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paradoxes, ou qu'elle se sentit disposée à réformer son empire sur les plans de la philosophie française.

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Monsieur Diderot, disait-elle un jour à notre héros, j'ai entendu avec le plus grand plaisir tout ce que votre brillant esprit vous a inspiré; mais avec tout vos grands principes que je comprends très bien, on ferait de beaux livres et de mauvaise besogne. Vous oubliez, dans tous vos plans de réforme, la différence de nos deux positions : vous, vous ne travaillez que sur le papier, qui souffre tout; il est tout uni, souple, et n'oppose d'obstacle ni à votre imagination ni à votre plume; tandis que moi, pauvre impératrice, je travaille sur la peau humaine, qui est bien autrement irritable et chatouilleuse.

Cependant, il ne faudrait pas croire non plus que Catherine ne cherchat dans les entretiens de Diderot que le plaisir d'une brillante causerie. Elle ne se défia certainement pas entièrement des résultats pratiques auxquels les théories du philosophe

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pouvaient l'amener sur

certains points particu

liers: c'est ainsi, par exemple, qu'elle lui demanda un programme général pour l'organisation des études en Russie, et nous avons encore le Plan d'une université qu'il rédigea à cette occasion, et qui, en beaucoup de ses parties, devance les théories de notre « enseignement moderne ».

Que Catherine, préoccupée sans doute d'autres entreprises plus urgentes, se soit inquiétée très fort d'organiser dans son empire un enseignement public d'après les idées de Diderot, c'est ce qui est assez peu pro

DIDEROT.

D'après Saint-Aubin. Bibliotheque nationale.)

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bable. Il n'en est pas moins vrai qu'une impératrice de Russie, en se faisant la protectrice d'un de nos philosophes, en l'appelant auprès d'elle, en ayant l'air de le consulter et de lui demander des avis et des leçons, savait bien qu'à tout le moins elle ajoutait à sa propre gloire : tant était grand alors le prestige de l'esprit français! Jamais encore, même sous Louis XIV, il n'avait rayonné au dehors d'un pareil éclat.

Mais, à côté des progrès de la philosophie, il faudrait encore parler des progrès des sciences, citer Buffon, l'illustre auteur de l'Histoire naturelle, génie véritablement philosophique, encore qu'il ait répugné à toutes les polémiques auxquelles se complaisaient avec tant de plaisir les encyclopédistes; citer d'Alembert, physicien et géomètre, le botaniste Bernard de Jussieu, La Condamine, explorateur des régions équatoriales, Lavoisier enfin, qui devait, à l'aurore même de la Révolution, en 1789, publier ce Traité qui fonda la chimie moderne.

Mais s'il faut parler surtout des découvertes ou des expériences qui excitèrent au plus haut point la curiosité, non des savants seulement, mais du

public tout entier, c'est à l'invention des aérostats et aux apparents miracles du mesmérisme qu'on s'attachera de préférence.

On sait que c'est en 1783, à Annonay, que les frères Montgolfier tentèrent la première ascension en ballon: leur machine s'éleva à une hauteur de cinq cents mètres. Le bruit que fit cette expérience détermina la cour à demander aux inventeurs de la renouveler à Paris.

Dès lors les tentatives se multiplièrent. Au milieu de quel cortège de

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moqueries et de plaisanteries de mauvais goût, on le devine assez quelle est l'entreprise ingénieuse ou généreuse qui n'a eu à compter d'abord avec les espiègleries faciles de la caricature? Mais qui croirait que l'opposition alla plus loin et que, soit aveuglement imbécile, soit crainte sincère pour le salut des ascensionnistes, de véritables attentats furent commis pour tenter de paralyser les expériences?

Le dimanche 18 septembre 1784, un ballon devait partir des Tuileries. Dès la veille la foule était considérable autour de l'appareil; elle l'était plus encore au moment de l'ascension. C'est alors qu'une grosse pierre fut lancée du haut d'une maison, évidemment pour déchirer le ballon. Ce ballon ne fut pas atteint; mais il y eut un homme tué sur le coup et plusieurs blessés. Tel était cependant

l'enthousiasme de l'immense majorité de la population pour la découverte nouvelle, que quand, une demi-heure après le funeste événement que nous venons de raconter, le ballon s'éleva dans les airs, tout, dit un témoin, sembla oublié en un instant et les acclamations du public ne connurent plus de bornes >>. On sait d'ailleurs que la liste des catastrophes aérostatiques devait s'ouvrir

CARICATURE SUR LES AÉROSTATS. L'HOMME VOLANT. (D'après une gravure de la Bibliothèque nationale.)

presque en même temps que l'histoire même de la navigation aérienne. En 1785, Pilâtre de Rozier et son compagnon Romain méditèrent de passer en ballon de Boulogne en Angleterre. Mais ils avaient imaginé un procédé nouveau de locomotion, où l'usage du feu se trouvait uni à celui du gaz. Or, par un accident dont la cause est demeurée inconnue, le feu, pendant leur ascension, prit à l'aérostat, et les malheureux, précipités d'une hauteur de plus de seize cents mètres, vinrent se briser contre les rochers de la côte près du village de Wimereux.

Ce funeste événement n'interrompit pas d'ailleurs

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les expériences des aéronautes, et l'on sait à travers quels progrès et quelles catastrophes l'histoire s'en devait poursuivre jusqu'à nos jours.

Mais, plus que les ballons, le magnétisme captiva, à la même époque, l'opinion publique. A la vérité, ce qu'il y a de scientifique dans les théories du magnétisme se trouvait encore à ce moment bien mêlé d'erreurs, d'affirmations hasardeuses et de pratiques charlatanesques. Entre l'aventurier Cagliostro et le docteur Mesmer, on ne distinguait pas trop, et d'ailleurs il s'en faut que Mesmer lui-même ait toujours gardé l'attitude réservée qui convient au pur et vrai savant.

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D'autre part, cer

taines doctrines mystiques commençaient à se répandre dans le public. Élève du thaumaturge bordelais Martinez Pasqualis, un jeune officier, Saint-Martin, qui signait ses livres du pseudonyme mystérieux de Philosophe inconnu, s'essayait à fonder à son tour une école mystique,

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CARICATURE SUR LE MAGNÉTISME ANIMAL. (Bibliothèque nationale.)

minés traduisaient et répandaient en France l'ouvrage du Suédois Swedenborg, les Merveilles du ciel et de l'enfer d'après le témoignage de ses yeux et de ses oreilles.

Ces manifestations diverses n'étaient pas de nature à dissiper les confusions que faisaient naître les théories encore mal connues du magnétisme. D'ailleurs, la curiosité n'était pas le seul motif de l'empressement du public à juger des merveilleux effets de la pratique de Mesmer : ce qu'on allait chercher autour de son fameux baquet, c'était avant tout la santé. C'est en effet comme moyen thérapeutique que le magnétisme se présenta et se recommanda d'abord à l'attention du public.

Les résistances du monde médical furent grandes, comme on peut s'y attendre. Mais elles ne triomphèrent pas de la confiance que beaucoup de malades témoignaient au nouveau traitement, et que quelques médecins, il faut le dire, autorisèrent de leur adhésion: tel par exemple ce Charles Deslon, qui, même avant de se brouiller avec ses confrères à cause de ses opinions favorables à Mesmer, jouissait à Paris d'une assez grande notoriété.

Il était l'ami du père du général Thiébault, et celui-ci raconte dans ses Mémoires l'impression qu'avaient produite sur son imagination d'adolescent (il avait alors quatorze ans) les succès de Deslon.

Le jeune Thiébault avait une sœur atteinte de surdité. C'est pour elle que M Thiébault, le père, avait eu l'idée de recourir à Deslon. Mais auparavant il dut lui demander ses soins pour Mme Thiébault, qui avait été prise récemment d'oppressions douloureuses; elle avait particulièrement souffert dans le

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