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jusque dans sa disgrace: il tomba, victime de l'hostilité de Mme Du Barry, devant laquelle il avait refusé de plier, et sans doute des rancunes des partisans de l'ordre des Jésuites, à la suppression duquel il ne s'était pas opposé. Mais sa chute arriva au moment où le roi entrait définitivement en lutte contre le Parlement, et il fut regardé comme le défenseur de la magistrature et des libertés publiques. Aussi son exil devint-il une manière de triomphe.

« Les rues furent pendant vingt-quatre heures presque obstruées par la multitude des carrosses qui se rendaient à sa porte. Arrivé à son château de Chanteloup, lieu de son exil, il y vit affluer les hommes

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les plus marquants, les courtisans les plus distingués'. »

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LE COMTE DE MAUREPAS.

(D'après une médaille du temps.)

Ce qui ajoutait aux regrets causés par le départ de Choiseul, c'était l'impopularité des ministres qui lui avaient succédé, du triumvirat, comme on disait, composé du duc d'Aiguillon, du chancelier Maupeou et du contrôleur général Terray. Le dernier seul fut en réalité un homme sans scrupule et qui méritait pis que les épigrammes qu'on lui décochait et les malédictions dont il prenait aisément son parti. Le duc d'Aiguillon vaut mieux que la réputation que lui firent alors les défenseurs des parlementaires, et les réformes de Maupeou dans l'administration de la justice, si impopulaires qu'elles aient été, n'en constituaient pas moins un progrès qui faisait prévoir l'organisation judiciaire moderne.

Mais l'esprit de parti ne raisonne pas, et l'on admit généralement que Choiseul restait comme la suprême ressource du pays pour le moment où la mort du vieux roi débarrasserait la France de ses créatures.

ChoiCependant, lorsque Louis XVI monta sur le trône, il ne rappela pas seul, qui passait pour l'ennemi des Jésuites et le protecteur décidé des philosophes.

Toutefois, comme il était décidé à faire régner avec lui la vertu et à réformer les abus, il fit appel à deux hommes, qui avaient des attaches connues avec

1. SENAC DE MEILHAN, dans les Mélanges d'histoire et de littérature de Craufurt (Bibliothèque des mémoires, publiée par Barrière, tome III).

les philosophes, mais qu'il savait être d'une haute, d'une austère probité, Malesherbes et Turgot. Avec eux il nommait ministre de la guerre le comte de Saint-Germain, militaire plein d'honneur, l'un de ceux qui avaient le mieux mérité de la France pendant la guerre de Sept Ans. Seul le ministre de la maison du roi, le vieux et frivole Maurepas, détonnait dans cette assemblée de sages.

Parmi ces ministres, Turgot surtout devait être populaire : n'affranchissait-il pas le commerce par la suppression des barrières

et des prohibitions, le

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travail par la suppression des maîtrises et des jurandes, le paysan lui-même par la suppression des corvées? Écoutez cette chanson qui dit ses plus grands

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LE DUC DE CHOISEUL.

(D'après une gravure du temps. Bibliothèque nationale.)

comme l'a été la province de Limoges, disait-il en faisant allusion aux précédentes fonctions de Turgot', et alors la France, sortant de ses ruines, sera le modèle du plus heu

reux gouvernement. »>

Mais combien les sentiments de la haute société francaise étaient différents! Voyez en quels termes une Mme du Deffand, par exemple, si intelligente, mais si sèche et si égoïste, parle des nouveaux ministres. Elle les raille sur leurs intentions vertueuses et leur bonne volonté ; elle les compare à l'ours maladroit de La

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Fontaine, à cet « ignorant ami », auquel, pour sa part, elle préférerait « un sage ennemi ».

Quand Louis XVI a cédé aux sollicitations intéressées de ceux qui l'entourent, quand il a renvoyé le Turgot, comme elle dit, «on est trop heureux, écrit-elle, d'en être défait » ; c'était « un fou, et aussi extravagant et présomptueux qu'il est possible de l'ètre » ; si on l'eût laissé faire, «< il aurait ruiné le commerce ». S'il faut en croire certains témoignages contemporains, Louis XVI n'aurait point donné son adhésion à de si dures et si injustes appréciations:

- Je vois bien, aurait-il dit, pour répondre d'abord aux attaques dont

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Turgot était l'objet, je vois bien qu'il n'y a que M. Turgot et moi qui aimions le peuple.

Du moins appela-t-il aux affaires, quelques mois après le renvoi de ce grand homme, un financier de beaucoup de réputation et d'une inattaquable probité, le Genevois Necker.

Nous avons déjà dit quels appuis Mme Necker avait ménagés à son mari dans le parti philosophique. La popularité ne tarda pas elle-même à récompenser les efforts très méritoires du nouveau directeur des finances, et quand, cinq ans plus tard, il dut, cédant aux perfides attaques qui avaient déjà triomphé de Turgot, offrir au roi sa démission, les regrets qui avaient accompagné l'ancien ministre dans sa retraite se manifestèrent de nouveau dans le public.

« Le dimanche où la nouvelle de sa disgrâce se répandit, raconte Bachaumont, on jouait aux Français la Partie de chasse d'Henri IV. On sait qu'il y est beaucoup question de

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plus retracer le tableau des troubles partiels et multipliés qui furent comme les préludes et les signes avant-coureurs de la Révolution. Nous avons montré plus haut ce qu'était Paris aux jours d'émeute, et nous avons dit aussi quels étranges contrastes entre les lois et les mœurs avaient accoutumé les esprits les plus

« LE COMPTE RENDU AU ROI », SERVANT DE SOCLE AU BUSTE DE NECKER. (D'après une gravure allégorique ancienne.)

réfléchis à l'idée de changements graves et prochains. Mais il faudrait faire voir dans le détail ce qu'était devenue, sans parler des difficultés financières au milieu desquelles elle se débattait, cette administration vieillie, où l'arbitraire était presque la règle.

L'arbitraire luimême, il est vrai, peut se défendre il peut apparaître comme tutélaire et protecteur. On a montré plus d'une fois comment les lettres de cachet par exemple, ces ordres d'emprisonnement revètus du sceau du roi et qu'un homme puissant pouvait obtenir de faire lancer tout d'un coup

contre ceux dont la li

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berté le gênait, étaient, en quelque sorte, dans l'intention première qui les avait fait instituer, une sorte de grâce et de bienfait royal le roi, se considérant comme le père souverain de toutes les familles de son royaume, usait de son pouvoir absolu, dans certaines circonstances délicates, pour soustraire, sur la demande mème de ses parents, et par une arrestation immédiate et discrète, tel ou tel personnage important à la honte d'un procès public ou de quelque scandale déshonorant.

Seulement, pour que de telles institutions subsistent, encore faut-il qu'un

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