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Voltaire demande au roi de Prusse ce qu'il compte faire au cas où les alliés de l'Autriche envahiraient la Silésie, et le roi répond :

On les y recevra, biribi,
A la façon de Barbari,
Mon ami.

Plus loin, Voltaire supplie le roi de lui donner quelque bonne nouvelle qu'il puisse porter à la cour de France. « La seule commission que je puisse vous donner, réplique Frédéric, c'est de conseiller aux Français de se conduire plus sagement qu'ils n'ont fait jusqu'à présent. Cette monarchie est un corps très fort,

sans âme et sans nerf. >>

C'est là ce que Voltaire sans doute appelait ingénument entrer dans la confidence et dans la familiarité d'un roi!

Notre philosophe n'ayant jamais soupçonné les railleries dont il avait été l'objet, on s'explique que, quand, quelques années plus tard, la cour de France, Louis XV et Mme de Pompadour en tête, lui eut fait comprendre par quelques

marques de défaveur qu'elle se passerait aisément de sa présence, il ait prêté l'oreille aux appels pressants de Frédéric et qu'il se soit décidé à partir pour la cour de Potsdam.

Il ne le fit pas cependant sans hésitation, et il fallut pour le décider que sa vanité d'auteur se trouvât un jour désagréablement chatouillée. Voici comment Marmontel raconte l'aventure.

« Une difficulté, dit-il, retardait encore le voyage en Prusse. Elle consistait

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dans les frais du voyage, sur lesquels Frédéric se faisait un peu tirer l'oreille. Il voulait bien défrayer Voltaire, et pour cela il consentait à lui donner mille louis; mais Mme Denis, qui, depuis cinq ans, tenait la maison de son oncle, prétendait l'accompagner, et, pour ce surcroît de dépense, Voltaire demandait mille louis de plus. C'était à quoi le roi de Prusse ne voulait point entendre. « Je serai fort aise, lui écrivait-il, que Mme Denis vous accompagne, mais je ne le demande pas. »

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Voyez-vous, me disait Voltaire, cette lésine dans un roi! Il a des

tonneaux d'or, et il ne veut pas donner mille pauvres louis pour le plaisir de voir Mme Denis à Berlin! Il les donnera, ou moi-même je n'irai point.

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« Un incident comique vint terminer cette dispute. Un matin que j'allais le voir, je trouvai son ami Thieriot dans le jardin du Palais-Royal; et, comme il était à l'affût des nouvelles littéraires, je lui demandai s'il y en avait quelqu'une.

Oui, vraiment, il y en a, et des plus curieuses, me dit-il. Vous allez chez M. de Voltaire, là vous les entendrez; car je m'en vais m'y rendre dès que j'aurai pris mon café.

<< Voltaire travaillait dans son lit lorsque j'arrivai. A son tour il me demanda :

Quelles nouvelles ?

Je n'en sais point, lui dis-je; mais Thieriot, que j'ai rencontré au PalaisRoyal, en a, dit-il, d'intéressantes à vous apprendre. Il va venir.

Eh bien! Thieriot, lui dit-il, vous avez donc à nous conter des nouvelles bien curieuses?

-Oh! très curieuses, et qui vous feront grand plaisir, répondit Thieriot avec son sourire sardonique et son nasillement de capucin.

Voyons, qu'avez-vous à nous dire?

J'ai à vous dire qu'Arnaud Baculard' est arrivé à Potsdam, et que le roi de Prusse l'y a reçu à bras ouverts.

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Point du tout, fort belle, et si belle, que le roi y a répondu par une autre épître.

Le roi de Prusse, une épître à d'Arnaud! Allons, Thieriot, allons, on s'est moqué de vous.

- Je ne sais pas si on s'est moqué de moi, mais j'ai en poche les deux épîtres.

Voyons, donnez donc vite, que je lise ces deux chefs-d'œuvre. Quelle fadeur! quelle platitude! quelle bassesse! disait-il en lisant l'épître d'Arnaud. Et, passant à celle du roi, il lut un moment en silence et d'un air de pitié; mais quand il en fut à ces vers:

Voltaire est à son couchant,
Vous êtes à votre aurore,

il fit un haut-le-corps, et sauta de son lit, bondissant de fureur.

Voltaire est à son couchant, et Baculard à son aurore! et c'est un roi

qui écrit cette sottise énorme! Ah! qu'il se mêle de régner!

1. Cet Arnaud Baculard, ou plutôt Baculard d'Arnaud (1718-1805), qui donna plus tard sur le théâtre de noirs mélodrames, plus ridicules que terrifiants, était alors un débutant, et c'est sur une recommandation de Voltaire que Frédéric l'avait accueilli.

« Nous avions de la peine, Thieriot et moi, à ne pas éclater de rire, de voir Voltaire en chemise, gambadant de colère, et apostrophant le roi de

Prusse.

- J'irai, disait-il, oui, j'irai lui apprendre à se connaître en hommes. « Et dès ce moment-là son voyage fut décidé.

J'ai soupçonné le roi de Prusse d'avoir voulu lui donner ce coup d'éperon; et sans cela je doute qu'il fût parti, tant il était piqué du refus de

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mille louis, non point par avarice, mais de dépit de ne pas avoir obtenu ce qu'il demandait. »

Enfin, quel que soit le motif qui ait décidé Voltaire à partir, les premiers temps de séjour à Potsdam furent un enchantement. Il fallut déchanter par la suite. Les démêlés financiers du philosophe avec un courtier véreux d'abord, sa polémique virulente et on ne peut plus vive et spirituelle contre le géomètre Maupertuis, le propre président de l'Académie de Berlin, lui attirèrent de si graves désagréments qu'il ne songea plus qu'à s'enfuir au plus tôt du palais enchanté où il se vantait d'avoir été accueilli, trois ans auparavant, comme un héros de conte de fées, où, trois ans durant, il s'était pavané « avec une clef

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