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obtenir une grâce de la cour que ne l'étaient tous nos jeunes seigneurs pour s'assurer d'une place à la première représentation de Figaro; plus d'une duchesse s'est estimée, ce jour-là, trop heureuse de trouver dans les balcons, où les femmes comme il faut ne se placent guère, un méchant petit

tabouret.... >>

La pièce n'était pas d'ailleurs de celles qui déçoivent l'attente du public. La Folle Journée (c'est le sous-titre de la comédie) eut, comme on dit, un succès fou, et si le roi regretta d'avoir laissé surprendre son consentement, ce fut quand il était trop tard pour qu'il osât revenir sur sa décision. « Il faudrait détruire la Bastille », avait-il dit. Il avait bien dit: le Mariage représenté, la Bastille ne subsista plus longtemps.

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En même temps que la comédie poursuivait ainsi son intéressante évolution, la tragédie, elle aussi, se transformait, cherchait des effets nouveaux, devenait, tout en restant fidèle en apparence à la poétique de Racine, plus dramatique, plus colorée, plus vivante.

Nul plus que Voltaire ne contribua à ce mouvement. Il avait séjourné près de trois ans en Angleterre, et il y avait été frappé des puissants effets d'illusion ou de terreur que Shakespeare, en dépit de grossièretés qu'il lui a luimême tant et si souvent reprochées, produisait à l'aide de certains procédés scéniques. Il chercha à les reproduire en France, et si timides

PORTRAIT DE GLUCK.

D'apres une gravure ancienne.)

et parfois si inopportunes que soient ses imitations, elles n'en donnèrent pas moins au public l'idée d'un drame plus varié et, à certains égards, plus intéressant que la pure tragédie classique.

Ainsi s'expliquent, malgré les faiblesses de la langue poétique de Voltaire, malgré sa psychologie superficielle, le succès qui accueillit presque toutes ses tragédies et le plaisir que nous éprouvons encore à les lire et parfois à les voir représenter.

Mais à cette tragédie nouvelle la mise en scène était plus nécessaire qu'à

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l'ancienne. Et pour que cette mise en scène se pùt déployer, pour qu'on pùt voir sur le théâtre évoluer les sénateurs de Brutus, se dresser l'ombre de Sémiramis, se dérouler le cortège de Tancrède, encore fallait-il que la scène elle-même fùt assez spacieuse. Or, on sait que, suivant une habitude qui datait des origines mêmes du théâtre régulier en France, elle était encombrée à droite et à gauche par des spectateurs qui payaient cher ces places de choix.

A la première représentation de Sémiramis précisément, il fallut qu'un homme de service ou que quelque plaisant, au moment le plus pathétique de la pièce, s'écriat : « Place à l'ombre! » pour que les seigneurs rangés sur la scène voulussent bien s'écarter et laisser le devant du théâtre au fantôme de Ninus. «La principale actrice de Londres, qui était présente à ce spectacle, dit Voltaire lui-même dans la préface de sa pièce, ne revenait pas de son étonnement: elle

ne pouvait concevoir comment il y avait des hommes assez ennemis de leur plaisir pour gàter ainsi le spectacle sans en jouir.

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Le scandale de Sémiramis cut cependant des conséquences avantageuses. Non pas que les comédiens aient consenti d'eux-mêmes à supprimer les places sur la scène : elles étaient pour eux d'un trop beau profit. Mais un des hommes les plus connus de la société élégante du XVIIIe siècle pour sa générosité, en même temps que pour la vivacité et parfois la bizarrerie de son esprit, le

MARIVAUX.

(D'après le portrait peint par Vanloo. Comédie-Française.)

comte de Lauraguais, leur offrit une indemnité de douze mille livres, moyennant laquelle les banquettes qui encombraient le théâtre disparurent définitivement.

((

L'illusion, dit un des témoins de cette petite révolution, est maintenant entière on ne voit plus César prêt à déposséder un fat assis contre lui, ni Mithridate expirer au milieu des gens de notre connaissance, ni Camille tomber morte entre les bras d'auteurs comiques connus, Marivaux ou de Saint-Foix, qui viennent se prêter à l'assassinat de cette Romaine par la main de son frère Horace. >>

Une autre réforme devait naturellement accompagner celle de la mise en

scène.

Sous Louis XIV et sous la Régence, c'est en habit de ville que jouaient les acteurs tragiques. Les contemporains de Louis XV ne paraissent guère avoir d'abord été plus exigeants en matière d'exactitude. Écoutons ici M. Germain Bapst, le plus savant des guides en pareille matière.

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BUSTE DE ROTROL.

<< Adrienne Lecouvreur, dit-il', était déjà à l'apogée de son talent lorsqu'elle introduisit un pre mier changement dans les habitudes de la ComédieFrançaise. Au lieu de mettre des robes de ville

(Par Caffieri. Comédie-Française.)

pour jouer les héroïnes de l'antiquité, elle prit l'habillement de cour, plus ornementé, plus brillant, plus difficile à porter. Elle joua pour la première fois, suivant ce principe, le Tiridate de Campistron en 1727, avec une robe à longue queue traînante, à paniers d'une largeur extraordinaire, qui, étant donnée la présence des spectateurs sur la scène, devait être d'une incommodité excessive.

« Les hommes ont pour toutes les pièces de l'antiquité la cuirasse à tonnelets en toile d'argent ou d'acier avec des brodequins à l'antique, de larges manches et des manchettes bouffantes; comme coiffure, ils joignent à cet attirail de

César d'occasion le petit chapeau alors à la mode, qu'ils recouvrent d'un panache presque aussi haut qu'eux. Avec ce costume on joue Abner ou Auguste jusqu'à l'époque de Talma. Si, au lieu de représenter des empereurs romains ou des héros de la fable, les personnages de tragédie appartenaient à une période de l'histoire plus moderne, on les habillait, comme les femmes, à la mode du jour. Ainsi apparaissait Venceslas en costume de prince, avec un cordon bleu en sautoir....

« Les premières pièces de Voltaire curent une mise en scène ridicule. Zaïre se jouait avec des habits de Polonais ou des dolmans et des pelisses de hussards.

« Enfin l'Orphelin de la Chine, de cet illustre auteur, fut pour la ComédieFrançaise l'occasion d'une tentative heureuse. Voltaire abandonna sa part d'auteur pour subvenir aux frais des décors et des costumes. Mlle Clairon délaissa

1. Essai sur l'histoire du théâtre, chap. vI.

les paniers, les manches et autres ornements, tels que les gants, que Grecques et Romaines, héros et héroïnes, avaient toujours portés. La grande tragédienne parut dans un costume chinois, ou du moins du genre de ceux dont Boucher ou Le Prince habillaient les Chinois des tapisseries des Gobelins ou ceux des paravents de Mme de Pompadour. Il se composait d'une double jupe d'étoffe blanche, d'un corset vert orné de cartisane et de réseaux et glands d'or; la robe ou polonaise en gaze couleur feu et or doublée de taffetas feu. Le Kain en Gengis-Khan avait un habit de lampas cramoisi et or, un manteau doublé en peluche de soie tigrée;

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sa coiffure se composait de onze branches de plume bailloque très longue, avec une aigrette rouge au centre, et un sabre à fourreau de velours cra

moisi pendant à son

SCENE D ALCESTE ».

(D'après une gravure du temps.)

côté. Chinois et Chinoises de fantaisie, soit! mais pour les spectateurs c'étaient de véritables Chinois. >>

Depuis cette époque, Mlle Clairon et son camarade Le Kain ne cessèrent plus de lutter pour l'exactitude du costume aussi bien que pour le naturel du débit tragique. Toutefois, s'il faut en croire Marmontel, ce n'est ni à ces acteurs, ni à Voltaire, leur inspirateur ordinaire, qu'il faudrait faire honneur de ce double progrès. Le récit de Marmontel doit d'ailleurs être un peu arrangé, et l'influence de ses conseils a peut-être été moins grande qu'il ne dit. Cependant, comme ce récit doit contenir, dans le détail, beaucoup de vérité, on ne nous saura pas mauvais gré de le citer. Il y avait longtemps, dit-il, que, sur la manière de déclamer les vers

((

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