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Madame Adélaïde,

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enfin, l'aînée des quatre sœurs, était celle qui avait le plus d'esprit. Elle avait un désir immodéré d'apprendre, et elle voulut notamment savoir jouer de tous les instruments, depuis le cor (le croira-t-on?) jusqu'à la guimbarde. Elle avait eu de plus, pendant un moment de sa jeunesse, des charmes dans la physionomie. Mais elle manquait absolument d'affabilité. << Des manières brusques, une voix dure, une prononciation brève, la rendaient plus qu'imposante. Elle portait très loin l'idée des préroga

MARIE LECZINSKA.

(D'après le pastel de La Tour. Musée du Louvre.)

tives du rang. Un de ses chapelains eut le malheur de dire Dominus vobiscum d'un air trop aisé la princesse l'apostropha rudement après la messe pour lui dire de se souvenir qu'il n'était pas évêque, et de ne plus s'aviser d'officier en prélat '. >>

Telles étaient ces quatre princesses avec lesquelles le roi leur père, sans leur avoir jamais d'ailleurs consacré beaucoup de temps, vécut toujours du moins dans une affectueuse familiarité.

Tous les matins, « il descendait par un escalier dérobé dans l'appartement de Madame Adélaïde. Souvent il y apportait et y prenait du café qu'il avait fait lui-même. Madame Adélaïde tirait un cordon de sonnette qui avertissait Madame Victoire de la visite du roi; Madame Victoire, en se levant pour aller chez sa sœur, sonnait Madame Sophie, qui à son tour sonnait Madame Louise.

1. Mme CAMPAN, Mémoires, chap. 1.

Les appartements des princesses étaient très vastes.
Madame Louise logeait dans l'appartement le plus
reculé pour se rendre à la réunion quotidienne, la
pauvre princesse traversait, en courant à toutes
jambes, un grand nombre de chambres, et, malgré
son empressement, elle n'avait souvent que
le temps
d'embrasser son père, qui partait de là pour la

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chasse.

<< Tous les soirs, à six heures, les princesses interrompaient la lecture qui leur était faite pour

se rendre avec les princes chez Louis XV: cette visite s'appelait le débotter du roi, et était accompagnée d'une sorte d'étiquette. Les princesses passaient un énorme panier, qui soutenait une jupe chamarrée d'or ou de broderie; elles attachaient autour de leur taille une longue queue, et cachaient le négligé du reste de leur habillement par un grand mantelet de taffetas noir, qui les enveloppait jusque sous le menton. Les chevaliers d'honneur, les dames, les pages, les écuyers, les huissiers, portant de gros flambeaux, les accompagnaient chez le roi. En un instant, tout le palais, habituellement solitaire, se trouvait en mouvement. Le roi baisait chaque princesse au front après quoi, Mesdames rentraient chez elles, dénouaient les cordons de leur jupe et de leur queue, et reprenaient leur tapisserie et la lecture interrompue'.

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CHATELAINE OR ET ÉMAIL
EN COULEURS.

(Collection Jubinal de Saint-Albin.)

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Pendant l'été, le roi venait quelquefois chez les princesses avant l'heure de son débotter : « Un jour, dit Mme Campan, il me trouva seule dans le cabinet de Madame Victoire, et me demanda où était Coche; et,

1. Mme CAMPAN, Mémoires, chap. I.

CHATELAINE OR ET EMAIL
CHAMPLEVE.

(Collection Jubinal de Saint-Albin.)

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comme j'ouvrais de grands yeux, il renouvela sa question, mais sans que je comprisse davantage. Quand le roi fut sorti, je demandai à Madame de qui il avait voulu parler. Elle me dit que c'était d'elle, et m'expliqua d'un grand sang-froid qu'étant la plus grasse de ses filles, le roi lui avait donné le nom

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d'amitié de Coche, qu'il appelait Madame Adélaïde Loque, Madame Sophie Graille, Madame Louise Chiffe. »

Mme Campan s'indigne un peu de la bassesse de ces appellations : c'est qu'avant toute chose elle tient aux bienséances. Pour nous, au contraire, il nous semble que, quoique ces petites plaisanteries de famille ne soient pas en effet d'un goût très relevé, la physionomie morale de Louis XV gagne plutôt à de telles anecdotes.

Et j'en dirai autant encore de celle que nous a si joliment contée

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