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PLATEAU DE SUCRIER

EN PORCELAINE TENDRE DE MENNECY.

(Collection de M. Guérin.)

aimables, je jouis moins de leur com-
merce que je n'aurais voulu. Un fatal
jeu de dés, dont la fureur les possédait,
noircissait leur esprit et absorbait leur
âme. J'avais tous les jours le chagrin
d'en voir quelqu'un navré de la perte
qu'il avait faite. Ils semblaient ne dîner
et ne souper ensemble que pour
s'entr'égorger au sortir de table; et cette
àpre cupidité, mêlée aux jouissances et
aux affections
sociales, était

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pour moi quel

que chose de

monstrueux.

« Quelques maisons de commerçants, où l'on ne jouait point, étaient celles que je fréquentais le plus et qui me convenaient le mieux. Mais aucune n'avait pour moi autant d'attrait que celle de M. Ansely. Ce négociant était un philosophe anglais, d'un caractère vénérable. Son fils, quoique bien jeune encore, annonçait un homme excellent; et ses deux filles, sans être belles, avaient un charme naturel dans l'esprit et dans les manières qui m'engageait autant et plus que n'eût fait la beauté. >>>

Quand le moment fut venu de quitter Bordeaux et de revenir à Paris, M. Gaulard proposa à Marmontel, au lieu de refaire la même route qu'à leur voyage d'arrivée, de partir par Toulouse, Montpellier, Nîmes, Avignon, Aix, Marseille et Toulon, puis, de là, de gagner Genève, afin d'aller rendre visite à Voltaire. dont ils étaient connus l'un et l'autre. Marmontel accepta, et il nous a laissé le récit des réceptions qui leur furent ménagées à tous deux le long de la

route.

A Toulouse, c'est un ami intime de la famille Gaulard qui les reçoit, un M. de Saint-Amand,

RÉGULATEUR.

(Collection de M. le comte d'Haussonville.)

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<< homme de l'ancien temps, dit Marmontel, pour la franchise et pour la politesse ».

A Béziers, Marmontel trouve un ancien militaire de ses amis, M. de la Sablière, qui, après avoir joui longtemps de la vie de Paris, où il avait été l'un des intimes du fermier général La Popelinière, était venu achever de vieillir dans sa ville natale, et y jouir d'une considération méritée par ses services. « Dans l'asile voluptueux qu'il s'était fait, il nous reçut, dit notre auteur, avec cette hilarité gasconne à laquelle contribuait l'aisance d'une fortune honnête, l'état d'une âme libre et calme, le goût de la lecture, un peu de la philosophie antique, et cette salubrité renommée de l'air qu'on respire à Béziers. »

A Nîmes, c'est un honnête savant, qui est tout heureux de faire à des étrangers de distinction les honneurs de son cabinet d'histoire naturelle.

UNE DAME DE LA BOURGEOISIE EN COSTUME DE VILLE.

(D'après une gravure de Gravelot.)

A Aix enfin, où ils se trouvèrent aux environs de la Fête-Dieu, Marmontel et son ami furent priés par le gouverneur de la province, fils du maréchal de Villars, d'assister au gala qu'il devait donner la veille de la fête.

«En y arrivant le soir, dit Marmontel', nous y trouvâmes toute la bonne compagnie de la ville, le bal, grand jeu et grand souper.

« Le lendemain, le mauvais temps nous priva du spectacle de la procession, qu'on nous avait si fort vantée. Nous en vîmes pourtant quelques échantillons : par exemple, un crocheteur ivre représentant la reine de Saba; un autre, le roi Salomon; trois autres, les rois mages; et tout cela crotté jusqu'aux oreilles. La reine de Saba n'en sautait pas moins en cadence, et le roi Salomon n'en bondissait pas moins derrière la reine de Saba. J'admirais le sérieux des Provençaux à ce spectacle, et nous eùmes grand soin d'imiter ce respect. J'eus pourtant quelquefois bien de la peine à ne pas rire. Je remarquai entre autres l'un de ces personnages qui, au bout d'une gaule, portait un chiffon blanc, et derrière lui trois autres polissons qui faisaient dans la rue des mouvements d'ivrognes toutes les fois que l'homme au chiffon blanc renversait son bâton. Je demandai quel était le mystère que cela nous représentait.

1. Mémoires, livre VII.

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Ne

voyez-vous pas, me répondit le notable à qui je parlais, que ce sont les trois mages, que l'étoile conduit, et qui s'égarent de leur route dès que l'étoile disparaît?

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« Je me contins. Rien n'ôte l'envie de rire comme la peur d'être lapidé. Le lendemain, M. de Villars donna un nouveau diner, auquel Marmontel et son ami ne purent faire autrement que d'assister. Il eut soin naturellement d'y

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inviter nombre de gens de mérite. Entre autres convives, l'écrivain trouva là l'un de ces magistrats qui s'acquirent, dans la société du XVIIIe siècle, la plus noble réputation par leur esprit libéral et réformateur, M. de Ripert-Monclar. Il eut plaisir à lui exprimer ses sentiments de haute estime.

Enfin, pressé de continuer sa route sur Lyon, puis vers Genève, il prit congé de son hôte, et ne s'arrêta plus guère sur son chemin.

On peut regretter cette précipitation. Avec des détails sur la société mondaine, Marmontel, l'homme des succès académiques, eût pu, s'il eût disposé de

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