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« Alors je lui communiquai ce que cet homme m'avait dit, et que je croyais ne pas devoir lui taire, quelque peine que j'éprouvasse à l'entretenir de semblables infamies. Elle me fit répéter plusieurs fois la totalité de l'entretien que j'avais eu avec Boehmer, se récria vivement sur la peine infinie que lui faisait la circulation de faux billets signés de son nom, mais ne concevait pas comment le cardinal se trouvait mêlé dans cette affaire: c'était un dédale pour elle; son esprit s'y perdait.

<< Elle envoya à l'instant chercher l'abbé de

Vermond, son professeur

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de français, attaché à elle depuis l'enfance, l'un des hommes en qui elle avait le plus de confiance, et le baron de Breteuil, ministre de la maison du roi.

Pendant plusieurs jours la reine concerta avec eux ce qu'il convenait de faire dans cette circonstance. Malheureusement, une ancienne et implacable haine contre le cardinal faisait de ces deux conseillers les hommes les plus propres à égarer Sa Majesté dans le parti qu'elle avait à prendre. Ils virent uni quement leur ennemi perdu à la cour et flétri aux yeux de l'Europe entière, et ne jugèrent pas avec quels ménagements il fallait traiter une affaire aussi délicate. Si M. le comte de Vergennes eût été appelé par la reine pour lui donner ses avis, son expérience des choses et des hommes lui eût fait juger dès le premier moment qu'il fallait étouffer une intrigue d'escroquerie dans laquelle l'auguste nom de Marie-Antoinette se trouvait compromis.

« Le 15 août, le cardinal étant déjà revêtu de ses habits pontificaux fut appelé à midi dans le cabinet du roi, où se trouvait la reine. Le roi lui dit :

Vous avez acheté des diamants à Boehmer?

Oui, Sire.

Qu'en avez-vous fait?

Je croyais qu'ils avaient été remis à la reine.

Qui vous avait chargé de cette commission?

Une dame appelée Mme la comtesse de Lamotte-Valois, qui m'avait présenté une lettre de la reine, et j'ai cru faire ma cour à Sa Majesté en me chargeant de cette commission.

<«< Alors la reine l'interrompit et lui dit :

Comment, monsieur, avez-vous pu croire, vous à qui je n'ai pas adressé la parole depuis huit ans, que je vous choisissais pour conduire cette négociation, et par l'entremise d'une pareille femme?

Je vois bien, répondit le cardinal, que j'ai été cruellement trompé; je payerai le collier : l'envie que j'avais de plaire à Votre Majesté m'a fasciné les yeux; je n'ai vu nulle supercherie, et j'en suis fàché.

« Alors il sortit de sa poche un portefeuille, dans lequel était la lettre de la reine à Mme de Lamotte, pour lui donner cette commission. Le roi la prit, et la montrant au cardinal lui dit :

Ce n'est ni l'écriture de la reine, ni sa signature: comment un prince de la maison de Rohan, et un grand aumônier de France, a-t-il pu croire que la reine signait Marie-Antoinette de France? Personne n'ignore que les reines de France ne signent que leur nom de baptême. Mais, monsieur, continua le roi en lui présentant une copie d'une lettre qu'il avait écrite à Boehmer, avez-vous écrit une lettre pareille à celle-ci?

«Le cardinal, après l'avoir parcourue des yeux :

Je ne me souviens pas, dit-il, de l'avoir écrite.

Et si l'on vous montrait l'original, signé de vous?

Si la lettre est signée de moi, elle est vraie.

Expliquez-moi donc, continua le roi, toute cette énigme; je ne veux pas vous trouver coupable, je désire votre justification. Expliquez-moi ce que signifient toutes ces démarches auprès de Boehmer, ces assurances et ces billets? «Le cardinal pàlissait alors à vue d'œil, et, s'appuyant contre la table :

Sire, je suis trop troublé pour répondre à Votre Majesté d'une manière.... Remettez-vous, monsieur le cardinal, et passez dans mon cabinet : vous y trouverez du papier, des plumes et de l'encre; écrivez ce que vous avez à me dire.

« Le cardinal passa dans le cabinet du roi, et revint, un quart d'heure

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après, avec un écrit aussi peu clair que l'avaient été ses réponses verbales. Le roi lui dit alors:

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« Le cardinal sortit de la chambre du roi avec le baron de Breteuil, qui le fit arrêter par un sous-lieutenant des gardes du corps, avec ordre de le mener jusqu'à son appartement. M. d'Agoult, aide-major des gardes du corps, s'en empara ensuite, et le conduisit à son hôtel et de là à la Bastille.

<< Aussitôt que la nouvelle de l'arrestation du grand aumônier fut répandue à Paris, M. le prince de Condé, qui avait épousé une princesse de la maison. de Rohan, le maréchal de Soubise, Mme la princesse de Marsan, jetèrent un cri d'indignation sur l'arrestation d'un prince de leur famille. Le clergé, depuis les cardinaux jusqu'aux jeunes séminaristes, ne contenait pas l'expression de sa douleur pour la scandaleuse arrestation d'un prince de l'Église, et infiniment de personnes furent disposées à voir sans aucune peine l'humiliation de la cour pour une démarche aussi peu mesurée. »

Enfin le procès public eut lieu. La condamnation de Mme de Lamotte ne faisait pas de doute; le sort des comparses était sans intérêt : l'attention publique devait se porter surtout sur le cardinal de Rohan. Maladresses, intrigues, perfidies, rien n'avait été épargné pour répandre ce sentiment, qu'il s'agissait là d'un duel entre la reine de France et l'un de ses sujets. Était-il bien sûr que Marie-Antoinette eût ignoré toutes les intrigues et les négociations relatives à

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