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immense est faite d'opuscules de circonstance et l'«< actualité » tient une place jusque dans ses plus grands ouvrages, quand encore elle ne les inspire pas. C'est un batailleur, et qui n'est pas toujours très scrupuleux sur la nature des subterfuges grâce auxquels il atteint l'adversaire ou se dérobe à ses coups.

Il s'appelait François-Marie Arouet et il était le fils d'un ancien notaire. Dès le collège Louis-le-Grand, où il entra à dix ans, en 1704, et dont il sortit en 1711, il avait conquis une sorte de petite notoriété par son esprit et son habileté à faire des vers. Un jour un de ses maîtres, lui ayant confisqué une tabatière, promit de la lui rendre s'il la redemandait en vers. L'écolier accepta la condition et nous avons la petite pièce qu'il écrivit à cette occasion. Elle ne vaut certes pas bien cher : mais elle est du moins une preuve de l'ingéniosité de l'adolescent.

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Sorti de Louis-leGrand et incapable d'accepter pour luimême la prévision d'un avenir assuré, mais médiocre, il ne songe, en dépit des objurgations, des précautions paternelles, qu'à se pousser dans le monde. Grâce à son tuteur, l'abbé de Châteauneuf, la société du Temple' lui est

1. Le château du Temple, à Paris, était la résidence du grand prieur de l'ordre de Malte, Philippe de Vendôme (voir page 336).

FRONTISPICE DE LA HENRIADE ».

(Estampe allégorique.)

ouverte; son talent naissant, la liberté de son esprit et de sa conduite, ses disgrâces mêmes, qui lui fournissent autant de prétextes à s'amuser en amusant les autres, tout contribue à son succès. La représentation d'Edipe (1718) consacre sa jeune célébrité. Ses lettres nous le montrent, à cette époque, flatteur délicat et s'ingéniant à se faire des amis de tous ceux dont la voix, dans la littérature, compte alors pour quelque chose.

Déjà Voltaire (c'était le nom qu'il s'était choisi dès 1718), auteur joué à la cour, pensionné du roi et de la reine, et dont

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VOLTAIRE A VINGT-QUATRE ANS. (Par Largillière; Musée Carnavalet.)

les salons, qui continuent d'applaudir à ses pièces de vers charmantes et quelquefois profondes, attendent avec impatience l'apparition d'une œuvre décisive, ce poème de la Ligue, auquel il a travaillé pendant une année d'emprisonnement à la Bastille, Voltaire peut croire à son tour sa situation bien assise, quand un événement imprévu survient, qui semble faire crouler d'un coup tout l'édifice de ses espérances.

L'un de ces jeunes seigneurs dont il avait pensé que ses talents le faisaient l'égal, le chevalier de Rohan, blessé de quelques-uns de ses propos, le fait un soir bâtonner par ses gens. Justement indigné, Voltaire veut obtenir satisfaction de son làche adversaire. Pour mettre fin à ses démarches passionnées, la famille de Rohan le fait enfermer à la Bastille. Quelques jours après, il sort de prison, mais on lui intime l'ordre de s'embarquer sans retard pour l'Angleterre.

Voltaire partit (mai 1726), mais ce fut pour rentrer en France quelques semaines plus tard, revenir à Paris et y chercher de nouveau son insulteur. Ses efforts furent vains; il dut reprendre le chemin de l'exil, et il eut alors - la

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Correspondance semble

bien en garder la trace

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un moment de découragement. Mais ce ne

fut qu'un moment.

Il avait en France connu lord Bolingbroke, lorsque cet homme d'État y avait passé les années de son exil. Depuis 1723, Bolingbroke était rentré dans son pays fort de sa protection et des appuis qu'elle lui attira, lié bientôt avec tout ce que l'Angleterre comptait d'écrivains illustres, apprécié à la cour, Voltaire sentit sans

doute le prix du bienfait que recouvrait l'appa

rente trahison de sa for

LE ROI ENCOURAGE LES SCIENCES ET LES ARTS.

(Dessin par J.-B. Le Prince, gravé par Tillard.)

tune ce séjour en Angleterre, qui dura trois ans, exerça sur la direction de son esprit une influence décisive. C'est là en effet qu'il apprit à connaître la philosophie de Locke, le système de Newton, les tragédies de Shakespeare; c'est là que la notion qu'il avait commencé sans doute à se former de l'État put se préciser quand il eut sous les yeux le spectacle d'un grand pays sachant se gouverner lui-même, et dont tous les citoyens, actifs à faire leur fortune, étaient animés d'un zèle pareil pour les grands intérêts de la patrie, tout en professant, sur les choses de la métaphysique et de la religion, les doctrines les plus diverses.

Comme nous n'écrivons pas une biographie de Voltaire, force nous est bien de passer très rapidement et sur les beaux ouvrages qu'il donna coup sur coup après son retour d'Angleterre, sa Zaire notamment et son Histoire de Charles XII, et sur les ennuis ou les persécutions que quelques-uns d'entre eux lui attirèrent, ses Lettres sur l'Angleterre par exemple.

Nous ne raconterons pas non plus, si amusantes qu'elles soient, ses rela

tions avec le prince royal de Prusse, qui devait rester son compromettant ami, quand il fut devenu roi sous le nom de Frédéric II: Voltaire, disait le prince, c'était le maître universel, le maître de la prose et de la poésie, de l'art de penser et de l'art de parler, à l'école duquel il entendait se mettre, le censeur qui devait juger, reviser, corriger tous ses

ouvrages. En revanche, Voltaire donnait du

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prince philosophe », du « Salomon du Nord» à son puissant ami. Il correspondait familièrement avec lui, l'appelait volontiers, en vrai philosophe, « Votre Humanité »> au lieu de « Votre Majesté ».

Une tête plus forte que celle de Voltaire contre les séductions de la faveur n'eût pas résisté à cet enivrement; notre écrivain s'y livra tout entier. S'il faut l'en excuser, disons que son amour-propre eut des complices, quelques-uns fort imprévus : Fleury par exemple, notre premier ministre, qui crut sincèrement pouvoir utiliser en faveur de la France l'amitié que Voltaire avait su inspirer au nouveau roi de Prusse, et, après Fleury, Amelot, notre ministre des affaires étrangères.

Coup sur coup, le gouvernement français confia au philosophe deux ambassades officieuses auprès de Frédéric. C'était faire preuve de beaucoup de naïveté, Voltaire étant l'homme du monde le moins pourvu des vertus diplomatiques, le moins capable de s'effacer au besoin, de se ménager, d'attendre et de se taire. Son royal ami le berna donc royalement et sans que Voltaire assurément s'en soit aperçu.

BUSTE DE VOLTAIRE.

(Par Houdon. Académie des Sciences de Berlin.)

En voici, entre beaucoup d'autres, une assez jolie preuve. Voltaire s'avise un jour de partager une feuille de papier en deux colonnes sur l'une, il rédige une sorte de questionnaire à l'usage du roi de Prusse et il demande à ce dernier d'écrire sur l'autre ses réponses. Frédéric y consent volontiers, mais ses réponses commencent par un calembour et se continuent par des coq-à-l'àne et des impertinences.

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