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Il y a peut-être quelque surcharge dans le récit qu'on vient de lire; et Mme Texier eut sans doute moins de part à l'affaire que ne le dit Voltaire. Ce mariage d'un roi de France avec une femme plus âgée que lui, et qui, de son

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SIGNATURE DES ARTICLES DU CONTRAT DE MARIAGE DU ROI, 19 JUILLET 1725.

(D'après une gravure anonyme; Bibliothèque nationale.)

aveu même, se fût trouvée heureuse, la veille du jour où elle fut informée de sa bonne fortune, d'épouser l'un de ceux qu'elle allait avoir pour principaux officiers de sa cour, n'en est pas moins assez surprenant.

Stanislas Leczinski lui-même ne le dissimula pas, lorsque, par une lettre

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particulière du duc de Bourbon, il apprit le bonheur inespéré qui lui arrivait. Il passa à l'instant dans la chambre où étaient sa femme et sa fille et dit en

entrant:

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Mettons-nous à genoux et remercions Dieu.

-Ah! mon père, s'écria la jeune princesse, vous êtes rappelé au trône de Pologne.

- Ah! ma fille, répondit Stanislas, le ciel nous est bien plus favorable : vous êtes reine de France'.

Celui qui parut le moins surpris et le plus indifférent à cette extraordinaire aventure, ce fut Louis XV lui-même. Suivant le mot de Voltaire, il épousa la fille de Stanislas Leczinski « sans faire attention ni à elle, ni à son père ».

Toutefois, il semble avoir accueilli Marie Leczinska avec beaucoup de joie et avoir éprouvé pour elle une affection sincère.

Au reste, dès son arrivée, la jeune reine produisit sur tous la meilleure impression. Nous connaissons par le détail ce début de son séjour en France.

« Le 4 septembre (1725), dit Barbier, le roi alla avec toutes les princesses

1. DUCLOS, Mémoires : Régence du duc d'Orléans.

dans son carrosse au-devant de la reine, au-dessus de Moret. La reine fit attendre quelque temps, parce que son carrosse s'était embourbé, de manière qu'il fallut y mettre plus de trente chevaux pour le retirer. Les chemins sont épouvantables, et toute la maison du roi n'était que boue.

« A la rencontre des deux carrosses, que le roi attendait avec impatience, on jeta par terre un tapis et un carreau. La reine descendit, voulut se mettre à genoux; le roi, qui était à terre, ne lui laissa faire que la façon; il la releva et l'embrassa des deux côtés avec une vivacité que l'on ne lui avait jamais vue. Il monta dans le carrosse de la reine avec Mme la duchesse d'Orléans; il la conduisit à Moret, où il resta une demi-heure à causer avec elle avec toute la politesse possible; ensuite le roi s'en revint à Fontainebleau.

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« Le mercredi 5,

la reine arriva sur les

GRAVURE ALLEGORIQUE REPRÉSENTANT LA RÉUNION
DE LA LORRAINE A LA FRANCE (1737).
(Bibliothèque nationale.)

dix heures du matin. Elle monta droit à son cabinet, à sa toilette. On fut trois heures à l'accommoder; toute la cour, princes, princesses, y vinrent. La reine reçut toute sa cour avec beaucoup de grâce, en sorte que tout le monde en est fort content. Le roi envoya plusieurs fois savoir quand la toilette serait finie.

« On alla à la chapelle à une heure, la reine ayant son manteau royal et une couronne de diamants sur la tête, ayant pour écuyers M. le duc d'Orléans et Monsieur le Duc, et la queue de son manteau portée par trois ou quatre princesses du sang. »>

Pendant la cérémonie, la reine, qui avait mis un peu de rouge, juste de quoi ne pas paraître pâle, s'évanouit un petit instant. Mais elle se reprit vite et, après le mariage, le roi ne cessa pas de lui témoigner le plus vif empressement.

Rassurée sans doute par cet accueil charmant, Marie Leczinska fit, comme dit Voltaire', très bonne mine, « quoique sa mine ne soit point jolie ». Tout le monde, ajoute-t-il, est enchanté ici de ses vertus et de sa politesse. La première chose qu'elle a faite a été de distribuer aux princesses et aux dames du palais toutes les bagatelles magnifiques qu'on appelle sa corbeille : cela consistait en bijoux de toute espèce, hors des diamants. Quand elle vit la cassette où tout cela était arrangé :

Voilà, dit-elle, la première fois de ma vie que j'aie pu faire des présents. » La suite ne démentit pas la bonne opinion qu'on avait prise, dès le début, de Marie Leczinska. Elle était pieuse et bonne, très soucieuse de l'étiquette, mais très appliquée à faire plaisir à ceux qu'elle estimait, - et même à telle personne qu'elle n'estimait pas, pour peu qu'elle crût par là complaire au

roi son mari. Avec cela, quelque goût pour les arts, mais sans grand talent personnel, un certain esprit d'à-propos, mais sans beaucoup de vivacité; en somme, plus de vertus que d'attraits, et tout ce qu'il fallait pour lui assurer jusqu'à la fin le respect du roi plutôt que pour retenir son amour.

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A vrai dire, de ce respect, Louis XV ne se départit jamais, non plus que de son affection, sinon très vive, du moins assez marquée, pour ses filles.

Elles étaient quatre qui ne se marièrent pas, et dont la dernière, Madame Louise, petite et contrefaite, mais d'une âme noble et élevée, finit par se faire carmélite.

Madame Sophie, celle qui, par l'âge, venait immédiatement avant elle, était fort laide.

STATUE DE MARIE LECZINSKA.

(Par Guillaume Coustou. Musée du Louvre.)

1. Correspondance, 17 septembre 1725.

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