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« Je n'ai jamais vu personne, dit Mme Campan' en parlant d'elle, avoir l'air si effarouché. Elle marchait d'une vitesse extrême, et, pour reconnaître, sans les regarder, les gens qui se rangeaient sur son passage, elle avait pris l'habitude de voir de côté, à la manière des lièvres. Cette princesse était d'une si grande timidité qu'il était possible de la voir tous les jours, pendant des années, sans l'entendre prononcer un seul mot. On assurait cependant qu'elle montrait de l'esprit, et même de l'amabilité, dans la société de quelques dames préférées; elle s'instruisait beaucoup, mais elle lisait seule la présence d'une lectrice l'eût infiniment gênée.

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« Il y avait pourtant des occasions où cette princesse si sauvage devenait tout à coup affable, gracieuse, et montrait la bonté la plus communicative; c'était lorsqu'il faisait de l'orage: elle en avait peur, et tel était son effroi, qu'alors elle s'approchait des personnes les moins considérables; elle leur faisait mille questions obligeantes; voyait-elle un éclair, elle leur serrait la main; pour un coup de tonnerre elle les eût embrassées. Mais le beau temps revenu, la princesse reprenait sa roideur, son silence, son air farouche, passait devant tout le monde sans faire attention à personne, jusqu'à ce qu'un nouvel orage vint lui ramener sa peur et son affabilité. »

CHATELAINE LOUIS XV AGATE ET OR.

(Collection Jubinal de Saint-Albin.)

Madame Victoire, la seconde des filles de Louis XV, était belle et très gracieuse son accueil, son regard, son sourire, étaient d'accord avec la bonté de son âme. Elle vivait avec la plus aimable simplicité dans une société qui la chérissait. Elle était adorée de sa maison. Sans quitter Versailles, sans faire le sacrifice de sa moelleuse bergère, elle remplissait avec exactitude les devoirs de la religion, donnait aux pauvres tout ce qu'elle possédait, observait rigoureusement les jeunes et le carême.

Il est vrai qu'elle n'était point insensible à la bonne chère, mais elle avait les scrupules les plus religieux sur les plats qu'elle pouvait manger au temps de

1. Mémoires, chap. 1.

pénitence.... Je la vis un jour, dit encore Mme Campan', très tour-
mentée de ses doutes sur un oiseau d'eau qu'on lui servait sou-
vent pendant le carême. Il s'agissait de décider irrévocable-
ment si cet oiseau était maigre ou gras. Elle consulta un
évêque qui se trouvait à son diner le prélat prit aussitôt
le son de voix positif, l'attitude grave d'un juge en dernier
ressort. Il répondit à la princesse qu'il avait été décidé qu'en
un semblable doute, après avoir fait cuire l'oiseau, il fallait le
piquer sur un plat d'argent très froid: que, si le jus de l'ani-
mal se figeait dans l'espace d'un quart d'heure, l'animal était
réputé gras; que, si le jus restait en huile, on pouvait le man-
ger en tout temps sans inquiétude. Madame Victoire fit faire
aussitôt l'épreuve : le jus ne figea point; ce fut une joie pour
la princesse, qui aimait beaucoup cette espèce de gibier.

« Le mai-
gre, qui occu-
pait tant Ma-
dame Victoire,
l'incommo-

dait; aussi
attendait-elle

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PORTE-CLEFS

AVEC PORTRAIT DE LOUIS XV,

AYANT APPARTENU

A MADAME LOUISE, SA FILLE. (Collection Jubinal de Saint-Albin.

avec impatience le coup de
minuit du samedi saint: on
lui servait aussitôt une bonne
volaille au riz et plusieurs
autres mets succulents.

« Elle avouait avec une
si aimable franchise son goût
pour la bonne chère et pour
les commodités de la vie,
qu'il aurait fallu être aussi
sévère en principes qu'insen-
sible aux excellentes qualités
de cette princesse pour lui
en faire un crime. >>

LOUIS XV.

(D'après le pastel de La Tour. Musée de Saint-Quentin.)

1. Mme CAMPAN, Mémoires, chap. 1.

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