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le Palais-Royal pour suivre les corps qu'on emportait, soit par une curiosité machinale, soit pour participer à la récompense promise.

« Le même jour, on publia une ordonnance qui défendait au peuple de s'attrouper, sous les peines les plus rigoureuses.

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Cependant, l'agio, trop resserré dans la rue Quincampoix, avait été transféré à la place Vendôme: là, s'assemblaient les plus vils coquins et les plus grands seigneurs, tous réunis et devenus égaux par l'avidité. On ne citait guère à la cour que le chancelier, les maréchaux de Villeroi et de Villars, les ducs de Saint-Simon et de la Rochefoucauld, qui se fussent préservés de la contagion.

« Le duc de Bourbon, petit-fils du grand Condé, se vantant un jour ingénument de la quantité d'actions qu'il possédait, Turmenies, garde du trésor royal, homme d'esprit, et qui s'était acquis un droit ou un usage de familiarité avec les princes mêmes, lui dit :

celles-là.

Monseigneur, deux actions de votre aïeul valent mieux que toutes

« Monsieur le Duc en rit, de peur d'ètre obligé de s'en facher.

« Le chancelier, se trouvant incommodé du tumulte de l'agio dans la place Vendôme, où est la chancellerie, le prince de Carignan, plus avide d'argent que délicat sur sa source, offrit son hôtel de Soissons'. Il fit construire dans le jardin. une quantité de petites baraques, dont chacune était louée cinq cents livres par mois le tout rapportait cinq cent mille livres par an. Pour obliger les agioteurs de s'en servir, il obtint une ordonnance qui, sous prétexte d'établir la police dans l'agio et de prévenir la perte des portefeuilles, défendait de conclure aucun marché ailleurs que dans les baraques.

« Le Parlement, depuis que ses députés conféraient avec les commissaires des finances, se flattait déjà de participer à l'administration : cette illusion ne dura pas. Un édit portant attribution de tout commerce à la Compagnie des Indes fut porté au Parlement pour y être enregistré le 17 juillet, le jour même qu'il y eut des gens étouffés. Pendant qu'on discutait cette affaire avec chaleur, le premier président sortit un moment, dit en rentrant ce qui venait d'arriver à la banque, et que le carrosse de Law avait été mis en pièces. Tous les magistrats, se levant en pied, avec un cri de joie peu digne de la gravité de la séance :

Et Law? est-il déchiré par morceaux?

« Le premier président répondit qu'il ignorait les suites du tumulte. Toute la compagnie rejeta l'édit et rompit la séance pour courir aux nouvelles. >>

1. Sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui la Halle aux blés.

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Dès lors, c'est une lutte de tous les instants entre le Parlement, soutenu par l'opinion publique, d'une part, et, d'autre part, le régent et les autres appuis de Law. L'issue n'en pouvait être douteuse. En vain, le régent exile-t-il le Parlement au mois de juillet. Au mois de décembre, il est obligé de le rappeler, et c'est alors, au contraire Law qui s'enfuit « dans une chaise aux armes du duc de Bourbon, accompagné de quelques valets à la livrée de ce prince, qui servaient d'une espèce de sauvegarde, et, à tout événement, muni de passeports du régent. Cela n'empêcha pas d'Argenson l'aîné, intendant de Maubeuge, de l'arrêter à son passage à Valenciennes et d'en

donner avis par un courrier qu'on lui renvoya sur-le-champ, avec la plus vive réprimande de n'avoir pas déféré aux passeports. Après avoir parcouru l'Allemagne et l'Italie, il se fixa à Venise, où il est mort. >>

Nous nous gardons en général ici de toute considération philosophique : nous ne nous soucions que de peindre les mœurs. Mais sur les mœurs mêmes de la France, le système de Law eut une telle influence que nous ne pouvons pas ne pas laisser encore la parole à Duclos, qui va nous dire quels furent, à son avis, les résultats moraux de cette désastreuse expérience.

« Le bouleversement des fortunes n'a pas été, dit-il, le plus malheureux effet du système et de la Régence: une administration sage aurait pu rétablir les affaires; mais les mœurs, une fois dépravées, ne se rétablissent que par la révolution d'un État, et je les ai vues s'altérer sensiblement. Dans le siècle précédent, la noblesse et le militaire n'étaient animés que par l'honneur; le magistrat cherchait la considération; l'homme de lettres, l'homme à talent, ambitionnaient la réputation; le commerçant se glorifiait de sa fortune, parce qu'elle était une preuve d'intelligence, de vigilance, de travail et d'ordre; les ecclésiastiques,

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qui n'étaient pas vertueux, étaient du moins forcés de le paraître. Toutes les classes de l'État n'ont aujourd'hui qu'un objet, c'est d'être riches, sans que qui que ce soit fixe les bornes de la fortune où il prétend.

<< Avant la Régence, l'ambition d'un fermier général était de faire son fils conseiller au Parlement; encore fallait-il, pour y réussir, que le père eût une considération personnelle. Sous la Régence, on a vu un conseiller clerc et même sous-diacre, quitter sa charge pour entrer dans la finance. Je ne doute pas qu'il n'y ait eu dans tous les temps des magistrats assez vils pour avoir la même avarice, mais ils n'auraient osé la manifester; et s'ils l'avaient fait, il y aurait eu un arrêté pour exclure du Parlement les descendants de ces misérables déserteurs; au lieu que cette infamie a fait, de nos jours, très peu de sensation; je l'ai même entendu excuser.

« J'ai vu, dans ma jeunesse,

MADAME DU BARRY.

(Buste de Pajou. Musée du Louvre.

les bas emplois de la finance être des récompenses de laquais. On y trouve aujourd'hui plus de gentilshommes que de roturiers. >>

Il fallait citer ces profondes remarques qui éclairent d'un jour si vif l'histoire morale de cette époque. Mais il est temps de revenir au vrai sujet de ce chapitre en décrivant, après les joies du peuple, les divertissements auxquels le grand monde se plaisait en plein air.

Parmi les sports, comme nous dirions aujourd'hui, qui furent à la mode au XVIII siècle, tous n'ont pas joui d'une vogue également persistante. C'est ainsi qu'à plusieurs reprises l'usage du traîneau tenta de s'introduire dans la haute société parisienne. Marie-Antoinette notamment y avait pris un grand plaisir. Cet élégant véhicule n'eut pourtant point de succès auprès des Parisiens.

Peut-être d'ailleurs la malveillance ne fut-elle pas étrangère à ce médiocre résultat. Les ennemis de Marie-Antoinette affectèrent, nous l'avons dit, de voir, dans son goût passager pour les traîneaux, une prédilection affichée pour les habitudes de la cour de Vienne, et nous savons déjà jusqu'à quel point les reproches de ce genre devaient être exploités contre l'infortunée souveraine.

Une autre mode, au contraire, était à la même époque mieux accueillie et le plus bel avenir en effet lui était réservé : c'est celle des courses de chevaux. Dès longtemps, les Français, si nombreux au XVIe siècle, qui étaient allés faire à Londres un séjour plus ou moins long, avaient été frappés du goût que les Anglais semblaient prendre à ce genre de divertissement Voltaire, dans une de ses lettres d'Angleterre, évoque à ce sujet, et de la manière la plus sérieuse du monde, le souvenir des jeux olympiques de la Grèce ancienne.

Quoi qu'il en soit, la mode s'en répandit surtout en France au début du règne de Louis XVI, et, tout de suite, elle eut pour elle et la cour et la ville. Les courses avaient lieu généralement dans la plaine des Sablons, près de Neuilly. Les plus grands seigneurs, un Lauzun, un duc de Chartres, un comte d'Artois, le propre frère du roi, y engagent des chevaux et cherchent à s'assurer la victoire par un entraînement bien étudié de jockeys bien choisis. De ces fêtes mondaines, la reine est une spectatrice assidue, et, cette fois, son goût est d'accord avec celui de toute la population de Paris. La foule qui se porte aux Sablons, les jours de courses, est considérable.

Louis XVI cependant ne voyait pas sans une certaine appréhension cette habitude prendre racine. Car, suivant la mode anglaise, toute course comportait des paris, et ce nouveau jeu de hasard ne plaisait pas plus au monarque que les jeux de cartes. Un jour, deux personnes de son entourage engagent de six à sept mille louis pour ou contre un cheval : le roi affecte de parier un petit écu.

Mais, dans cette occasion non plus que dans tant d'autres, Louis XVI ne devait avoir le dessus. La mode est plus forte que le désir du souverain. D'ailleurs le vent était à l'anglomanie. Les philosophes avaient appris aux Français à connaître le gouvernement de l'Angleterre et à en apprécier les avantages. Les élégances anglaises venaient maintenant, d'une manière plus détournée, mais

plus insinuante, continuer l'oeuvre commencée. Agir « à l'anglaise » en quoi que ce fût devint la marque décisive du bon ton.

« M. de Nédonchel, raconte Mme de Genlis, est extrêmement anglomane. Hier, il était à cheval à la portière de la voiture du roi, qui allait à Choisy. Il avait fait de la pluie, et M. de Nédonchel, trottant dans la boue, éclaboussait le roi, qui, mettant la

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LES COURSES AU CHAMP DE MARS.

(D'après une gravure de Moreau le Jeune.)

ne le prenait pas aussi gaiement que Louis XVI, et ceux qui étaient, plus que ce roi peut-être, capables de réflexion, ne voyaient pas sans inquiétude ces symptômes de bouleversement profond dans les mœurs.

« J'ai toujours été surpris, dit le comte de Ségur dans ses Mémoires, que notre gouvernement et nos hommes d'État, au lieu de blâmer, comme frivole, folle et peu française, la passion qui s'était tout à coup répandue en France pour les modes anglaises, n'y aient pas vu le désir d'une imitation d'un autre genre et les germes d'une grande révolution dans les esprits; ils ne se doutaient pas qu'en bouleversant dans nos parcs les allées droites, les carrés symétriques,

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