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«La fermentation a gagné la capitale; hier elle se faisait sentir à Versailles, aujourd'hui elle s'est développée ici. Des paysans, de pauvres gens, ont couru à la halle en demandant du grain et du pain; ils ont fait plus, ils en ont pris à toute main La foule se portait chez les boulangers, les uns après les autres, dépouillait les boutiques de ceux qui ne cédaient pas de bonne grâce. Les plus sages fermaient leur maison et jetaient le pain par les fenêtres. Néanmoins, c'est à la halle qu'on a vu le fort de l'émeute, à cause de la réunion du monde et du dépôt de l'approvisionnement en cet endroit; les gardes envoyés imposaient à la foule avec douceur; ils laissaient prendre plutôt que d'irriter par une opposition formelle. L'effervescence s'est apaisée moyennant la réduction du pain. à deux sous. >>

Mais, durant tout le cours du xvIII" siècle, nulle fièvre populaire ne fut aussi longue, et, en quelque manière, aussi déplorable que celle qui agita Paris pendant les derniers mois du séjour de Law, en 1720. On sait quelle avait été, l'année précédente, l'ardeur des spéculateurs à se procurer des actions de la

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à ce moment, presque doublé. Au bout de huit mois, elles étaient redescendues au pair, et l'on s'étouffait à la banque pour réaliser; trois mois après, les billets perdaient 80 pour 100; et quinze jours plus tard, ils n'avaient plus à peu près que la valeur du papier. Mais laissons Duclos' nous raconter ces derniers temps du système de Law et retracer les scènes dont Paris fut alors le théâtre.

«Le régent, dit-il, assuré de la paix au dehors, ne jouissait pas de la même tranquillité dans l'intérieur de l'État; l'illusion du système commençait à se dissiper. Le papier perdait toute faveur, par sa surabondance même : on chercha à le réaliser en espèces.

« Au défaut de matières monnayées, on achetait à quelque prix que ce fut les ouvrages d'orfèvrerie, de meubles, et généralement tout ce qui pourrait conserver une valeur réelle après la chute du papier. Chacun ayant le même empressement, tout devint d'une cherté in

croyable, et la rareté des espèces les faisait resserrer de plus en plus.

« Le gouvernement, voyant l'ivresse dissipée et qu'il n'y avait plus de moyen de séduire, usa de violence.

L'or, l'argent, les pierre

ries, furent défendus. Il ne fut pas permis d'avoir plus de cinq cents livres d'espèces. On fit des recherches

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1. Mémoires Régence.

ÉCUELLE A BOUILLON, EN VERMEIL. (Collection de Mme la comtesse de Béarn.)

jusque dans les maisons religieuses. Il y eut des confiscations; on excita, on encouragea, on récompensa les dénonciateurs. Les valets trahirent leurs maîtres, le citoyen

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devint l'espion du citoyen.

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Quand le système n'aurait pas été pernicieux en soi, l'abus en aurait détruit les principes. On n'avait plus ni plan ni objet déterminé; au mal du moment on cherchait aveuglément un remède, qui devenait un mal plus grand. Les arrêts, les déclarations, se multipliaient; le même jour en voyait paraître qui se détruisaient les uns les autres. Jamais gouvernement plus capricieux, jamais despotisme plus frénétique ne se virent sous un régent moins ferme.

SAUCIÈRE LOUIS XV EN ARGENT.
(Collection de Mme Depret.)

« Le plus inconcevable des prodiges pour ceux qui ont été témoins de ce temps-là, c'est qu'il n'en soit pas résulté une révolution subite, que le régent et Law n'aient pas péri tragiquement. Ils étaient en horreur, mais on se bornait à des murmures un désespoir sombre et timide, une consternation stupide avaient saisi tous les esprits; les cœurs étaient trop avilis pour être capables de crimes courageux.

SOUPIÈRE EN ARGENT. Collection de Mme Depret.)

« On n'entendait parler à la fois de tous côtés que d'honnêtes familles ruinées, de misères secrètes, de fortunes odieuses, de nouveaux riches étonnés et indignes de l'être, de grands méprisables, de plaisirs insensés, de luxe scandaleux.

« La facilité, la nécessité même de porter sur soi des sommes considérables en papier, pour le négocier, rendaient les vols très communs; les assassinats n'étaient pas rares. Il s'en fit un dont le châtiment, juste et nécessaire, fit une nouvelle dans une grande partie de l'Europe.

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Antoine-Joseph, comte de Horn, âgé de vingt-deux ans, capitaine réformé dans la cornette blanche', Laurent de Mille, Piémontais, autre capitaine réformé, et un prétendu chevalier d'Estampes complotèrent d'assassiner un riche agioteur et de s'emparer de son portefeuille. Ils se rendirent dans la rue Quincampoix, et, sous prétexte de négocier pour cent mille écus d'actions, conduisirent. l'agioteur dans un cabaret de la rue de Venise, le 22 mars, vendredi de la Passion, et le poignardèrent. Le malheureux agioteur, en se débattant, fit assez de bruit pour qu'un garçon du cabaret, passant devant la porte de la chambre, où était la clef, l'ouvrit; et, voyant un homme noyé dans son sang, il retira aussitôt la porte, la referma à deux tours, et cria au meurtre.

<< Les assassins, se voyant enfermés, sautèrent par la fenêtre. D'Estampes, qui faisait le guet sur l'escalier, s'était sauvé aux premiers cris, et, courant à un hôtel garni, rue de Tournon, où ils logeaient tous trois, prit les effets les plus portatifs, et s'enfuit. Mille traversa toute la foule de la rue Quincampoix; mais, suivi par le peuple, il fut enfin arrêté aux Halles. Le comte de Horn le fut en tombant de la fenêtre. Croyant ses deux complices sauvés, il eut assez de pré

sence d'esprit pour dire qu'il avait pensé être assassiné en voulant défendre celui qui venait de l'être. Son plan n'était pas trop bien arrangé, et devint inutile par l'arrivée de Mille, qu'on ramena dans le cabaret, et qui avoua tout. Le comte de Horn voulut en vain le méconnaître; le commissaire du quartier le fit conduire en prison. Le crime étant avéré, le procès ne fut pas long, et dès le mardi saint 26 mars l'un et l'autre furent roués vifs en place de Grève.

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DAME DE QUALITÉ EN COSTUME DE VILLE.

(D'après une gravure de Gravelot.)

«Le comte de Horn était apparemment le premier auteur du complot, car, avant l'exécution, et pendant qu'il respirait encore sur la roue, il demanda pardon à son complice, qui fut exécuté le dernier, et mourut sous les coups.

« J'ai su du chapelain de la prison une particularité qui prouve

1. On appelait ainsi le premier régiment de cavalerie.

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bien la résignation et la tranquillité d'àme du comte de
Horn. Ayant été remis entre les mains du chapelain, en
attendant le docteur de Sorbonne, confesseur, il lui dit :
Je mérite la roue. J'espérais que, par considé-
ration pour ma famille, on changerait mon sup-
plice en celui d'ètre décapité; je me résigne à
tout, pour obtenir de Dieu le pardon de mon
crime.

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« Il ajouta tout de suite :

roué?

Souffre-t-on beaucoup quand on est

« Le chapelain, interdit de cette question, se contenta de répondre qu'il ne le croyait pas, et lui dit ce qu'il imagina de plus consolant.

« Le régent fut assiégé de toutes parts pour accorder la grâce, ou du moins une commutation de peine. Le crime était si atroce qu'on n'insista pas sur le premier article; mais on redoubla de sollicitations sur l'autre. On représenta que le supplice de la roue était si infamant que nulle fille de la maison de Horn ne pourrait, jusqu'à la troisième génération, entrer dans aucun chapitre.

HOMME DE QUALITÉ EN TOILETTE DE VILle. (D'après une gravure de Gravelot.)

« Le régent rejeta les prières pour la grâce. Il fut près au contraire d'accorder la commutation de peine, mais Law et l'abbé Dubois lui firent voir la nécessité de maintenir la sûreté publique dans un temps où chacun était porteur de toute sa fortune. Ils lui prouvèrent que le peuple ne serait nullement satisfait, et se trouverait humilié de la distinction du supplice pour un crime si noir et si public. Lorsque les parents ou alliés eurent perdu tout espoir de fléchir le régent, le prince de Robec-Montmorency et le maréchal d'Isenghen d'aujourd'hui, que le coupable touchait de plus près que d'autres, trouvèrent le moyen de pénétrer jusque dans la prison, lui portèrent du poison, et l'exhortèrent à se soustraire, en le prenant, à la honte du supplice; mais il le refusa.

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Va, malheureux, lui dirent-ils en se retirant avec indignation, tu n'es digne de périr que par la main du bourreau. »>>

Cependant, pour éviter à son gouvernement la catastrophe financière qui le

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