il le disait encore, il avait, avant toute réforme de la législation, et par l'expérience même, montré ce que peut la liberté en fait de commerce et d'agriculture.

« Il y avait, dit-il', dans le plus bel aspect de l'Europe après Constantinople (entendez: auprès du lac de Genève), mais dans le sol le plus ingrat et le plus malsain, un petit hameau habité par quarante malheureux dévorés d'écrouelles. et de pauvreté. Un homme, avec un bien honnête, acheta ce territoire affreux, exprès pour le changer. Il commença par faire dessécher des marais empestés; il défricha, il fit venir des artistes étrangers de toute espèce, et surtout des horlogers, qui ne connurent ni maîtrise, ni jurande, ni compagnonnage, mais qui travaillèrent avec une industrie

SUCRIER EN PATE TENDRE
DE MENNECY.

(Collection de M. le vicomte
de Lestrange.)

PICHET EN PATE TENDRE
DE MENNECY.

(Coll. de M. le vicomte de Lestrange.)

merveilleuse, et qui furent en état de donner des ou-
vrages finis à un tiers meilleur marché qu'on ne les vend
à Paris.

« M. le duc de Choiseul les protégea avec cette
noblesse et cette grandeur qui ont donné tant d'éclat à
toute sa conduite.

« M. d'Ogny les soutint par des bontés sans lesquelles ils étaient perdus.

M. Turgot, voyant en eux des étrangers devenus Français et des gens de bien devenus utiles, leur a donné toutes les facilités qui se concilient avec les lois.

<< Enfin, en peu d'années un repaire de quarante sauvages est devenu une petite ville opulente habitée par douze cents personnes utiles, par des physiciens. de pratique, par des sages dont l'esprit occupe les

mains. Si on les avait assujettis aux lois ridicules inventées pour opprimer les arts, ce lieu serait encore un désert infect, habité par les ours des Alpes et du mont Jura. >>

En même temps qu'il travaillait à enrichir les paysans, Voltaire, par ses ouvrages, contribuait à relever leur situation aux yeux de ses contemporains. Combien de fois a-t-il protesté contre les

1. Correspondance, à M. l'abbé Baudeau, 1775.

POT EN PATE TENDRE DE MENNECY.
(Collection de M. le vicomte de Lestrange.)

préjugés qui les avilissaient! Le théâtre même lui servit pour faire entendre la vérité sur ce point. Dans sa comédie de Nanine ou le Préjugé raincu, il ose montrer un vieux paysan qui n'est point ridicule, qui est même respectable et que la critique du temps a plus d'une fois comparé au Lusignan de Zaïre.

L'histoire du théâtre au XVIIIe siècle fournirait d'autres preuves encore du progrès de l'opinion publique sur ce point. La Partie de chasse d'Henri IV, par exemple, la célèbre comédie de Collé, met en scène des paysans qui sont des modèles de bon sens, de délicatesse et de patriotisme.

Aussi ne sommes-nous pas trop étonnés de certaines anecdotes, que nous eussions trouvées invraisemblables à l'époque où La Bruyère rédigeait son attristante et célèbre peinture des paysans français, mais qui nous permettent d'autant mieux de juger du chemin parcouru depuis. Bornons-nous à en emprunter une, mais très caractéristique, à Mme de Genlis.

« C'était à la campagne : un militaire d'un grade supérieur exigeait d'un fermier un travail qu'il n'avait pas le droit de lui prescrire; le fermier refusant, le militaire lui dit :

Il faut faire ce que je désire ou je vous donnerai vingt coups de bâton. Monsieur, répondit le fermier d'un ton calme, je ne vous le conseille pas vous n'auriez pas le temps de les compter. »>

Chapitre IV

LES BEAUX-ARTS

ET LE THÉATRE

DEDIE A

MONSIEUR Commandeur des ordres du Roi, de ses Batimenta, Jardins, Arte,

LE MARQUIS DE MARIGNY
Duveicar o Ordonnateur Conember
Academies et Manuja turca Poyala

Ε

N 1721, mourait le peintre Watteau. La

même année naissait celle qui devait être la marquise de Pompadour. Watteau et Pompadour, c'est, en deux noms, le symbole de toute l'histoire du goût et de l'art au XVIII° siècle.

Cet art, on peut s'y plaire ou le déprécier, et il a été l'objet, en sens divers, de bien des déclamations: on ne saurait en nier la grâce et l'originalité.

L'originalité! c'est peut-être, avant tous les autres, le caractère qu'il faut reconnaître à l'œuvre de Watteau. Quand on songe qu'il est né en 1684 et mort prématurément au début du règne de Louis XV, qu'ainsi c'est au contact de l'art Louis XIV qu'il s'est formé, et que, les maîtres qu'il a entendu admirer autour de lui, les Lebrun et les Mignard, ce sont ceux peut-être dont il diffère le plus, on est confondu du changement qui s'est tout d'un coup, et par le génie d'un seul artiste, produit dans l'art français.

GRAND SEIGNEUR EN HABIT DE VILLE. (D'après une eau-forte de Watteau.)

A la vérité, ce changement n'est pas isolé : songez à tout ce qu'à la même