: il ne rêvait qu'armes, chevaux, école de théorie, exercices et discipline allemande.

«En entrant chez moi, il avait l'air profondément sérieux; il me pria de renvoyer mon valet de chambre. Quand nous fùmes seuls :

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- Que signifient, lui dis-je, mon cher vicomte, une visite si matinale et

MAURICE DE SAXE.

(D'après le pastel de La Tour. Musée de Saint-Quentin.

un si grave début? Est-il question de quelque nouvelle affaire d'honneur ou d'amour? - Nullement, dit-il, mais il s'agit d'un objet très important et d'une épreuve que je suis absolument résolu de faire. Elle te paraîtra sans doute bien étrange, mais il me la faut pour achever de m'éclairer sur la grande discussion qui nous occupe tous: on ne juge bien que ce qu'on a connu et éprouvé par soimême. En te communiquant mon projet, tu sentiras tout de suite que c'est à mon meilleur ami seul que je pouvais le confier, et que c'est lui seul qui peut m'aider à l'exécuter. En deux mots, voici le fait je veux savoir positive

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ment l'impression que peuvent faire les coups de plat de sabre sur un homme fort, courageux, bien constitué, et jusqu'à quel point son opiniâtreté pourrait, sans faiblir, supporter ce châtiment; je te prie donc de m'en frapper jusqu'à ce que je dise : « C'est assez. »

((

«< Éclatant de rire à ce propos, je fis l'impossible pour le détourner de ce bizarre dessein et pour le convaincre de la folie de sa proposition; mais il n'y eut pas moyen. Il insista, me pria, me conjura de lui faire ce plaisir, avec autant d'insistance que s'il eût été question d'obtenir de moi le plus grand service.

<< Enfin, j'y consentis, résolu, pour le punir de sa fantaisie, d'y aller bon jeu

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bon argent. Je me mis donc à l'œuvre; mais, à mon grand
étonnement, le patient, méditant froidement sur l'impres-
sion de chaque coup et rassemblant tout son courage
pour les supporter, ne disait mot et s'efforçait de se mon-

trer impassible; de sorte que ce ne fut qu'après
m'avoir laissé répéter une vingtaine de fois cette
épreuve qu'il me dit :

Ami, c'est assez; je suis con-
tent, et je comprends à présent que,
pour vaincre beaucoup de défauts, ce
remède doit être efficace.

« Je croyais tout fini, et jusque-là cette scène n'avait rien eu pour moi que de plaisant; mais, au moment où j'allais sonner mon valet de chambre. afin de m'habiller, le vicomte, en m'arrètant tout à coup, me dit :

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PORT DU FUSIL DE L'OFFICIER. (D'après Gravelot.)

n'est pas achevé : il est bon aussi que tu fasses cette
épreuve à ton tour.

« Je l'assurai que je n'en avais
nulle envie, et qu'elle ne changerait
rien à mon opinion, qui était absolu-
ment contraire à une innovation si peu

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COMMENT LES SOLDATS PORTAIENT française.

LE FUSIL.

(D'après Gravelot.)

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Fort bien, me répondit-il; ce n'est pas pour toi, c'est pour moi que

je te le demande. Je te connais; quoique tu sois un parfait ami, tu es très gai, un peu railleur, et tu feras peut-être, à mes dépens, avec tes dames, un récit très plaisant de ce qui vient de se passer entre nous.

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Mais ma parole ne te suffit-elle pas? repris-je.

Oui, dit-il, sur tout autre point plus sérieux; mais enfin, quand je n'aurais que la peur d'une indiscrétion, c'est encore trop. Ainsi, au nom de l'amitié, je t'en conjure, rassure-moi complètement à cet égard en recevant à ton tour ce COMMENT LES OFFICIERS RENDAIENT que tu m'as bien voulu prêter de si bonne grace. D'ailleurs,

LES HONNEURS.

(D'après Gravelot.)

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je le répète, crois-moi, tu y gagneras, et tu seras bien aise d'avoir jugé par toimême cette nouvelle méthode sur laquelle on dispute tant.

<«< Vaincu par ses prières, je lui laissai prendre l'arme fatale; mais, après le premier coup qu'il m'eut donné, loin d'imiter sa constance obstinée, je me hâtai de m'écrier que c'était assez, et que je me tenais désormais pour suffisamment éclairé sur cette grave question. Ce fut ainsi que se termina cette folle scène. Nous nous embrassâmes en nous séparant, et, quelque envie que j'eusse de raconter le fait, je lui gardai le secret aussi longtemps qu'il voulut me le demander. »

Cependant, l'opinion publique prit en général moins gaiement que le comte de Ségur et son ami la réforme du ministre. On citait le mot de ce grenadier gascon qui, apprenant qu'il pouvait être, avec ses camarades, frappé de coups de plat de sabre, s'écria:

Sandis nous aimerions mieux le tranchant.

On rapportait que le duc de la Vauguyon, colonel d'un régiment en garnison à Lille, avait, en apprenant la même nouvelle, mêlé ses pleurs à ceux de ses soldats.

Le comte de Saint-Germain dut donner sa démission. On pouvait le regretter, puisque, sauf sa malencontreuse idée, c'était un homme digne de tous les

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