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pour la sultane favorite. Je rendis cette réponse à la reine, qui en fut charmée, mais qui ne concevait pas qu'on achetat à Paris des diamants pour le GrandSeigneur.

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Depuis longtemps la reine évitait de voir Boehmer, dont elle craignait la tête exaltée, et son valet de chambre joaillier était seul chargé des réparations à faire à ses parures. A l'époque du baptême de Mgr le duc d'Angoulême, le roi lui fit présent d'une épaulette et de boucles de diamants, et fit donner à Boehmer l'ordre de remettre ces objets à la reine; il les lui présenta à l'heure où Sa Majesté revenait de la messe, et lui remit en même temps une lettre en forme de placet. Il disait à la reine, dans cet écrit, qu'il était heureux de la voir en possession. des plus beaux diamants connus en Europe, et qu'il la priait de ne point l'oublier.

« La reine lut tout haut ce que lui avait écrit Boehmer, et n'y vit qu'une preuve d'aliénation d'esprit, ne concevant pas comment il lui faisait compliment sur la beauté de ses diamants et lui écrivait pour la prier de ne pas l'oublier; elle brûla ce papier à une bougie qui se trouvait allumée, ayant quelques lettres à cacheter, et dit :

Cela ne vaut pas la peine d'être gardé.

«Elle a depuis beaucoup regretté ce placet énigmatique. Après avoir brûlé ce papier, Sa Majesté me dit :

Cet homme existe pour mon supplice; il a toujours quelque folie en tête; songez bien, la première fois que vous le verrez, à lui dire que je n'aime plus les diamants, que je n'en achèterai plus de ma vie; que, si j'avais à dépenser de l'argent, j'aimerais bien mieux augmenter mes propriétés de Saint-Cloud par l'acquisition des terres qui les environnent; entrez dans tous ces détails avec lui pour l'en convaincre et les bien graver dans sa tête.

« Je lui demandai si elle désirait que je le fisse venir chez moi; elle me dit que non, qu'il suffirait de saisir la première occasion où je le rencontrerais; que la moindre démarche auprès d'un pareil homme serait déplacée.

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« Le 1 août, je quittai Versailles pour aller à ma maison de campagne. Dès. le 3, je vis arriver Bohmer, qui, fort inquiet de n'avoir eu aucune réponse de la reine, venait me demander si elle m'avait chargée de quelque commission pour lui; je lui répondis qu'elle ne m'en avait donné aucune, qu'elle n'avait rien à lui commander, et je répétai fidèlement tout ce qu'elle m'avait ordonné de lui dire.

Mais, me dit Boehmer, la réponse à la lettre que je lui ai présentée, à qui dois-je m'adresser pour l'obtenir?

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A personne, lui dis-je; Sa Majesté a brûlé votre placet sans même avoir compris ce que vous vouliez lui dire.

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Ah! madame! s'écria-t-il, cela n'est pas possible: la reine sait qu'elle a de l'argent à me donner!

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De l'argent, monsieur Boehmer? Il y a longtemps que nous avons soldé vos derniers comptes pour la reine.

Madame, vous n'êtes pas dans la confidence. On n'a pas soldé un homme que l'on ruine en ne le payant pas, lorsqu'on lui doit plus de quinze cent mille francs. Avez-vous perdu l'esprit? lui dis-je; pour quel objet la reine peut-elle vous devoir une somme si exorbitante?

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Mais à la vérité, madame, je commence à ètre bien effrayé; car Son Éminence m'avait assuré que la reine porterait son collier le jour de la Pentecôte, et je ne le lui ai pas vu; c'est ce qui m'a décidé à écrire à Sa Majesté.

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Nous, qui savons ce qu'à ce moment Mme Campan ne savait pas encore, nous comprenons ce qui s'était passé.

Mme de Lamotte avait été mise, par des intermédiaires, en relation avec le joaillier Bassange, associé de Boehmer. Elle avait ainsi appris l'existence du collier et le désir que les joailliers avaient de le vendre à la reine. Elle persuada alors au cardinal de Rohan, en feignant de fausses instructions de MarieAntoinette, que celle-ci avait la plus grande envie de posséder ce collier et qu'elle consentait à l'acquérir, par l'intermédiaire du cardinal, moyennant quatre paiements de quatre cent mille livres, espacés de quatre en quatre mois. Elle livra au cardinal des billets portant la signature fausse, naturellement de

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Marie-Antoinette. Le cardinal les donna en paiement aux joailliers et reçut le collier en échange.

Ce collier, il le remit lui-même, dans un appartement que Mme de Lamotte occupait à Versailles, à un prétendu homme de confiance envoyé par la reine! Et l'on pense bien que, quand le cardinal eut tourné le dos, Mme de Lamotte

LA NAISSANCE DU DAUPHIN.

(D'après une gravure du temps.)

dut rentrer en possession du collier, qu'elle s'occupa alors, avec l'aide de son mari, de vendre en détail çà et là et principalement à Londres.

Cependant il fallait qu'à un certain moment la fraude fût découverte. Les joailliers ne touchèrent pas le premier paiement; à Versailles, ils n'aperçurent jamais la reine portant le fameux collier, et l'on vient de voir l'entretien que Boehmer, très inquiet, finit par avoir avec Mme Campan. Nous rejoignons ici le récit de cette dernière.

Après qu'elle eut fait raconter au joaillier les divers incidents de l'affaire

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et que celui-ci lui eut dit qu'il avait entre les mains des billets signés de la reine, elle ne crut pas pouvoir cacher à cette dernière ce qu'elle avait appris. L'occasion s'en présenta deux ou trois jours plus tard, la reine lui ayant fait écrire de venir à Trianon.

« Je la trouvai seule, dit-elle, dans son boudoir; elle me parla de différents petits objets, et, tout en lui répondant, je songeais au collier, et cherchais l'occasion de lui apprendre ce qui m'en avait été dit en dernier lieu, lorsqu'elle me dit: Savez-vous que cet imbécile de Boehmer est venu demander à me parler, en disant que vous le lui aviez conseillé? J'ai refusé de le recevoir, continua la reine; que me veut-il? le savez-vous?

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