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beaucoup. Mais je demande ce que la récolte donnera aux pauvres. Les blés sontils à eux? La récolte appartient aux riches fermiers, qui eux-mêmes, dès qu'ils recueillent, sont accablés de demandes de leurs maîtres, de leurs créanciers, des receveurs de deniers royaux, qui n'ont suspendu leurs poursuites que pour les reprendre avec plus de dureté....

« Un conseiller d'État qui vient de faire un séjour de deux mois dans le Perche, où sont situées ses terres, m'a dit n'y avoir vu qu'un tas de coquins qui

ne veulent point travailler, et que l'on perd en leur

LE NÉGLIGÉ OU LA TOILETTE DU MATIN. (Reproduction d'une gravure d'après Chardin.

faisant l'aumône. Il a persuadé tout le monde au ministère que c'est une habitude de paresse qui corrompt les mœurs des provinces. C'est ainsi que j'ai entendu accuser de pauvres enfants, sur lesquels opérait un chirurgien, d'avoir la mauvaise habitude d'être criards.

D'après ses conseils, on va faire travailler aux routes, non plus par corvées, mais moyennant salaire; il est vrai qu'en même temps l'on va presser le recouvrement des tailles, afin de reprendre d'une main ce que l'on donne de l'autre. Tels sont ceux qui ont part à la direction des affaires : durs, tyranniques, heureux de leur sort, jugeant celui des autres par le leur propre; vrais juges de Tournelle, habitués à voir de sang-froid disloquer les membres des suppliciés....

« Le duc de la Rochefoucauld a dit au roi que Sa Majesté ignorait peut-être en quel état étaient ses provinces; que cela passait toute idée; que tout était fardé ici; que le ministère ne travaillait qu'à déguiser le mal et à feindre l'abondance dans Paris; mais que, dans les provinces, où il y avait tant de détresse l'an dernier,

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on était au double misérable cette année, et que celles qui étaient le mieux l'an passé étaient à présent à l'égal des autres. A cela Sa Majesté a répondu qu'elle le savait fort bien, qu'elle savait même que son royaume avait diminué d'un sixième depuis un an. Le cardinal en est aussi convenu; et comme quelqu'un lui parlait de la possibilité d'une guerre étrangère, Son Éminence répondit, avec son ton doucereux, que ce serait impossible, vu que l'on manquait d'hommes en France.

« Il est positif qu'il est mort plus de Français de misère depuis deux ans que

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<< Comme on plaisante ici sur les choses les plus sérieuses, il court une épigramme sur le cardinal, dont je n'ai retenu que le trait. La France est un malade que, depuis cent ans, trois médecins de rouge vêtus ont successivement traité. Le premier (Richelieu) l'a saigné, le second (Mazarin) l'a purgé, et le troisième (Fleury) l'a mis à la diète. »

En face de ces doléances, il ne serait pas, il est vrai, bien difficile de placer des tableaux plus riants. Marmontel nous a laissé de la maison de ses parents la description la plus charmante. On sait qu'ils habitaient à Bort, très petite ville de notre département actuel de la Corrèze : c'était un lieu, dit l'écrivain, « où l'inégalité de condition et de fortune ne se faisait presque pas sentir; la médiocrité y tenait lieu de richesse ».

Les Marmontel peuvent donc nous offrir le type d'une famille de paysans aisés vers le milieu du XVIIe siècle. Cette famille était d'ailleurs assez considérable et fort unie: presque sous le même toit vivaient, outre le père, la mère et les enfants, les deux grand'mères, la mère, une sœur, et trois tantes de Mme Marmontel.

(( C'était, dit Marmontel, au milieu de ces femmes et d'un essaim d'enfants que mon père se trouvait seul avec très peu de bien, tout cela subsistait. L'ordre, l'économie, le travail, un petit commerce, et surtout la frugalité, nous entretenaient dans l'aisance. Le petit jardin produisait presque assez de légumes pour les besoins de la maison; l'enclos nous donnait des fruits, et nos coings, nos pommes, nos poires, confits au miel de nos abeilles, étaient, durant l'hiver, pour les enfants et pour les bonnes vieilles, les déjeuners les plus exquis.

« Le troupeau de la bergerie de Saint-Thomas habillait de sa laine tantôt les femmes et tantôt les enfants; mes tantes la filaient; elles filaient aussi le chanvre du champ qui nous donnait du linge; et les soirées où, à la lueur d'une lampe qu'alimentait l'huile de nos noyers, la jeunesse du voisinage venait teiller avec nous ce beau chanvre, formaient un tableau ravis

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sant.

«La récolte des grains. de la petite métairie assurait notre subsistance; la cire et le miel des abeilles, que l'une de mes tantes cultivait avec soin, étaient un revenu qui coûtait peu de frais; l'huile, exprimée de nos noix encore fraîches, avait une saveur, une odeur que nous préférions au goût et au parfum de celle de l'olive. Nos galettes de sarrasin, humectées, toutes brûlantes, de ce

LE RETOUR DU MARCHÉ.

(D'après Moreau le Jeune. Recueil des Chansons de M. de Laborde.)

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