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« C'était une espèce de club à l'anglaise, ou de société politique parfaitement libre, composée de gens qui, aimant à raisonner sur ce qui se passait, pouvaient se réunir et dire leur avis sans crainte d'être compromis, parce qu'ils se connaissaient tous les uns les autres, et savaient avec qui et devant qui ils parlaient. Cette société s'appelait l'Entresol, parce que le lieu où elle s'assemblait était un entresol, dans lequel logeait l'abbé Alary. On y trouvait toutes sortes de commodités, bons sièges, bon feu en hiver, et en été des fenêtres ouvertes sur un joli jardin. On n'y dinait ni on n'y soupait; mais on y pouvait prendre le thé en hiver, et en été de la limonade et des liqueurs fraîches. En tout temps, on y trouvait les gazettes de France, de Hollande, et même les papiers anglais. En un mot, c'était un café d'honnêtes gens. J'y allais régulièrement, et j'y ai vu des personnes très considérables qui avaient rempli les premiers emplois au dedans et au dehors du royaume. »>

Ce club de l'Entresol mérite une place d'honneur dans l'histoire des doctrines politiques en France. C'est là sans nul doute que Montesquieu entre autres puisa cette admiration pour la constitution anglaise qu'un voyage en

MONTESQUIEU.

Angleterre devait plus tard fortifier, et qui est l'un des sentiments dominants qui animent son grand ouvrage de l'Esprit des lois. En tout cas, ce sont les membres de ce club qui eurent les premiers connaissance du dessein général de ce livre célèbre.

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(Buste en marbre. Musée de Bordeaux.)

Quand il parut, en 1748, la gloire un peu haute et sereine de Montesquieu était éclipsée par la renommée moins pure, mais plus tapageuse et plus éclatante d'un homme qui, avec des opinions sensiblement pareilles sur le fond des choses, ne ressemble guère en apparence au noble magistrat.

Non que Montesquieu ne sût pas sourire et sacrifier aux Grâces: c'est son défaut peut-être au contraire d'y avoir trop sacrifié, et si ce parfait galant homme et ce très grand penseur peut être accusé d'un léger travers, c'est précisément du désir trop marqué qu'on sent toujours chez lui d'éviter l'air pédantesque et de paraître agréable aux gens du monde. On connaît le mot de Voltaire au prince de Ligne sur l'Esprit des lois : « C'est de l'esprit sur les lois' ». Il n'est injustifié qu'à demi. Mais le sourire même de Montesquieu et ses traits spirituels complètent, si l'on veut, ils n'altèrent pas sa physionomie de personnage classé, posé, en province d'abord, puis à Paris, par sa naissance, ses propriétés, son titre, ses fonctions, dans les hautes sphères de la société.

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Voltaire, lui, c'est d'abord un gamin de Paris, et c'est un journaliste. Certes, c'est un journaliste comme on en voit peu, poète, auteur dramatique, historien admirablement informé et curieux de toutes les manifestations de l'esprit humain avant tout pourtant il est fait pour la lutte, non pas même pour la grande guerre, celle que se livraient par exemple les polémistes religieux du XVIIe siècle, mais pour l'incessante escarmouche. La moitié de son œuvre

1. Voir plus loin, page 356.

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