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fauteuil de Mme Necker, un petit livre; il le ra-
massa et l'ouvrit c'était un petit livre blanc
qui contenait quelques pages de l'écriture de
Mme Necker.

ÉCUELLE EN PATE TENDRE DE MENNECY. (Collection de M. Guérin.)

« Il n'aurait certainement pas lu une lettre ; mais, croyant ne trouver que quelques pensées spirituelles, il lut sans scrupule : c'était la préparation du dîner de ce jour, auquel il était invité; Mme Necker l'avait écrite la veille. Il y trouva tout ce qu'elle devait dire aux personnes invitées les plus remarquables; son article y était, et conçu dans ces termes : Je parlerai au chevalier de Chastellux de la Félicité publique' et d'Agathe'.

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CUILLER A SUCRE.

(Collect. de M. Guérin.)

« Mme Necker disait ensuite qu'elle parlerait à Mme d'Angiviller sur l'amour, et qu'elle élèverait une discussion littéraire entre MM. Marmontel et de Guibert. Il y avait encore d'autres préparations que j'ai oubliées.

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Après avoir lu ce

petit livre, M. de Chas

tellux s'empressa de le

remettre sous le fauteuil. Un instant après,

un valet de chambre vint dire

que Mme Necker avait oublié

dans le salon ses tablettes; il les
chercha et les lui porta.

Ce diner fut charmant pour
M. de Chastellux, parce
qu'il eut le plaisir d'entendre
Mme Necker dire, mot à mot,
tout ce qu'elle avait écrit sur ses
tablettes. >>

Mme de Genlis, que la gloire de Mme de Staël empêchait de

1. La Félicité publique, ouvrage du chevalier de Chastellux. (Note de MME DE GENLIS.) 2. Une jolie comédie de lui, qui n'a jamais été imprimée. (Id.)

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SOUPIÈRE EN PATE TENDRE DE MENNECY.

(Collection de M. Guérin.)

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dormir, a peut-être apporté peu de bienveillance à ce récit, qui d'ailleurs fait peu d'honneur à la délicatesse de Chastellux. Mais le petit-fils même de Mme Necker, le baron de Staël, nous raconte une aventure analogue, où peut-être ne faut-il voir qu'une autre forme de la première anecdote.

« Un jour, nous dit-il', que Mme Necker avait égaré les tablettes où elle écrivait le matin la destination de chacune de ses heures, M. Necker les retrouva; il y lut en riant ces mots : Relouer plus fort M. Thomas sur le chant de la France dans son poème de Pierre le Grand. »>

Le tableau que nous traçons du salon de Mme Necker ne serait d'ailleurs pas complet, si nous ne rappelions qu'on y vit figurer, dès l'àge de onze ans, la petite Germaine, celle qui devait être Mme de Staël. Il ne sera pas inutile de citer à ce propos le témoignage d'une amie, qui nous a été conservé par Mme Necker de Saussure'.

1. Notice en tête des Euvres de Mme de Staël (Paris, 1821).

2. Notice sur le caractère et les écrits de Mme de Staël.

« Nous entrâmes dans le salon, dit-elle. A côté du fauteuil de Mme Necker était un petit tabouret de bois où s'asseyait sa fille, obligée de se tenir bien droite. A peine eut-elle pris sa place accoutumée, que trois ou quatre vieux personnages s'approchèrent d'elle, lui parlèrent avec le plus tendre intérêt l'un d'eux, qui avait une petite perruque ronde, prit ses mains dans les siennes, où il les retint longtemps, et se mit à faire la conversation avec elle comme si elle avait eu vingt-cinq ans. Cet homme était l'abbé Raynal; les autres étaient MM. Thomas, Marmontel, le marquis de Pesay

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et le baron de Grimm.

« On se mit à table. Il fallait voir comment Mlle Necker écoutait! Elle n'ouvrait pas la bouche, et cependant elle semblait parler à son tour, tant ses traits mobiles avaient d'expression. Ses yeux suivaient les regards et les mouve ments de ceux qui causaient; on aurait dit qu'elle allait au-devant de leurs idées. Elle était au fait de tout, même des sujets politiques, qui, à cette époque, faisaient déjà un des grands intérêts de la conversation.

FAUTEUIL CANNÉ LOUIS XV. Collection de M. Guérin.)

« Après le dîner, il vint beaucoup de monde. Chacun, en s'approchant de Mme Necker, disait un mot à sa fille, lui faisait un compliment ou une plaisanterie. Elle répondait à tout avec aisance et avec grâce; on se plaisait à l'attaquer, à l'embarrasser, à exciter cette petite imagination qui se montrait déjà si brillante. Les hommes les plus marquants par leur esprit étaient ceux qui s'attachaient davantage à la faire parler. Ils lui demandaient compte de ses lectures, lui en indiquaient de nouvelles, et lui donnaient le goût de l'étude en l'entretenant de ce qu'elle savait ou de ce qu'elle ignorait.)

Voilà sans doute une singulière éducation, et bien faite, semble-t-il, pour développer jusqu'à un point inexprimable la vanité chez une enfant. Pour n'en avoir pas redouté les périls, il faut que Mme Necker ait eu grande confiance dans la solidité de l'esprit de sa fille Mais ni cette erreur pédagogique, si c'en est une, ni les petits ridicules, les petits travers qu'on peut s'amuser à relever à propos de Mme Necker, n'empêchent son salon d'avoir été l'un

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de ceux où il était assurément, à la fin du xv siècle,
le plus honorable d'être reçu.

Il est hors de doute d'ailleurs qu'on en citerait
plus d'un à la même époque où les esprits frivoles
eussent trouvé davantage à se plaire.

PENDULE LOUIS XVI EN MARBRE.

(Legs Jones, musée de South-Kensington.)

Encore en effet que la conversation des gens d'esprit ait été le plus grand attrait des salons les plus célèbres du XVIIIe siècle, on y connaissait d'autres passe-temps.

Et tout d'abord, le jeu, qu'à peine peut-on
compter au nombre des divertissements, tant il
apparaît presque partout comme une source de
désastres et comme l'effet de la plus basse cupidité.

Des gens de la première qualité font concur-
rence aux tenanciers des tripots de bas étage.
Leur hôtel est ouvert toute la nuit aux
joueurs, et les banquiers du jeu leur paient

une somme convenue.

Le pouvoir sans doute renouvelait bien de temps en temps les édits qui prohibaient de tels abus. Mais les exemples venaient de haut, qui triomphaient des édits. Voici, entre autres anecdotes, une histoire édifiante du temps de la Régence et des premières années du règne de Louis XV.

« Les jeux de hasard, raconte Duclos, avaient été défendus Le duc de Tresmes prétendait, comme gouverneur de Paris, avoir le droit d'un de ces coupe-gorges privilégiés. Le lieutenant de police Machault, qui ne trouvait pas ce privilège-là dans les ordonnances déclara qu'il tolérerait tous ces repaires si celui du gouverneur subsistait.

« Le régent, pour ne mécontenter personne, acheta le désistement du duct de Tresmes de deux mille livres de pension. Peu d'années après, sous le ministère de M. le Duc, la dévote princesse de Carignan obtint de faire tenir un jeu dans son hôtel de Soissons. Aussitôt le duc de Tresmes reprit le sien, en gardant sa pension. Des fripons galonnés, brodés, et même décorés de croix de différents ordres, faisaient les honneurs de ces deux antres, où les enfants des

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bourgeois venaient perdre ce qu'ils volaient à leurs familles. Plusieurs aventures tragiques firent enfin connaître que ces lieux étaient les séminaires de la Grève. Le cardinal Fleury, devenu ministre, les défendit. >>

Il en fut naturellement de cette défense comme de toutes les autres. Quelques sévérités partielles, la fermeture de quelques tripots, n'empêchèrent pas le jeu de continuer ses ravages. Sous Louis XVI, la passion en était arrivée au plus haut degré, et la cour elle-même était le premier brelan du royaume.

« Pour être admis au jeu de la reine, à Marly, dit Mme Campan', il suffisait à tout homme bien mis d'être nommé et présenté par un officier de la cour à l'huissier du salon de jeu. Le salon, très vaste et d'une forme octogone, s'élevait jusqu'au haut du toit à l'italienne, et se terminait par une coupole ornée de balcons, où des femmes non présentées obtenaient facilement d'être placées pour jouir de la vue de cette brillante réunion.

« Sans faire partie des gens de la cour, les hommes admis dans le salon pouvaient prier une des dames placées au lansquenet ou au pharaon de la reine de jouer sur leurs cartes l'or ou les billets qu'ils leur présentaient Les gens riches et les gros joueurs de Paris ne manquaient pas une seule des soirées. du salon de Marly, et les sommes perdues ou

gagnées étaient toujours très considérables. >>

Louis XVI voyait ces excès avec peine en un an, certaines personnes avaient pu réaliser, à la cour, des différences de plus d'un demi-million. Il profita donc d'une altercation du comte d'Artois avec un gentilhomme qui était banquier pour interdire désormais le pharaon, le plus dangereux de tous les jeux de hasard. Cela se passait fin octobre 1777. Au début d'octobre 1778, Bachaumont nous informe qu'un seul banquier ne suffisant pas à la table de pharaon régulièrement établie chez MarieAntoinette, celle-ci l'autorisa s'adjoindre un second.

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1. Mémoires, octobre 1778.

FAUTEUIL LOUIS XVI RECOUVERT EN SOIE BROCHÉE. (Collection de M. le comte de Castellane.)

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