Page images
PDF
EPUB

certaine dame Valois de Lamotte, dont l'histoire était singulière. Tous les contemporains l'ont contée.

« Vers 1763, la marquise de Boulainvilliers étant allée se promener aux Champs-Élysées, elle y rencontra une petite fille de six à sept ans, couverte de haillons, dont la figure était intéressante et qui demandait l'aumône. Elle la remarqua, et l'ayant depuis trouvée plusieurs fois, elle s'en occupa de plus en

[graphic][merged small]

plus; l'ayant entendu appeler Valois, elle lui demanda par quel hasard elle portait ce nom. La petite fille répondit qu'elle n'en savait rien; mais que sa mère avait des papiers qu'elle conservait avec grand soin, et qui prouvaient son origine. Cette réponse excita la curiosité de Mme de Boulainvilliers. Elle fit faire des perquisitions, dont le résultat fut qu'il paraissait assez constant que cette petite fille était Valois, et qu'elle descendait de Henri II. Portée d'inclination pour cette enfant, cette découverte l'y attacha; elle la prit chez elle pour la faire élever'. »

Quelques années plus tard, Mlle de Valois retourna vivre à Bar-sur-Aube,

1. Mémoires du BARON DE BESENVAL.

sa ville natale, et c'est là qu'assez dénuée elle-même de scrupules, elle connut et épousa un M. de Lamotte, « qui faisait nombre parmi les intrigants dont les ruses fatiguent journellement la police et la justice. Ils apportèrent chacun, pour fonder le ménage, une volonté bien déterminée de réunir leurs moyens et leurs talents, afin de faire des dupes et d'escroquer de l'argent. >>

Telle est la personne qui réussit, à partir de 1781, à s'emparer tellement de l'esprit du cardinal de Rohan, qu'elle parvint, à force de ruses et de faux, à lui persuader qu'elle avait grand crédit sur l'esprit de la reine. Le cardinal se livra entièrement à elle. Elle lui montra des lettres, dans lesquelles la reine, semblant céder à ses sollicitations, l'assurait de sentiments meilleurs à l'égard du prélat. Enfin elle lui fit obtenir de la reine une entrevue d'un instant dans le parc de Versailles, un soir à dix heures.

Le cardinal s'y rend et la reine lui présente, comme il était convenu, une

LE COLLIER DE LA REINE.

(D'après une gravure de la Bibliothèque nationale.)

rose en lui disant :

« Vous savez ce que cela veut dire, » et s'enfuit.

Inutile de dire que cette reine n'était pas la reine. C'était une demoiselle Oliva, que M. de Lamotte connaissait pour avoir quelque vague ressemblance dans dans l'allure

avec Marie-Antoinette,

et qu'il avait décidée, pour de l'argent, à servir ses desseins : la malheureuse s'était d'ailleurs bornée à apprendre son rôle, mais sans savoir elle-même de qui l'on prétendait lui faire tenir la place.

Tout cela se passait en juillet 1784.

[graphic]

C'est alors que, sùrs désormais de l'aveuglement du cardinal, les Lamotte conçurent le plan d'une formidable escroquerie.

Mais ici il est nécessaire de remonter un peu en arrière. Nous laisserons

la parole à Mme Campan.

<< En 1774, dit-elle', la reine avait acheté du joaillier Boehmer des girandoles de trois cent soixante mille francs, les avait

payées sur les propres fonds de sa

cassette, et avait mis plusieurs

années à effectuer ce payement.

[graphic]
[ocr errors]

Depuis ce temps, le roi

lui avait fait présent d'une
parure de rubis et de
diamants blancs, puis
d'une paire de bracelets
de deux cent mille
francs.

« La reine, après avoir fait changer la forme de ses parures de diamants blancs, avait dit à Boehmer qu'elle trouvait son écrin assez riche, et ne voulait plus y rien ajouter; cependant ce joaillier s'occupait depuis plusieurs années de réunir un assortiment des plus beaux diamants en circulation

LE CARDINAL LOUIS DE ROHAN, GRAND AUMÔNIER DE FRANCE.

(D'après une gravure du temps.)

dans le commerce, pour en composer un collier à plusieurs rangs, qu'il se proposait de faire acheter à Sa Majesté.

« Il l'apporta chez M. Campan, le priant d'en parler à la reine pour lui donner le désir de le voir et d'en faire l'acquisition. M. Campan refusa de lui rendre ce service, et lui dit qu'il sortirait des bornes de son devoir s'il se per

1. Mémoires, chap. xII.

[graphic]

CHATELAINE LOUIS XVI EN OR CISELÉ.

mettait de proposer à la reine une dépense de seize cent mille francs, et qu'il ne croyait même pas que la dame d'honneur ni la dame d'atours voulussent se charger d'une semblable commission.

« Boehmer obtint du premier gentilhomme de service chez le roi de présenter cette superbe parure à Sa Majesté, qui en fut si satisfaite qu'elle désira en voir la reine ornée, et fit porter l'écrin chez elle; mais la reine l'assura qu'elle serait très affligée que l'on fit une dépense aussi considérable pour un pareil objet; qu'elle avait de beaux diamants, qu'on n'en portait plus à la cour que quatre ou cinq fois par an, qu'il fallait renvoyer ce collier, et que la construction d'un navire était une dépense bien préférable à celle que l'on proposait.

« Boehmer, désolé de voir son espérance trompée, s'occupa, dit-on, pendant quelque temps, de faire vendre son collier dans diverses cours de l'Europe, et n'en trouva pas qui fùt disposée à faire l'acquisition d'un objet aussi cher. Un an après cette tentative infructueuse, Boehmer fit encore proposer au roi d'acheter son collier de diamants partie en payement à diverses échéances et partie en rentes viagères : on fit envisager ses propositions comme très avantageuses, et le roi en Collection Jubinal de Saint-Albin.) parla de nouveau à la reine; ce fut en ma présence. Je me souviens que la reine lui dit que, si réellement le marché n'était pas onéreux, le roi pouvait faire cette acquisition et conserver ce collier pour les époques des mariages de ses enfants; mais qu'elle ne s'en parerait jamais, ne voulant pas qu'on pùt lui reprocher dans le monde d'avoir désiré un objet d'un prix aussi excessif. Le roi lui répondit que ses enfants étaient trop jeunes pour faire une dépense qui serait augmentée par le nombre d'années où elle resterait sans utilité, et qu'il refuserait définitivement cette proposition.

<< Boehmer se plaignit à tout le monde de son malheur, et des gens raisonnables lui reprochaient d'avoir pensé à réunir des diamants pour une somme si considérable sans avoir eu le moindre ordre à ce sujet.

« Cet homme avait acheté la charge de joaillier de la couronne, ce qui lui donnait quelques entrées à la cour. Après plusieurs mois de démarches inutiles

et de vaines plaintes, il obtint une audience de la reine, qui avait près d'elle la jeune princesse sa fille; Sa Majesté ignorait pour quel sujet Boehmer avait demandé cette audience, et ne croyait pas que ce fût pour lui reparler d'un bijou deux fois refusé par elle et par le roi.

« Boehmer se jette à genoux, joint les mains, pleure, et s'écrie:

Madame, je suis ruiné, déshonoré, si vous n'achetez mon collier. Je ne veux pas survivre à tant de malheurs. D'ici, Madame, je pars pour aller me précipiter dans la rivière.

[ocr errors]

Levez-vous, Boehmer, lui dit la reine, avec un ton assez sévère pour le faire rentrer en lui-même je n'aime point de pareilles exclamations; et les gens honnêtes n'ont pas besoin de supplier à genoux. Je vous regretterais si vous vous donniez la mort, comme un insensé auquel je prenais intérêt; mais je ne serais nullement responsable de ce malheur. Non seulement je ne vous ai point commandé l'objet qui, dans ce moment, cause votre désespoir, mais toutes les fois que vous m'avez entretenue de beaux assortiments je vous ai dit que je n'ajouterais pas quatre diamants à ceux que je possédais. J'ai refusé votre collier; le roi a voulu me le donner, je l'ai refusé de même : ne m'en parlez donc jamais. Tâchez de le diviser et de le vendre, et ne vous noyez pas. Je vous sais très mauvais gré de vous être permis cette scène de désespoir en ma présence et devant cette enfant. Qu'il ne vous arrive jamais de choses semblables. Sortez.

« Boehmer se retira désolé, et l'on n'entendit plus parler de lui.

[graphic]
[ocr errors]

Quelque temps après cependant, la reine me

dit qu'on l'avait fait prévenir que Boehmer s'occu-
pait encore de la vente de son collier, et qu'on lui
avait conseillé, pour sa propre tranquillité, de cher-
cher à savoir ce que cet homme en avait fait; elle
me recommanda de ne point oublier, la pre-
mière fois que je le rencontrerais, de lui en
parler sous prétexte d'intérêt pour lui. Je le
vis peu de jours après, et, lui ayant parlé de
son collier, il me dit qu'il était bien heureux,
qu'il avait vendu cet objet à Constantinople

[ocr errors]

PENDULE EN CUIVRE CISELE. (Par Caffieri. Musée de Versailles.

« PreviousContinue »