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les arbres taillés en boule et les charmilles uniformes, pour les transformer en jardins anglais, nous annoncions notre désir de nous rapprocher, sur d'autres points, de la nature et de la raison.

«Ils ne voyaient pas que les fracs, remplaçant les amples et imposants. vêtements de l'ancienne cour, présageaient un penchant général pour l'égalité, et que, ne pouvant encore briller dans des assemblées comme des lords et des députés anglais, nous voulions au moins nous distinguer comme eux par la magnificence de nos cirques, par le luxe de nos parcs et par la rapidité de nos

coursiers.

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Cependant, rien n'était plus facile à deviner, et il suffisait d'entendre parler ceux qui les premiers nous avaient apporté ces modes pour comprendre que ce n'était pas à de si superficielles imitations qu'ils prétendaient borner leurs

Vœux. >>

Ainsi voici que de nouveau le spectacle qu'ils ont tous les jours sous les yeux entraîne les plus sensés des hommes du xvIII° siècle aux considérations les plus graves. Rien n'est insignifiant dans cette période de notre histoire, parce que tous ces récits d'événements petits et grands, tous ces tableaux des mœurs aristocratiques et populaires, sont pour nous, quoi que nous en ayons, dominés par l'idée toujours présente de la catastrophe qui devait engloutir cette société si brillante et si avide de plaisirs.

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Es mœurs des grandes villes de province ne présenteraient pas un tableau sensiblement différent de celles de la capitale Au XVIIIe siècle comme de nos jours, c'est toujours sur Paris que les habitants de ces cités ont les yeux fixés: aussi est-ce un peu Paris que l'on retrouve partout, un Paris de moindres proportions et de moindre élégance, sinon de moindres prétentions.

Là par conséquent où Paris lui-même semble encore appeler des modifications et des améliorations, on ne peut guère s'attendre à trouver la province en meilleur état. Ce Paris du XVIIIe siècle laissait fort à désirer sous le rapport de la salubrité; encore bien des progrès furent-ils accomplis pendant le cours du règne de Louis XV. On ne s'étonnera donc pas de trouver certaines villes de province plus mal organisées encore à ce point de vue, dans la première moitié du siècle, et plus dépourvues de tout moyen de prévenir ou de combattre efficacement une épidémie dangereuse.

COSTUME DE BOURGEOISE. (D'après une eau-forte de Watteau.)

C'est par cette insuffisance qu'on s'explique que la terrible peste qui désola Marseille et la Provence en 1720 ait pu faire tant de victimes et se prolonger pendant près de trois ans. On sait que l'évèque Belsunce trouva dans ce fléau

LA GOUVERNANTE. (D'après Chardin.)

l'occasion de faire preuve

d'un sang-froid admirable et d'un zèle vraiment épiscopal. Mais qu'on pense que la seule ville de Marseille perdit, par la maladie, plus de quatre-vingt mille personnes en trois ou quatre mois; que, même en donnant la liberté aux forçats, on n'arrivait plus à y assurer le service des ensevelissements; que l'on paya jusqu'à cent francs pour porter, sans autre cérémonie, un corps au cimetière ; et qu'enfin des tombereaux parcoururent la ville pour ramasser les cadavres qu'on avait jetés par les fenêtres et qu'on laissait pourrir dans la rue!

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Inutile d'ajouter qu'on vit se renouveler là toutes les indélicatesses, toutes les friponneries, toutes les làchetés et tous les crimes qui se sont toujours et partout produits dans ces grandes calamités publiques.

Terribles furent donc les conséquences de l'insouciance ou plutôt de l'ignorance des Marseillais en matière d'hygiène publique. Heureux encore si cette cruelle expérience avait dû avoir pour effet de les rendre désormais plus attentifs et plus soucieux de la propreté de leur ville! Mais il ne semble pas qu'à ce point de vue des progrès bien décisifs aient été accomplis dans le cours du xvi° siècle. En 1784, une étrangère', visitant Marseille, remarquait que les promenades publiques y étaient l'objet de beaucoup de soin et d'une merveilleuse attention. Elles sont « sacrées », dit-elle. Mais en même temps elle est obligée de constater qu'il n'y a là qu'une heureuse exception. « Car dans les plus belles

1. Journal de Mme Cradock, traduit par Mme O. Delphin-Baleyguier (Paris, 1896; Perrin et Cie, éditeurs).

rues, on jette tout par les fenêtres, et il est à craindre que l'on ne porte pas remède à cette incommodité, le peuple considérant les matières salines comme souveraines contre la peste! >>

A ce trait, il ne faut rien ajouter contentons-nous, comme le fit sans doute

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notre voyageuse, de regretter que les habitants d'une si belle ville eussent de si singulières idées sur les moyens les plus efficaces de la rendre habitable.

Nous pourrions encore demander à Mme Cradock de nous renseigner sur les divertissements de la vie de province. Mais il n'y a vraiment pas lieu de citer les fragments de son journal qui sont relatifs aux représentations théàtrales. Ce qu'elle voit à Marseille, en effet, à Montpellier, à Toulouse, à Bordeaux, ce sont les pièces que l'on pouvait voir représenter au même moment sur les théâtres de Paris. L'interprétation seule diffère, avec des inégalités dans le mérite des acteurs qu'il n'y aurait point d'intérêt à noter ici.

Plus curieux seraient les souvenirs de ceux qui pénétrèrent dans l'intimité de la société provinciale. Ce fut le cas de Marmontel.

En 1760, après avoir tàté de la Bastille pour une satire qu'il n'avait point faite contre le duc d'Aumont, il résolut de voyager un peu et de se rendre à Bordeaux, où se chargeait de l'emmener un de ses amis, M. Gaulard, qui était, dans cette ville, receveur général des fermes.

« Il est difficile, dit-il, d'imaginer un voyage plus agréable: une route superbe;

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un temps si beau, si doux, que nous courions la nuit, en dormant, les glaces baissées; partout les directeurs, les receveurs des fermes empressés à nous recevoir je croyais être dans ces temps poétiques et dans ces beaux climats où l'hospitalité s'exerçait par des fêtes.

<< A Bordeaux, je fus accueilli et traité aussi bien qu'il était possible, c'est-àdire qu'on m'y donna de bons diners, d'excellents vins, et même des salves de canon des vaisseaux que je visitais.

« Mais, quoiqu'il y eût dans cette ville des gens d'esprit, et faits pour être

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