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était toute malade; mais qu'elle savait ce qu'elle devait au public, et qu'elle mourrait plutôt sur le théâtre que de lui manquer.

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Qui fait le rôle de Mauni? a-t-elle demandé.

<<< Ensuite, sur la réponse que c'était Dubois, elle s'est trouvée mal, et est retournée se mettre au lit.

<< Grand embarras dans le reste de la troupe de la chambre. L'heure s'approche. On consulte trouve là par hasard. On convient de donner le Siège de Calais, et de glisser cette annonce à la Cependant la nou

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velle avait transpiré et faisait l'entretien du parterre. On s'arrête à la vue du complimenteur, homme de mine piètre et mesquine, le sieur Bouret; il annonce sa mission, et déclare que la défection de quelques acteurs les met dans le cas de substituer le Joueur au Siège de Calais.

«Al'instant des huées, des sifflets; le mot de Calais se répète de tous les endroits de la salle; on crie:

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point de gentilhomme M. de Biron, qui se Joueur, au lieu du suite du compliment.

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dire qu'elle se contienne et laisse le public en liberté, qui ne cessait de répéter: la Clairon à l'Hôpital! etc.

M. de Biron, consulté de nouveau par les comédiens, leur conseille d'essayer toujours d'entrer en scène; ce qui ayant été exécuté par Préville et Mme Belle cour, les cris ont redoublé.

« Les acteurs, ne pouvant se faire entendre, rentrèrent dans la coulisse; et, le spectacle ne pouvant avoir lieu, un sergent vint haranguer le parterre de

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DESSIN DE LA DÉCORATION POUR LES TRAGÉDIES DU COLLÈGE DE LOUIS-LE-GRAND (AOUT 1732.

(D'après Le Maire.)

la part de M. le maréchal de Biron il annonça qu'on allait rendre l'argent ou les billets.

« Préville et l'autre semainier, le soir même, ont été rendre compte de l'aventure à M. le lieutenant général de police, qui leur a témoigné combien il était sensible à cela, mais qu'il ne pouvait se dispenser d'exercer ses chàti

ments.

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16 avril. Fermentation étonnante dans Paris au sujet de cette histoire; grand comité des gentilshommes de la chambre, tenu chez M. de Sartines. Le résultat est d'envoyer les coupables au For-l'Évêque. Brizard et Dauberval y vont aujourd'hui; Molé et Le Kain sont allés faire retraite à une certaine distance et ont écrit une belle lettre, où ils rendent compte de leur conduite. et déclarent que l'honneur ne leur permet pas de jouer avec un fripon.

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« Mlle Clairon reçoit des visites de la cour et de la ville, au sujet de cet événement: elle ne peut digérer l'affront qu'on a voulu lui faire de la mettre en face de Dubois. On rapporte à ce sujet qu'ayant interpellé quelques officiers qui faisaient cercle chez elle, et leur ayant demandé si dans leur corps ils n'en useraient pas de même; si quelqu'un d'eux avait fait une bassesse, ce qu'ils feraient; s'ils ne le chasseraient pas, et si, par extraordinaire, la cour voulait les forcer à garder un infàme, s'ils ne quitteraient pas tous:

- Sans doute, mademoiselle, reprend l'un d'eux avec vivacité; mais ce ne serait pas un jour de siège.

« 18 avril. - Mlle Clairon est au For-l'Évêque depuis avant-hier.

« Les comédiens ont repris hier leur service: comme on craignait que la scène ne fût tumultueuse, on n'a fait afficher que fort tard; en sorte qu'il y a cu très peu de monde, comme on le désirait, et des gens gagés qui ont fort applaudi un assez maigre compliment qu'est venu débiter Bellecour. M. de Sartines, à qui on l'attribue, était présent au spectacle. Ils ont joué ensuite

le Chevalier à la mode et le Babillard, et tout s'est passé fort tranquillement. Le sieur Bellecour, en rentrant dans les foyers après son débit, a paru pénétré de la scène humiliante qu'il venait de jouer, et a déclaré qu'il fallait avoir autant d'attachement pour sa compagnie qu'il en avait, pour s'être prêté à un pareil rôle.

« Molé et Le Kain se sont rendus du lieu de leur retraite au For-l'Évêque. Molé et Brizard sont sortis aujourd'hui de leur prison, pour jouer dans le Glorieux et Zénéide.

« 20 avril.

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« On ne peut attribuer qu'à une cabale gagée par eux les applaudissements multipliés avec lesquels ils ont été reçus. Leur insolence s'en est accrue, et l'on ne peut rendre l'indignation qu'a causée aux gens comme il faut ce contraste révoltant.

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Quant à Mlle Clairon, elle convertit en triomphe une disgrâce qui devrait l'humilier. Elle a été conduite au For-l'Évêque par Mme de Sauvigny, l'in

MADEMOISELLE DUCLOS.

(D'après une estampe anonyme. Bibliothèque nationale.)

tendante de Paris; et l'exempt, n'ayant point voulu lâcher sa proie, est monté dans le vis-à-vis de cette dame, qui a pris Mlle Clairon sur ses genoux, tandis que l'alguazil s'est assis sur le devant.

« On ne peut omettre une réponse qu'il a faite à Mlle Clairon, en lui signifiant l'ordre de sa détention. Cette héroïne a reçu la nouvelle avec une noblesse digne d'elle; elle a déclaré qu'elle était soumise aux ordres du roi; que tout en elle était à la disposition de Sa Majesté; que ses biens, sa personne, sa vie en dépendaient;

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mais que son honneur resterait intact, et que le roi lui-même

n'y pouvait rien.

-Vous avez bien

raison, mademoiselle, a-t-il répliqué; où il

n'y a rien, le roi perd

ses droits. >>

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Les choses fini

rent par s'arranger à la satisfaction de tout le monde. Mais l'affaire avait été chaude. A l'émotion qu'elle excita, on peut juger de la place que les comédiens tenaient dans les préoccupations du public. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de les voir choyés, fêtés, recherchés par les particuliers. Encore voulaient-ils l'être d'une certaine façon : ils prétendaient qu'on les invitât pour eux-mêmes, comme des hommes du monde, non point en amuseurs. L'un d'eux, Préville, raconte à ce sujet une plaisante anecdote, dont il fut le héros avec son camarade Bellecour.

ADRIENNE LECOUVREUR (1730). (D'après une gravure du temps.)

<«< Deux parvenus, dit-il, qui n'avaient de remarquable que leur fortune et leur insolence, nous invitèrent un jour l'un et l'autre à venir souper à Neuilly, où ils avaient une maison charmante. Nous acceptàmes, sans trop savoir pourquoi.

« On arrêta le jour : ces messieurs devaient nous prendre dans leur voiture, à la sortie du spectacle.

« J'attendais tranquillement Bellecour dans le foyer, quand ils y entrèrent.

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