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quette et pour y dérouler avec ses intimes une élégante pastorale, que le Petit Vienne ou le Petit Schoenbrunn.

Mais des calomnies plus odieuses circulaient contre Marie-Antoinette, qui, trop peu circonspecte ou trop confiante dans le bon sens et l'impartialité du public, eut le tort de ne pas assez s'en préoccuper. A vrai dire, les anecdotes que l'on colportait dans Paris et auxquelles elle se trouvait mêlé e n'étaient pas toujours bien effrayantes.

« Le roi, raconte par exemple un jour Bachaumont', a fait dernièrement une espièglerie à la reine, dont le but moral était de donner une petite leçon à son aimable compagne. Elle est dans l'usage de faire des parties de nuit avec le comte d'Artois, d'aller à la comédie de la ville ou ailleurs, et de se retirer fort tard Sa Majesté, le soir, donna à l'ordre la consigne que, passé onze heures, on ne laissât entrer dans la grande cour du château aucune voiture, sans exception.

GROUPE DE BACCHANTES, PAR CLODION.
(Collection de Mme la comtesse de Béarn.)

«La reine, étant venue avec son beau-frère à une heure ou deux du matin, fut très surprise de se trouver arrêtée par le garde du corps en sentinelle. En vain fit-elle venir l'officier supérieur et le capitaine des gardes : tous deux déclarèrent que c'était l'ordre exprès, qu'il n'était pas permis de transgresser. Il fallut rétrograder, et que Sa Majesté et le comte d'Artois fissent un long tour pour rentrer d'un autre côté.

<< Le lendemain, explication avec le roi, qui déclara que, toujours couché à onze heures du soir et ayant besoin de repos, le bruit, dans la nuit, le réveillait. Il pria en conséquence la reine de s'y conformer. >>

1. Mémoires, 17 août 1779.

DE LOUIS XVI. Collection Jubinal de Saint-Albin.)

Ce n'est là qu'une bagatelle. Mais les amis les plus clairvoyants de la reine jugeaient avec raison que ni sa renommée ni sa situation n'avaient rien à gagner à de tels racontars. Au reste, les sentiments de ces amis dévoués nous sont révélés par le ton même des récits de Mme Campan. Laissons-la parler.'

BAGUE A FIL1. (Collect. Jubinal de Saint-Albin.)

« Un événement, fort simple en lui-même, dit-elle, commença à attirer des soupçons fàcheux sur la conduite de la reine. <«< Elle partit un soir avec la duchesse de Luynes, dame du palais; sa voiture cassa à l'entrée de Paris: il fallut descendre; la duchesse la fit entrer dans une boutique, tandis qu'un valet de pied fit avancer un fiacre.

« On était masqué, et, en sachant garder le silence, l'événement n'aurait pas même été connu; mais aller en fiacre est pour une reine une aventure si bizarre, qu'à peine entrée dans la salle de l'Opéra elle ne put s'empêcher de dire à quelques personnes qu'elle y rencontra :

C'est moi en fiacre; n'est-ce pas bien plaisant?

« De ce moment tout Paris fut instruit de l'aventure du fiacre: on dit que tout avait été mystère dans cette aventure de nuit; que la reine avait donné un rendez-vous, dans une maison particulière, à un seigneur honoré de ses bontés; on nommait hautement le duc de Coigny, à la vérité très bien vu à

ÉTUI

EN OR CISELÉ. (Collection Jubinal de Saint-Albin.)

la cour, mais autant par le roi que par la reine. Une fois que ces idées de galanterie furent éveillées, il n'y eut plus de bornes à toutes les sottes préventions désagréables du jour, encore moins aux calomnies qui circulaient à Paris sur le compte de la reine: si elle avait parlé, à la chasse ou au jeu, à MM. Édouard de Dillon, de Lambertye, ou à d'autres dont les noms ne me sont plus présents, c'étaient autant de favoris qu'on lui prêtait. Paris. ignorait que tous ces jeunes gens n'étaient pas admis dans l'intérieur de la reine, et n'avaient pas même le droit de s'y présenter; mais la reine allait déguisée à Paris, elle s'y était servie d'un fiacre; une légèreté porte malheureusement à en soupçonner d'autres, et la méchanceté ne manque pas de supposer ce qui ne peut même avoir lieu.

« La reine, tranquillisée par l'innocence de sa conduite et par la justice qu'elle savait bien que tout ce qui l'entourait devait

1. On les portait pour ne pas se gåter les doigts en cassant le fil.

rendre à sa vie privée, parlait avec dédain de ces faux bruits, et se contentait de supposer que quelque fatuité de la part des jeunes gens cités avait donné lieu

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à ces méchancetés. Elle cessait alors de leur adresser la parole, et même de les regarder. Leur vanité en était blessée, et le plaisir de la vengeance les portait à dire ou à laisser penser qu'ils avaient eu le malheur de cesser de plaire.

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Parmi ces jeunes fats, il en est un au moins qu'il faut mentionner, parce qu'il est un de ceux qui se sont montrés les plus ardents à nuire à la reine : c'est le duc de Lauzun. Il avait, dit Mme Campan, « de l'originalité dans l'esprit et quelque chose de chevaleresque dans les manières. La reine le voyait aux soupers du roi et chez la princesse de Guéménée; elle l'y traitait bien.

« Un jour il parut chez Mme de Guéménée en uniforme et avec la plus

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magnifique plume de héron blanc qu'il fût possible de voir; la reine admira cette plume il la lui fit offrir par la duchesse de Guéménée.

<< Comme il l'avait portée, la reine n'avait pas imaginé qu'il pût vouloir la lui donner. Fort embarrassée du présent qu'elle s'était, pour ainsi dire, attiré, elle n'osa pas le refuser, ne sut si elle devait en faire un à son tour, et, dans l'embarras, si elle lui donnait quelque chose, de faire ou trop ou trop peu, elle se contenta de porter une fois la plume et de faire observer à M. de Lauzun qu'elle était parée du présent qu'il lui avait fait.

((

L'orgueil de ce dernier lui exagéra le prix de la faveur qui lui avait été accordée. Peu de temps après le présent de la plume de héron, il sollicita une

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audience; la reine la lui accorda, comme elle l'eùt fait pour tout autre d'un rang aussi élevé. J'étais dans la chambre voisine de celle où il fut reçu; peu d'instants après son arrivée, la reine rouvrit la porte, et dit d'une voix haute et courroucée : Sortez, monsieur.

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« M. de Lauzun s'inclina profondément, et disparut. La reine était fort agitée. Elle me dit :

Jamais cet homme ne rentrera chez moi.

<< Peu d'années avant la révolution de 1789, le maréchal de Biron mourut. Le duc de Lauzun, héritier de son nom, prétendait au poste important de colonel du régiment des gardes françaises. La reine en fit pourvoir le duc du Châtelet voilà comment se forment les implacables haines. >>>

Quand le public a une fois consenti à prêter l'oreille aux pires insinuations, il n'est plus d'occasion, si innocente soit-elle, qui n'y puisse donner lieu. Telle fut celle que fournirent aux malveillants les concerts de Versailles.

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