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époque un Marivaux savait faire entrer de vérité dans les personnages si délicats et, en apparence, si conventionnels des pièces qu'il destinait à la comédie italienne, et vous aurez, en littérature, l'indice d'un goût tout à fait analogue à celui que révèlent, que traduisent les tableaux de Watteau. Comme celle de Marivaux d'ailleurs, la réputation de Watteau a longtemps souffert de ce reproche qu'il était d'usage de leur adresser à l'un et à l'autre on les accusait de manquer de naturel, parce qu'ils sont élégants et subtils. La grâce de leur talent faisait tort à ce qu'il y a d'aisé dans leur génie, d'exact et de profond dans leur observation, de solide dans leur manière. On en est revenu aujourd'hui, et si nous péchions à notre tour, ce serait peut-être par un excès dans l'admiration, équitable compensation, après tout, des dénigrements injustes de nos prédécesseurs.

Quoi qu'il en soit, on peut dire que l'influence de Watteau s'est fait sentir sur le siècle tout entier, et tout d'abord naturellement sur les artistes qui, par le temps, l'ont suivi de plus près. Tel est le charmant Pater, né, comme Watteau, à Valenciennes, et qui reçut ses leçons. Tel encore le spirituel et délicat Lancret. Quant à Boucher, qui fut lui-même le maître du gracieux mais trop libre Fragonard, on voit bien sans doute quel lien unit son école à celle de Watteau; mais combien le goût qu'il représente, et qui est vraiment celui de l'époque Pompadour, est devenu moins pur et moins sincère que n'était celui du grand maître du début du siècle! Avec ses Amours joufflus, ses pastorales voluptueuses, ses travestissements mythologiques, Boucher a encore la grâce, mais le naturel non pas.

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Il n'y prétend pas d'ailleurs, non plus qu'au sublime. Et son premier mérite, c'est, sans doute, de ne pas s'être fait illusion sur son véritable talent, si l'on en croit du moins cette déclaration que lui prête spirituellement le poète Piron :

Je ne recherche, pour tout dire,

Qu'élégance, grâce, beauté,

En un mot que ce qui respire

Ou gentillesse ou volupté....

Tel est le genre accrédité

Où le goût régnant me condamne :

J'ai des enfants et des besoins;

Plaire est mon but, et l'on court moins,

A Michel-Ange qu'à l'Albane.

Le calcul n'était pas mauvais, puisque Boucher ne cessa de jouir de la faveur de Mme de Pompadour, qui le fit appeler à la charge d'inspecteur des

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Gobelins, et qu'après la mort même de sa puissante protectrice il succéda encore à Carle Vanloo dans la charge si recherchée de premier peintre du roi.

Mais dès lors, une réaction commençait à se produire chez les critiques et

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dans le public contre un art si fade et si affecté. « Je ne sais, écrivait Diderot dans ses Salons, en parlant de Boucher, je ne sais que dire de cet homme-ci. La dégradation du goût, de la couleur, de la composition, des caractères, a suivi la dépravation des mœurs....

« J'ose dire que cet homme ne sait vraiment ce que c'est que la gràce, j'ose dire qu'il n'a jamais connu la vérité, j'ose dire que les idées de délicatesse, d'honnêteté, d'innocence, de simplicité, lui sont devenues presque étrangères, j'ose dire

PANNEAU DÉCORATIF.

MARS.

-LES MOIS:

(Bibliothèque nationale.)

qu'il n'a pas vu un instant la nature, du moins. celle qui est faite pour intéresser mon âme, la vôtre. Quand il fait des enfants, il les groupe bien: mais qu'ils restent à folâtrer dans les nuages. Dans toute cette innombrable famille, vous n'en trouverez pas un à employer aux actions réelles de la vie, à étudier sa leçon, à lire, à écrire, à tiller du chanvre. »

La représentation de la vie telle qu'elle est, voilà bien en effet ce que la jeune génération réclame avidement. A ce besoin nouveau, le drame de Diderot et de ses disciples, qui a la prétention de serrer la réalité de plus près que la tragédie et la comédie classiques, est en train de donner satisfaction.

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Mais ce drame n'est pas seulement plus vrai (du moins on l'assure) que l'ancien théâtre; il est moral aussi il se propose d'enseigner et même de prêcher la vertu, oh! une vertu qui n'a rien d'austère, qui, proclamant la bonté de la nature, ne cherche jamais à la refréner, et qui est toujours prête à trouver dans la « sensibilité » une excuse à tous les égarements de la passion.

Or, à ce besoin de naturel et de moralité un peintre se charge de donner satisfaction: c'est Greuze. A notre goût, sans doute, son « naturel »> est bien théâtral et sa moralité bien puérile, quand elle n'est pas bien scabreuse, comme il arrive dans plusieurs de ses tableaux d'une prétendue naïveté. Mais le public qui applaudissait aux tirades humanitaires du Père de famille de Diderot et du Philosophe sans le savoir de Sedaine, n'était pas sensible au défaut qui nous choque tant aujourd'hui. Il est tel tableau de Greuze, l'Accordée de village par exemple, dont Diderot rend compte presque avec autant d'émotion que d'enthousiasme. Toute

sa génération partage d'ailleurs ses sentiments, et Greuze lui-même s'y associe.

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