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ce caractère d'élégance et de douceur, qui se maintint jusqu'aux premières années de la Révolution.

Si l'on peut retrouver quelque chose de cet agrément jusque dans la vie des humbles à cette époque, c'est naturellement dans le monde des salons qu'il a surtout régné. Bien plus, la tradition fut, de ce côté, ininterrompue et, dès le temps de la Régence, on peut citer des salons qui s'efforcèrent, en dépit des exemples donnés par le régent lui-même et par ses roués, de conserver à la France le renom de politesse qu'elle s'était acquis depuis les beaux jours de l'hôtel de Rambouillet.

Tel fut, par exemple, semble-t-il, le dessein essentiel que poursuivit Mme de Lambert. Amie de Fénelon et de Fontenelle, elle n'était pas entièrement exempte de pédantisme, et il lui arrive, dans ses opuscules, de citer, sans toujours le dire ou peut-être sans en avoir conscience, quelque auteur ancien. Mais elle avait, avec beaucoup de vertu, de générosité et de hauteur d'àme, beaucoup de délicatesse dans l'esprit.

On dînait chez elle le mardi, puis on causait; point de cartes des auteurs apportaient et lisaient leurs manuscrits. C'était un cénacle, un « bureau d'esprit », comme disaient les malveillants; on y faisait et l'on y défaisait les réputations littéraires, et d'Argenson nous assure qu'on n'entrait guère à l'Académie française qu'on n'eût été présenté et reçu chez Mme de Lambert.

RÉGULATEUR LOUIS XV. (Collection de M. Boucheron.)

On conçoit dès lors pourquoi, en même temps que de chauds amis, Mme de Lambert eut aussi des adversaires parmi les gens du monde ou les écrivains. C'est ainsi que Le Sage s'est amusé à la ridiculiser légèrement dans le portrait d'une certaine marquise de Chaves qu'il a tracé au quatrième livre de son Gil Blas.

Quoi qu'il en soit, le succès du salon de Mme de Lambert fut tel que la duchesse du Maine, qui avait su rendre elle-même si célèbre et si séduisante sa résidence de Sceaux, demanda à y être admise. Fontenelle, qui fréquentait à la fois chez la marquise et chez la duchesse, servit d'introducteur. C'est lui qui offrit le bras à l'illustre visiteuse, la conduisit à travers les compliments, dont nul invité ne lui fit gràce, et la quitta, dit-on, en lui demandant si elle savait

quelle différence il y avait entre elle-même et une pendule. Puis, sans attendre la réponse :

C'est qu'une pendule, ajouta-t-il, marque les heures, et que Votre Altesse les fait oublier.

Le compliment n'était pas mauvais car « faire oublier les heures » c'était précisément le but que, chez elle, s'était proposé la duchesse du Maine. C'est là que furent instituées ces nuits blanches ou ces grandes nuits, qui contras

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taient, par l'honnêteté des somptueux divertissements qui les remplissaient, avec les réunions scandaleuses de la cour du régent.

Par une autre trouvaille ingénieusement renouvelée d'anciennes traditions littéraires et chevaleresques, la duchesse imagina de fonder à Sceaux un ordre de la Mouche à miel, qui avait ses lois, ses statuts, avec un nombre fixe de chevaliers et de chevalières, qui s'élisaient en chapitre avec grande cérémonie.

Sur ce point d'ailleurs, la duchesse du Maine fit école, et, sans parler de beaucoup d'autres ordres badins, c'est sur ce modèle que la fille de Mme Geoffrin, la marquise de la Ferté-Imbault, établit plus tard son plaisant ordre des Lanturelus.

Il est impossible de parler de la duchesse du Maine sans parler de cette spirituelle Mlle Delaunay, qui fut d'abord sa femme de chambre, et qui finit par

devenir sa confidente et l'organisatrice de tous les divertissements de la cour de Sceaux; louée et fêtée par les plus éminents des hôtes de la duchesse, par Fontenelle, par Malézieu, l'oracle de la maison, adorée du vieux poète Chaulieu, recherchée en mariage par Dacier, secrétaire perpétuel de l'Académie fran

LA TOILETTE D'UN HOMME DE QUALITÉ. (D'après Moreau le Jeune.)

çaise, quand il eut perdu sa première femme, l'illustre érudite, elle finit par épouser un honnête et obscur officier des gardes-suisses, qui lui apportait du moins un titre, le baron de Staal. Ce n'est pas ici le lieu de parler de ses piquants Mémoires et de leur élégance un peu sèche et proprement géométrique. Mais écoutezla parler, du moins, de deux des hôtes de passage, et non des moindres, de la cour de Sceaux, ou, pour mieux dire, du château d'Anet, autre résidence de la duchesse: c'est de Voltaire et de son amie, la

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savante et médiocrement sympathique Mme du Châtelet, qu'il s'agit.

« Anet, mardi 15 août 1747. Mme du Châtelet et Voltaire, qui s'étaient annoncés pour aujourd'hui, et qu'on avait perdus de vue, parurent hier, sur la minuit, comme deux spectres, avec une odeur de corps embaumés qu'ils semblaient avoir apportée de leurs tombeaux. On sortait de table. C'étaient pourtant des spectres affamés: il leur fallut un souper, et, qui plus est, des lits, qui n'étaient pas préparés. La concierge, déjà couchée, se leva à grande hâte. Gaya', qui avait offert son logement pour les cas pressants, fut

1. Gentilhomme de la maison de la duchesse.

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