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La manière même dont les mariages se concluaient souvent dans le grand monde explique assez le peu de bonheur que les époux trouvaient dans leur

union. Écoutons, par

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exemple, la princesse

PANNEAU EN BOISERIE (STYLE LOUIS XV).
(Collection de Mme la comtesse de Béarn.)

Hélène de Ligne nous raconter à ce sujet un de ses souvenirs d'enfance. Nous savons qu'elle était alors pensionnaire à l'Abbaye-aux-Bois.

« Mlle de Bourbonne revint un jour fort triste du monde, elle fut chez Mme de Rochechouart fort longtemps; le lendemain, tous ses parents demandèrent Mme de Rochechouart; enfin, deux jours après, elle vint, conduite par Mlles de Châtillon, dont l'aînée était fort son amic, faire part de son mariage avec M. le comte d'Avaux, fils de M. le marquis de Mesme. Nous l'entouràmes toutes pour lui faire cent questions. Elle avait à peine douze ans, elle devait faire sa première communion dans huit

jours, se marier huit jours après et rentrer au couvent. Elle était si excessivement mélancolique que nous lui demandàmes si son futur ne lui plaisait pas;

1. Voir page 16, note 1. Nous empruntons encore cette nouvelle citation au livre de M. LUCIEN PEREY, Histoire d'une grande dame au XVIIIe siècle, Ire partie, chap. IV. 2. Directrice des études.

elle nous dit franchement qu'il était bien laid et bien vieux; elle ncus dit aussi qu'il devait venir la voir le lendemain. Nous priàmes Mme l'abbesse de permettre qu'on nous ouvrit l'appartement d'Orléans, qui avait vue sur la cour abbatiale, pour que nous voyions le futur mari de notre compagne on nous

l'accorda.

«Le lendemain, à son réveil, Mlle de Bourbonne reçut un gros bouquet, et

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l'après-midi M. d'Avaux vint. Nous le trouvàmes comme il était, abominable!

Quand Mlle de Bourbonne sortit du parloir, tout le monde lui disait :

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Ah! mon Dieu, que ton mari est laid! Si j'étais de toi, je ne l'épouserais pas. Ah! la malheureuse!

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Et elle disait :

Ah! je l'épouserai, car papa le veut : mais je ne l'aimerai pas, c'est une chose sure.

« Il fut décidé qu'elle ne le verrait plus jusqu'au jour où elle ferait sa première communion, afin qu'elle ne fût point distraite; elle fit sa première communion au bout de huit jours et, quatre ou cinq jours après, fut mariée dans la chapelle de l'hôtel d'Havré.

<< Elle rentra au couvent le même jour; on lui donna des bijoux, des diamants et une superbe corbeille faite par Bolard. Ce qui l'amusait le plus, c'est que nous l'appelions tous Mme d'Avaux. Elle nous raconta qu'après le mariage, il y avait eu un déjeuner chez sa belle-mère, qu'on avait voulu qu'elle embrassàt son mari, mais qu'elle s'était mise à pleurer et n'avait jamais voulu; qu'alors sa belle-mère avait dit que c'était une enfant. Cette belle haine n'a fait que croître et embellir, et, une fois, son mari la demandant au parloir, elle fit semblant de s'ètre démis le pied pour n'être pas obligée d'y aller.»

M

Rich

Madame la Marquife de CASTELLANE
eft venuë pour avoir l'honneur de vous
faire part du Mariage de Mademoisel-
le DE BROSSE fa Fille, avec Mon-
fieur le Marquis
DE PONS.

BILLET DE MARIAGE SOUS LOUIS XV.
(Bibliothèque nationale.)

Le plus souvent de tels mariages n'amenaient qu'une indifférence réciproque, les deux époux vivant chacun de son côté. Mais quelquefois ils laissaient la jeune épouse triste et malheureuse pour la vie entière. Parfois enfin ils aboutissaient à de véritables scandales.

A peine faut-il compter pour tel le soufflet que Mme de Forcalquier, l'une des amies de Mme du Deffand, reçut un jour de son mari: car il est possible qu'elle s'en

soit au fond plus réjouie que fàchée : elle comptait en effet fonder sur cet incident une demande en séparation. Ne pouvant obtenir gain de cause, elle alla trouver M. de Forcalquier, et, lui portant la main à la figure :

faire.

Tenez, monsieur, lui dit-elle, voilà votre soufflet je n'en peux rien

Mais ce fut un scandale véritable que l'aventure de Mme de Stainville, belle-sœur du duc de Choiseul. Trois jours avant un bal dont tout Paris parlait et où la jeune femme devait paraître costumée en paysanne allemande,

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son mari, ayant obtenu contre elle une lettre de cachet, pénètre dans sa chambre à trois heures du matin, la fait monter en chaise de poste à côté de lui, et la conduit à Nancy dans un couvent, où il la fait enfermer pour le reste de ses jours'.

Descendons maintenant d'un degré social, et pénétrons dans le salon célèbre de la bourgeoise Mme Geoffrin.

Mariée à quatorze ans, en 1713, à un homme qui en avait quarante-huit, mais qui possédait quelques parts fructueuses de la manufacture des glaces de Saint-Gobain, dont il était administrateur, elle s'était mis en tête d'avoir un salon, et elle ouvrit, deux fois par semaine, son hôtel de la rue Saint-Honoré, pour y recevoir à diner, le lundi les artistes, le mercredi les gens de lettres, le tout sans préjudice de ses «< petits soupers » plus spécialement réservés aux

1. Voir le Duc de Lauzun et la cour intime de Louis XV, par GASTON MAUGRAS, chap. XI.

gens du grand monde. A force de tact et de charme, sinon de culture d'esprit et de connaissances, elle réussit dans son entreprise, non sans avoir eu à triompher d'abord des protestations de son mari.

Mais M. Geoffrin avait fini par se résigner à assister silencieux à ces diners

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<< royaume », comme on a dit, de la rue Saint-Honoré tient dans l'histoire des lettres plus de place que celui de la rue Saint-Dominique.

Écoutons un de ces écrivains qui y fréquentaient assidùment, étant même locataire chez Mme Geoffrin, Marmontel : il a laissé du salon un vivant tableau avec un portrait et de celle qui y régnait et de ses hôtes les plus illustres.

((

C'était, dit-il, un caractère singulier que celui de Mme Geoffrin et difficile à saisir et à peindre, parce qu'il était tout en demi-teintes et en nuances; bien décidé pourtant, mais sans aucun de ces traits marquants par où le naturel se distingue et se définit. Elle était bonne, mais peu sensible; bienfaisante, mais

1. SAINTE-BEUVE, Causeries du lundi : Mme Geoffrin.

2. Mémoires, livre VI.

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