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de Louis XIV, n'avait eu cette distinction: il fallut la satisfaire.

A défaut du titre de reine, elle chercha à s'en attribuer les honneurs et même à les outrepasser, et on la vit traverser Paris, depuis le Luxembourg jusqu'aux Tuileries, entourée de ses gardes, avec trompettes et timbales sonnantes, Le maréchal de Villeroi représenta au régent que cet honneur n'appartenait à qui que ce fût qu'au roi, dans le lieu où il est: or, il habitait alors les Tuileries. La duchesse de Berri fut donc obligée de s'en tenir à ce premier essai, et de laisser désormais trompettes et

LOUISE-ADÉLAÏDE D'ORLEANS, FILLE DU RÉGENT, ABBESSE DE CHELLES. (D'après une gravure anonyme.)

timbales au Luxembourg. Elle voulut s'en dédommager par une autre entreprise qui ne lui réussit pas mieux. Elle parut sous un dais à l'Opéra et, le lendemain, à la Comédie, quatre de ses gardes étant sur le théâtre et les autres dans le parterre. Cette fois, le cri fut général, et, de dépit, elle se renferma depuis dans une petite loge, d'où elle voyait le spectacle incognito.

Pour être moins connue et moins scandaleuse, la réputation de la seconde fille du régent, Louise-Adélaïde, n'était pas non plus de nature à concilier à son père la sympathie du public. Cette princesse était fort intelligente, éprise de science et de théologie; avec cela de la beauté et de l'esprit; mais une humeur fort vive, fantaisiste et perverse, qui paraît s'être donné carrière lorsqu'à dix-huit ans on lui fit prononcer ses vœux et qu'on lui confia le gouvernement de la célèbre Abbaye-aux-Bois, rue de Sèvres, à Paris.

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Elle avait laissé dans cette maison le souvenir d'une méchanceté tellement effroyable, que l'impression n'en était pas encore éteinte soixante ans plus tard.

<<< On racontait, dit, dans ses Mémoires, une jeune fille de grande famille' qui fut pensionnaire à l'Abbaye de 1772 à 1779, que, du temps de Madame d'Orléans, qui était un monstre de cruauté, elle avait fait fustiger plusieurs religieuses à les laisser pour mortes; elle en avait fait renfermer d'autres; quelquefois elle laissait chanter l'office à ces dames pendant toute la nuit. Pendant ce

temps-là, M. le régent entrait dans son appartement, et elle passait la nuit à rire, à se divertir, à manger et à faire cent sortes de folies devant les jeunes religieuses qu'elle s'était choisies. Elle disait qu'elle faisait passer la nuit en prières à ces dames pour expier les péchés qu'elle commettait.

« On dit qu'elle prenait des bains de lait, et le lendemain elle le faisait distribuer à ses religieuses au réfectoire et leur ordonnait, sous la sainte obéissance, de le boire. Enfin ses excès en vinrent à tel point que ces dames en portèrent plainte, et on répondit qu'on la transférerait à l'abbaye de Chelles.

« M. le régent lui-même vint lui annoncer l'ordre du roi, et lui dit qu'elle avait si fort persécuté ses malheureuses religieuses que leurs voix avaient retenti jusqu'au pied du trône; que, quelque tendresse qu'il eût pour elle, il se

1. Hélène Massalska, plus tard princesse de Ligne, dont M. LUCIEN PEREY a raconté les aventures et publié les cahiers dans son Histoire d'une grande dame au XVIIIe siècle (Paris, Calmann-Lévy, 1887). C'est à cet ouvrage (Ire partie, chap. vII) que nous empruntons le fragment qu'on va lire.

voyait forcé de la changer d'abbaye, puisque le public serait révolté s'il ne faisait pas justice à ces dames.

« Alors Madame d'Orléans fut au désespoir; elle pleura, elle conjura son père de la laisser à l'Abbaye-aux-Bois et promit que dorénavant son gouvernement serait aussi doux qu'il avait été cruel et despotique. Mais Monseigneur le régent fut inflexible et lui dit qu'elle devait se préparer à partir pour Chelles sous peu de jours. Quand elle vit qu'elle ne pouvait pas le gagner, elle assembla le chapitre et se mit à genoux pour supplier ces dames de dresser une requête au gouvernement pour qu'elle restât et qu'elles n'auraient plus à se plaindre de sa conduite. Il y avait alors pour prieure une Mme de Noailles, qui s'avança et dit ces propres paroles qu'on nous a redites cent fois : « Nous avons reçu <<< sans murmure, Madame, les peines cruelles dont vous nous avez accablées: « soumises aveuglément à votre volonté, nous n'avons vu dans nos souffrances « que la main de Dieu appesantie sur nous. Le respect que nous vous portons notre attachement

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« pour le sang d'où vous <<< sortez nous font regarder

«< comme le plus grand

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<< malheur de ne point finir

<< nos jours sous vos lois; « mais de même que nous <«< aurions été coupables si <<nous avions refusé les << afflictions que Dieu nous « a envoyées, de même ce <<< serait le tenter que d'al«ler chercher l'orage quand << il lui plaît de nous rendre « le calme. Nous désirons « que vous trouviez le bon«heur là où vous êtes des« tinée à vivre, et ce sera «<là, Madame, l'objet de << nos prières et de nos

« Vœux. >>

RELIANENSIUM

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« Madame d'Orléans, voyant par ce discours et

LE DUC D'ORLEANS, FILS DU RÉGENT.
(D'après la gravure de Drevet. Bibliothèque nationale.)

par la contenance de ces dames qu'elle n'avait rien à espérer, se leva comme une furieuse et retourna dans son appartement.

<< Quelques jours après, M. de la Tourdonnet, secrétaire des commandements de M. le régent, et Mme la duchesse de Villequier vinrent lui dire que les équipages de son père étaient là et qu'elle devait partir pour Chelles; mais

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elle assura qu'elle ne partirait pas. Mme la duchesse de Villequier employa en vain la persuasion : elle ne put en venir à bout.

<< Ils retournèrent donc à M. le régent, qui dit que là où la douceur ne faisait rien, il fallait employer la force, et il envoya, avec M. de la Tourdonnet et Mme de Villequier, M. de Lyonne, son capitaine des gardes, avec deux officiers.

<< On vint donc dire à Madame d'Orléans que tout ce monde avait ordre exprès de la mettre en voiture. Quand elle vit cela, elle se déshabilla toute nue, se mit dans son lit, fit venir M. de Lyonne et lui demanda qui pourrait ètre assez téméraire pour porter une main hardie sur le corps d'une fille du sang de France.

«M. de Lyonne, fort embarrassé, retourna à M. le régent, qui envoya à sa fille Mme la princesse de Conti pour la mettre à la raison, ordonnant que, si elle ne réussissait pas, on enveloppåt Madame d'Orléans dans ses matelas et

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qu'on l'emportât. Mme la princesse de Conti vint donc
et, à force de larmes et de prières, la détermina à partir.
On la conduisit à Chelles, à quatre lieues de
Paris; on lui laissa le titre d'abbesse, mais
sans aucune autorité. »

C'est, en effet, sous ce nom d'abbesse de
Chelles que la seconde fille du régent est restée
connue, et la dernière partie de sa vie elle
mourut en 1743, à quarante-cinq ans —
fut plus

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retenue et plus régulière que n'avait été sa jeu

FERRET LOUIS XV, SE PORTANT

SUR L'ÉPAULE.

nesse.

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En attendant, on con-
çoit assez que le régent
et ses filles aient pu prê-
ter à toutes les calomnies.
En 1720, le poète La
Grange-Chancel fit paraître,
sous le nom de Philippi-
ques, un recueil d'odes mi-
sérables, aussi violentes
par le fond que prosaïques
dans la forme. Il y accusait
crùment le régent d'ètre
un empoisonneur; il lui at-
tribuait la mort du grand
dauphin, du duc de Bour-

CHATELAINE EN OR A JOUR. (Collection Jubinal de Saint-Albin.)

gogne, de sa femme, de son
frère, la santé chancelante du petit Louis XV, et prévoyait
le moment où ce dernier succomberait à son tour victime
des mêmes entreprises. Quand Saint-Simon, pressé par les
sollicitations du régent lui-même, lui fit lire cet effroyable
libelle, le malheureux prince, racontait-il, pensa s'éva-
nouir et, ne pouvant retenir ses larmes, s'écria:

Ah! c'en est trop! cette horreur est plus forte que moi j'y succombe.

Chose pénible, cependant : la foule sembla par(Collect. Jubinal de Saint-Albin.) tager sur ce point les sentiments du poète infàme.

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