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doute pas que la branche d'Orléans, dont est issue Mme la duchesse de Bourbon, puisqu'elle est sceur du duc de Chartres, n'intervienne aussi. »

Cela était écrit le 14 mars. Deux jours après, Bachaumont complète ainsi ses nouvelles :

« Le roi, craignant les suites de la vengeance que respirait la maison de Condé, et même toutes les branches des princes du sang, avait ordonné au chevalier de Crussol, un des capitaines des gardes du comte d'Artois, de ne pas le quitter. Ce prince a enfin senti son tort; il a consenti à faire à Mme la duchesse de Bourbon une réparation convenable, en déclarant qu'il n'avait jamais eu l'intention de l'insulter, et qu'il ne la connaissait point au bal.

« Cette satisfaction a eu lieu hier à Versailles, en présence de toute la

LA COMÉDIE AU SALON.

(Gravure extraite des Chansons de M. de Laujon.)

famille royale d'une part, et des princes du sang de l'autre. Cet aveu était d'autant plus humiliant que c'était chez Mme Jules de Polignac, la favorite de la reine, que le comte d'Artois s'était vanté de l'insulte, parce qu'il savait bien que Sa Majesté n'aime pas Mme la duchesse de Bourbon. »

Et voici, du lendemain. 17, la fin de l'aventure:

« La scène de réconciliation ne pouvant avoir lieu à l'égard du duc de Bourbon, ce prince, dans l'entrevue à Versailles, par un geste d'appel, a fait connaître formelle

ment son mécontentement au comte d'Artois. Son Altesse royale s'est enfin rendue à l'avis de son conseil, et même aux insinuations du chevalier de Crussol, son capitaine des

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gardes, qui, en lui annonçant l'ordre reçu du roi de veiller à la garde de la personne de son maître et de ne pas le quitter d'un instant, ajouta :

Mais si j'avais

l'honneur d'être le comte

d'Artois, le chevalier de

Crussol ne serait pas vingt-quatre heures mon capitaine des gardes.

« Le dimanche, ce prince a fait savoir au duc de Bourbon, ou par une lettre, ou par un tiers, qu'il se promènerait le lundi matin au bois de Boulogne.

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« Le dernier s'y est rendu dès huit heures; mais le premier n'est arrivé qu'à dix. Ils se sont écartés, et seuls ils ont commencé un combat en chemise, dont beaucoup de gens ont été témoins. Il a duré six minutes, et cependant avec tant d'égalité et d'adresse sans doute, qu'il n'y a pas eu une goutte de sang répandu.

LA FÉLICITÉ DE LA FRANCE.

(LES MEMBRES DE LA FAMILLE ROYALE). (D'après J.-B. Huet.)

« Alors le chevalier de Crussol est intervenu, et leur a ordonné, de la part du roi, de se séparer. Ils se sont embrassés : dans l'après-midi, M. le comte d'Artois est venu voir Mme la duchesse de Bourbon. >>

La nouvelle du combat s'était d'ailleurs rapidement répandue dans Paris. L'opinion publique tout entière se déclarait pour le duc et la duchesse de Bourbon. On rapportait même un beau met de la duchesse: introduite auprès du roi, elle avait demandé justice, disait-on, non comme princesse, mais comme

LE COMTE DE PROVENCE.

(D'après une estampe en couleurs. Bibliothèque nationale.)

femme et comme citoyenne.

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- Il n'en est aucune, avait

elle ajouté, quelle qu'elle soit, qui ne doive être respectée partout, et principalement sous le masque.

Or, le soir avait lieu à la Comédie-Française la première représentation de l'Irène, de Voltaire. C'était un grand événement, et la salle était comble. La duchesse, sortant pour la première fois de la retraite qu'elle avait gardée depuis son insulte, se montra au théâtre, et ce furent de toutes parts des applaudissements enthousiastes. Quand, un peu plus tard, le duc de Bourbon et le prince de Condé parurent, les Bravo! bravissimo! recommencèrent de plus belle.

Au contraire, du côté de la famille royale, le comte de Provence fit peu de sensation; le comte d'Artois ne recueillit que quelques battements de mains « de décence »; quant à la reine, à son entrée, les loges l'applaudirent faiblement, le parterre ne remua pas. On savait en effet qu'en ayant l'air de se désintéresser de l'affaire, elle avait pris le parti du comte d'Artois : elle avait même réussi à l'occuper toute une journée pour ne pas lui laisser le loisir, au cas où il l'aurait souhaité, de se rendre à une provocation du duc de Bourbon.

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Ainsi, bien loin de trouver un appui dans ceux qui la touchaient de plus près, Marie-Antoinette sentait l'impopularité du comte d'Artois rejaillir sur elle et l'atteindre plus gravement sans doute que le comte lui-même.

Quel changement en effet s'était opéré dans l'attitude de la population à son égard! En retournant par ses souvenirs d'un an seulement en arrière, elle pouvait

s'en rendre compte. En 1777, lors du voyage de Joseph II, elle était venue, avec son frère et toute la famille royale, assister à une représentation de l'Iphigénie en Aulide, de Gluck. Au moment où Achille et les Thessaliens entonnaient le choeur :

Que d'attraits! que de majesté !

Que de grâces! que de beautés!
Chantons, célébrons notre reine,

l'acteur chargé du rôle d'Achille désigna par un geste respectueux la loge de Marie-Antoinette. Alors tous les regards se tournent vers elle le public tout entier applaudit avec enthousiasme, puis fait recommencer le chœur, et, debout, unit sa voix à celle des chanteurs, tandis que la reine, au comble de l'émotion, couvrait d'un mouchoir ses yeux pleins de larmes et par là même ajoutait encore à l'enthousiasme universel.

La reine venait, à la représentation d'Irène, de mesurer le revirement qui s'était produit dans les sen

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timents de son peuple à son égard.

Quelques mois plus tard, elle accouchait d'une fille, son premier enfant, et quand elle vint, suivant l'usage, assister, après ses relevailles, au service solennel de Notre-Dame, en dépit des fêtes qui mettaient la ville en joie, la foule resta, sur son passage, presque entièrement silencieuse.

Les reproches qu'on lui adressait étaient d'ailleurs d'ordres divers, les uns fondés, les autres excessifs, d'autres purement calomnieux. Dès les premiers jours, il s'était trouvé à la cour un parti pour l'accuser de trop se souvenir qu'elle était Autrichienne. Et elle semble

LE COMTE D'ARTOIS, COLONEL-GÉNÉRAL DES SUISSES ET GRISONS.

(Reproduction d'une gravure d'après Vanloo.)

bien en effet ne pas s'être assez défiée de ses sentiments à ce sujet. Le comte d'Artois lui-même l'en fit un jour apercevoir.

C'était en 1780. Marie-Antoinette boudait ses deux belles-sœurs. Pourquoi? Les uns disent que Madame et la comtesse d'Artois avaient laissé paraître leur mécontentement de l'intimité qui s'était établie entre la reine et Mme de Polignac; les autres que Madame avait repoussé, comme indignes d'elle, les propositions que Marie-Antoinette lui avait faites de jouer la comédie. Quoi qu'il en soit, celle-ci s'était laissée aller à une comparaison fàcheuse entre sa situation. et celle de sa belle-sœur, ajoutant que non seulement elle était reine de France, mais qu'elle était de la maison d'Autriche, la première de toutes. Sur quoi, le comte d'Artois, présent à la contestation :

Ma petite sœur, dit-il en riant et en lui serrant la main, la plaisanteric s'en mêle, j'en suis enchanté; cela me prouve que la rancune ne durera pas longtemps.

Cette histoire et d'autres semblables, circulant parmi les courtisans, puis dans le public, ne donnaient que trop de prise à la raillerie ou à la colère, et les

faits les plus insignifiants

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sont dès lors interprétés

dans le sens le plus défavorable. La reine se fait-elle par exemple construire un traîneau pour l'hiver? Elle se prêtait uniquement par là à une mode, qui d'ailleurs n'eut point de succès et qui, de plus, n'était pas nouvelle à Versailles; peu importe on voit dans cette mode même une prédilection pour les habitudes viennoises, et la malveillance en fait son profit.

Quelques-uns affectent de n'appeler Trianon, la retraite chérie et charmante que la reine s'est choisie pour en bannir toute éti

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